Plumer le faisan

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dimanche 14 décembre 2014

Chronique gastronomique

Entre la joie du chasseur qui a tiré le faisan et la joie du gastronome qui le mange, s’interpose le labeur du cuisinier qui le plume et le vide. Ce peut être la même personne qui occupe les trois fonctions. Et alors tirant le faisan il pense simultanément déjà à la table de cuisine et à celle de la salle à manger. Dans le bruit du fusil qui décoche, il entend également l’eau chaude qui bout pour décoller les plumes et les dents qui mastiquent pour avaler la chair. Un même homme pour une triple fonction et un plaisir prolongé parfois sur plusieurs mois. Grâce au système de congélation, on peut désormais faire patienter le gibier au froid et le manger hors-saison. Dans les bois et dans les forêts se préparent les grandes aventures de la table. Quand on ramène le faisan dans la gibecière quelques plumes ont volé. Il est beau endormi, le corps flasque et la tête tombante. Le mâle est bien plumé, et plus gros que la femelle qui demeure discrète.

On pose le faisan dans la cuisine, sur le marbre de la table à gibier. On le laissera là au moins deux jours, pour qu’il faisande, que les toxines s’en aillent, et que sa chair soit plus souple et plus tendre. En attendant, on peut le regarder, admirer la bête, cours vivant de sciences naturelles. L’amateur de gibier n’est pas un carnassier, mais un amoureux des belles choses, qui sait apprécier la nature et les animaux et qui les estiment à sa juste valeur. Il est alors capable de leur offrir ce qu’il y a de mieux : de beaux plats en porcelaine fine, des couverts en argent, des nappes blanches damassées, des vins fins. Le gibier est au centre de la table ; il est le roi. Jadis roi des sous-bois, aujourd’hui roi du repas et de la fête. On ne mange jamais le gibier seul. On le partage en famille ou entre amis, preuve supplémentaire de l’amour qu’on lui porte et de l’attention que l’on a à son égard. Le gibier s’offre et se partage. C’est le sommet du compagnonnage et de l’amitié. Du marbre à la table, on retrouve l’amour des hommes pour la confraternité, la place importante de la table, et les valeurs communes du partage, du savoir-faire et du savoir-être. Ce gibier solitaire est l’occasion du partage, de la joie, du savoir-vivre. Cette humanité, qui peut nous la refuser ?

On prendre le faisan avec délicatesse, autant par respect pour la bête que par souci de ne pas l’abîmer. Après avoir fait chauffer de l’eau jusqu’à ce qu’elle devienne frémissante, mais surtout pas bouillante, au risque alors d’abîmer la chair, on y trempera le faisan quelques secondes, jusqu’à ce que les plumes se soient bien imbibées d’eau chaude. Ne pas le laisser trop longtemps. Ensuite, on sortira le faisan de l’eau et on commencera l’expérience délicate qui consiste à retirer les plumes. Pour cela, prendre quelques plumes par le sommet, et tirer vigoureusement sur celles-ci. Elles se détachent facilement. La zone la plus délicate est celle du thorax. C’est là que la peau est la plus fragile, et il y a un risque de l’arracher.

On se met des plumes partout. On en garde quelques-unes pour le chapeau, fier trophée arboré en forêt. Les plumes volent même si elles sont encore collées par l’eau. Il faudra ensuite s’en débarrasser, et ce ne sera pas du tout évident. Il faudra les mettre dans de grandes feuilles de papier journal, les rouler, et les jeter à la poubelle. Il restera toujours des plumes, on en trouvera derrière la machine à café quelques jours plus tard, au lever. Le faisan est encore parmi nous.

Une fois les plumes retirées, passez la bête au chalumeau afin de brûler toutes les petites plumes qui pourraient rester. Pour cela, tenez la flamme du chalumeau à quelques centimètres de distance, et passez-la brièvement sur la bête déplumée, afin de ne pas brûler les chairs.
Pour vider l’animal, disposez-le sur le ventre. Muni d’un grand couteau à lame dure, ouvrez largement le thorax. Avec un petit couteau, sortez les intestins, le cœur, le foie et les gésiers. Vous pouvez garder les abats que vous souhaitez consommer. Jetez le reste.

Le chat se pourlèche depuis de longues minutes. Il attend, la tête tendue vers le faisan. Il sait que cela est bon. Le chat a de bons goûts. On lui apporte les abats de la bête : le cœur, les gésiers, le foie. On lui pose dans sa petite gamelle. Il saute dessus, avale, mâche. Le chat se régale. Avant les hommes, il est comblé de cette viande fine et délicate.

Le faisan plumé et vidé, passez-le rapidement sous l’eau pour éliminer le sang résiduel. Puis mettez-le dans un sac congélation et placez-le au congélateur.

Le faisan a été disposé dans ce coffre-fort gastronomique qu’est un congélateur. À côté du faisan, on y trouve des foies gras, du sanglier, des magrets de canard, des pigeons, des colverts. Tout un tableau des richesses de la terre et des fruits de nos forêts. Tout un tableau de mets que l’on consommera avec gourmandise le moment venu, puisant dans ce trésor pour régaler les dimanches midis et les amis. Le congélateur ronronne. Outil indispensable des urbains, il concentre les joies et les espérances des fruits de la campagne et des saveurs des terroirs. C’est ici tout ce qui se fait de mieux, c’est ici toute la richesse de nos terres et de nos saveurs. Le congélateur est un condensé des fruits de la terre et des saveurs du goût. Le garde-manger contemporain qui relie la ville à la campagne. Tout y dort, dans un froid de clôture. On y vient y puiser pour célébrer nos amis et la famille.

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