Le pain : bien cuit mais pas chaud

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lundi 3 juin 2019

Bien décidé à éduquer ses clients, mon boulanger a installé dans sa boutique une pancarte portant l’inscription : « Le pain, demandez-le bien cuit ». Ce en quoi il a tout à fait raison. Pour être digeste et pour révéler tous ses arômes, le pain doit être croustillant et cuit à point, la durée de cuisson variant selon sa taille, sa farine et sa forme. Pour le boulanger malveillant, un pain mal cuit est une aubaine : moins de frais de cuisson et un pain plus lourd puisque comportant plus d’eau. La croute doit être dorée et la mie présenter des alvéoles généreuses et irrégulières. Un pain bien cuit se conserve plus longtemps et évite de durcir.

Le pain doit être froid. Rien n’est pire que ces baguettes vendues chaudes, sauf peut-être les boulangers qui se vantent de vendre du pain chaud. L’argument marketing est compréhensible : si le pain est chaud, c’est qu’il sort du four, donc qu’il est frais. Logique, ce n’est pas du pain de la veille.

On comprend aussi la sensation de plaisir qui s’empare du malheureux propriétaire de la baguette chaude : sa main étant enveloppée de cette douce tiédeur, ce qui est fort agréable, surtout en hiver. Certains vendeurs peu scrupuleux font ainsi décongeler leurs pains pour qu’ils soient à la fois frais et chauds. Mais le pain n’est pas digeste, il se mastique mal et se digère mal. De plus, ses arômes n’auront pas eu le temps de se déployer. Le bon et vrai pain, une fois sorti du four, doit être entreposé au sec et à l’abri de la lumière, avec les autres pains cuits, idéalement sous un torchon, qui absorbe l’humidité. Là, il doit reposer tout doucement jusqu’à refroidissement complet. La mie pourra ainsi se déployer, la croute se saisir et ses arômes se développer et s’épanouir. Il n’y a pas de pain sans maîtrise du feu et du temps.

La France voue une relation mystique avec le pain, nul autre pays n’ayant de la paneterie d’ainsi bonne qualité que la sienne, et même pas l’Italie, pourtant si bonne dans les autres domaines de la cuisine. Chez nous, le pain reste un aliment de base même s’il n’est plus l’aliment principal. Les boulangers ont rivalisé d’idées pour proposer des pains facétieux et compliqués, souvent sous le motif peu avouable d’en profiter pour accroître les prix. Outre le froment, on voit ressurgir des farines oubliées, tel le seigle, l’épeautre, le kamut, l’orge et même la châtaigne. Autrefois farines des pays aux terres acides, donc pauvres, comme la Bretagne, le Rouergue et l’Ardèche, le seigle et la châtaigne reviennent à la mode. Sachons les adapter en fonction des plats : le pain doit accompagner et non pas prendre le dessus. Pour le foie gras et les fromages rien ne vaut la baguette parisienne : sans goût marqué, elle apporte le croquant et la texture qui complète ces plats.

Au déjeuner, plutôt qu’un kebab gras et indigeste, l’étudiant tirera profit de se nourrir d’un pain complet acheté chez le bon boulanger de sa ville. Moins cher, plus nourrissant et meilleur, il lui permettra de tenir toute une après-midi. Pains avec des figues, des olives, des noix, des morceaux de jambon, les choix ne manquent pas pour varier ses repas et ses plaisirs.

Article paru dans L’Incorrect.

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