Mémoires de Louis Bouyer

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mercredi 8 octobre 2014

La lecture des mémoires de Louis Bouyer (1914-2004) nous fait entrer dans l’intimité de ce que la culture française peut produire de meilleur. On y découvre un homme amoureux des lettres, lisant dès son plus jeune âge les grands auteurs classiques, avant de s’initier aux Pères de l’Eglise et aux écrivains apostoliques. L’immense culture de cet homme effraie et stupéfie à la fois, et ses mémoires sont écrits dans un style classique qui porte la beauté de la langue à un haut point de perfection. La page qu’il consacre à la description de la plaine d’Asnières, où il passa une partie de sa jeunesse dans les années 1920, est un chef d’œuvre merveilleux de description géographique. C’est cette beauté d’un style délié des contingences professorales que l’on découvre tout d’abord dans cette œuvre.

Et bien évidemment le lecteur est happé par l’introspection qu’il propose de l’Eglise de France et de l’Eglise universelle. Lui qui fut éduqué pour devenir pasteur réformé et qui s’est finalement converti au catholicisme en 1939, après avoir étudié avec les meilleurs théologiens orthodoxes, lui qui fut consulteur dans de nombreuses commissions conciliaires, et notamment celle concernant la liturgie, lui qui fut apprécié de Paul VI, mais qui refusa le cardinalat que celui-ci lui proposa, lui fut une des grandes figures de l’Eglise des années 1950-1990. Ses mémoires permettent de retrouver les froides querelles avec les jésuites, dont le pauvre Jean Daniélou fut l’un des protagonistes, à son corps défendant. On y voit la déliquescence de l’enseignement théologique, et les nominations hasardeuses de prélats dont les seules qualités étaient bien souvent de manquer de culture et d’intelligence pour les charges qu’on leur confiait.
C’est l’histoire de l’Eglise au XXe siècle, avec la hauteur de vue, la profondeur théologique et la foi divine nécessaire à la bonne compréhension des années troubles.

Dans un registre plus léger, mais non moins intéressant quant à la personnalité de Bouyer, on apprend que celui-ci fut le professeur de Philippe Noiret au collège de Juilly, et qu’il écrivit une lettre à ses parents pour les rassurer sur la vocation de comédien de leur fils, et sur les qualités réelles de celui-ci. Louis Bouyer a ainsi contribué à écrire parmi les plus belles pages du cinéma français.

Le chapitre qui attire le plus les lecteurs avides de découvrir les coulisses du concile est bien évidemment celui que Bouyer y consacre. Ce n’est pas le plus long, et l’auteur s’attarde en réalité peu sur cet événement, dont on sent qu’il fut pour lui difficile à porter. Il explique qu’il a été tenté souvent par la démission, et qu’il a d’ailleurs quitté un certain nombre de commissions où il siégeait. On y découvre comment le prélat de Bologne, Bugnini, a manipulé Paul VI et la commission pour faire adopter ses funestes inventions liturgiques, et aussi comment fut rédigé, par Bouyer et un de ses amis, la nouvelle forme du canon romain, sur un coin de table d’un café du Trastevere. Ces mémoires sont une page de l’Eglise, un document majeur d’un acteur important, et un sommet de la littérature française contemporaine, tant la belle langue qui nous happe au début de l’ouvrage ne cesse de nous conduire et de nous porter au long de celui-ci.

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