Les harengs marinés

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dimanche 24 mai 2015

Chronique gastronomique

Harengs, journal, bière

La cuisine, c’est la maîtrise du feu et de la conservation des aliments. Maîtriser le feu pour cuire, griller, braiser, bouillir, c’est-à-dire pour transformer le cru en cuit, afin de modifier les saveurs, les textures et les goûts. Cela nécessite de maîtriser le bois, le charbon, et désormais le gaz ou l’électricité. Maîtriser la conservation pour garder les aliments et les consommer ultérieurement, soit quand ce n’est plus la saison, soit quand on risque de manquer de ravitaillements. Cela passe par la maîtrise du sel, de l’huile, de l’alcool, du sucre, de la graisse, du froid. La conservation suppose également une transformation de l’aliment, et donc une modification du goût et des saveurs.

Le hareng répond à cette problématique de la conservation. Soit qu’on le consomme sur terre, soit qu’on le consomme sur mer. Sur terre, il faut assurer le transport du poisson loin des côtes, sachant qu’il est sujet à une décomposition rapide. Sur mer, il faut pouvoir garder le poisson le plus longtemps possible, afin de disposer d’une base constante de nourriture. Le hareng se prête bien à cela. Il arrive à maturité au bout de trois ans, et vit dans les eaux froides du nord de l’Europe. Petit de taille, il peut être fumé, dans ce cas il est dit saur, ou bien mariné. S’il est roulé autour d’un cornichon, on l’appelle rollmops.

La marinade est composée d’eau salée, de vin blanc, de petits légumes, carottes, oignons blancs, cornichons. Les filets de poisson restent au moins trois jours dans cette marinade avant de pouvoir être consommés. L’avantage sur les bateaux, c’est qu’on peut les faire mariner avec de l’eau de mer, ce qui assure la facilité de la préparation. C’est un plat simple, populaire, gouailleur. Il est à la mer ce que la cochonnaille est à la terre. C’est la nourriture canaille du marin, quand le cochon est celle du paysan. Tout l’art de la cuisine a constitué à sublimer ces recettes populaires.
Prenez quelques harengs marinés. Faites cuire des pommes de terre au four, et consommez-les avec, en ajoutant du gros sel et du beurre sur les pommes de terre cuites. Vous atteignez un certain degré de perfection. Pour améliorer encore le plat, vous pouvez raffiner la présentation.

Optez pour une assiette simple, en grosse faïence. Posez-la sur une feuille de journal ; si possible légèrement froissée. Elle servira de nappe et, pour cette occasion, conviendra bien mieux qu’une nappe en dentelle. Avec les pommes de terre fumantes et le hareng froid, prenez une bière pour l’accompagnement. Je conseille une Westmalle Tripel, qui propose une blondeur légèrement brunie. Elle donne ce qu’il faut de consistance, dans sa mousse et dans son corps, pour épouser à merveille la mâche du poisson. Son amertume se conjugue à ravir avec l’acidité de la marinade et le salé des pommes. Bière, hareng, journal. On conjugue toute la beauté du Nord. On fait entrer les embruns rafraîchissant de l’Atlantique dans la pièce. Les plus gourmets pourront passer une chanson de Brel, Le plat pays ou Le port d’Amsterdam. Le mur de leur bureau s’ouvrira vers l’infini de l’Océan. Déjà la mer grise leur est offerte, et les mouettes et les goélands, qui braillent, piaillent et couinent. On pourrait être à Paris, près de la Bastille, sur les bords de la Seine, dans une péniche avec Simenon. Ou bien le long d’un canal perdu dans la brume, un canal perdu pour dernier terrain vague ; et de vagues rochers que les marées dépassent.

Avec infiniment de brumes à venir, et des chemins de pluie pour unique bonsoir. La Westmalle est une des rares bières trappistes, c’est-à-dire une bière exclusivement fabriquée dans une abbaye de la Trappe. Elles sont toutes reconnaissables à leur logo qui certifie leur origine. De longue fermentation, ces bières se dégustent avec le même plaisir que le vin, et peuvent procurer des sensations de plaisir et d’élévation spirituelle que le vin pourvoit. Mais avec les harengs marinés, je déconseille le vin, même des blancs d’Alsace. Le poisson est trop acide pour respecter le vin qu’on lui oppose. Face à cette acidité, la bière a un grand avantage : sa mousse. Elle agit comme une barrière protectrice qui décape l’acidité, l’assouplit et la rend plus douce et sereine. L’acidité devient alors un atout qui contribue à l’élévation du plat.

Comme toujours, la sensation provoque voyage et transhumance de l’esprit. Comme toujours, la gastronomie fait tomber les murs et les toits et permet à l’Italie de descendre l’Escaut.

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