Le courage de lire les étiquettes

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dimanche 2 août 2015

Chronique gastronomique

Les consommateurs sont toujours invités à lire les étiquettes afin de connaître le contenu de leur aliment. Il peut arriver qu’il faille un certain courage pour les lire jusqu’au bout. Outre que les noms des produits ajoutés sont souvent donnés dans leur forme savante, donc hermétique à la pratique commune, les termes choisis font souvent peur. C’est au hasard de ces lectures que l’on découvre que les rillettes de canard contiennent surtout du porc (car moins cher), que le lait est abondamment utilisé pour densifier les produits (il faut bien écouler les excédents), que le sucre se retrouve dans de nombreuses compositions. À cela, les industriels ajoutent de multiples intrants : conservateurs alimentaires, colorants, exhausteurs de goût. Tout cela est décrié par les consommateurs, mais c’est néanmoins ce qui permet au pot de rester ouvert des semaines dans le frigo sans pourrir, ou bien d’être oublié dans le placard, et toujours consommable. C’est ce qui fait que votre yaourt à la fraise a plus le goût de fraise que la plus parfumée des gariguettes, sans contenir une once de fruit, et que la texture des produits est stabilisée et onctueuse. Le consommateur dénigre ces ajouts, tout en les demandant. Le goût naturel n’existe pas, puisque le goût est quelque chose qui s’éduque, dès sa prime enfance et tout au long de la vie. Le goût est intrinsèquement culturel, et il dépend de l’éducation que l’on a reçue. Des palais immatures et non formés ne pourront jamais apprécier la subtilité des saveurs des fruits frais, le savoureux des herbes sur une viande, la délicatesse du pain au levain. L’éducation au goût est un combat culturel au même titre que l’enseignement des autres facettes de la culture.

Avec un peu d’humour et un regard décalé on pourra trouver drôle les noms des conservateurs : leur dénomination chimique est absconse pour tous ceux qui n’ont aucune mémoire de leurs cours de laboratoire, mais les noms donnés ont malgré tout quelques saveurs poétiques. À les lire, on croirait rencontrer les noms des Pères de l’Église tels qu’ils sont traduits dans la collection Source chrétienne. La famille des sodiums par exemple, avec Nitrate de sodium, Nitrite de sodium et Ascorbate de Sodium n’est pas sans rappeler la grande lignée des évêques d’Alexandrie : Athanase, Théophile et Cyrille. On imagine très bien Sodium comme une ville en ruine quelque part dans le désert de l’antique Syrie. Avec ses archéologues qui fuient l’avancée de Daesh, essayant de sauver les précieux manuscrits d’Ascorbate et de Nitrite.

La ville de Potassium, située le long de la route des oasis, entre Ammonium et Carbone, a elle aussi ses grands noms de la théologie antique : Acétate de Potassium, le premier d’entre eux, son frère, Diacétate, Nitrate et Métabisulfite, un prénom peu donné de nos jours. Comment imaginer que ces augustes philosophes des rives de la Méditerranée en sont réduits à donner saveur et goût à des aliments chimiques et pasteurisés ? Mais n’est-ce pas aussi le propre de la philosophie que de donner de la saveur à notre existence ? Avec un peu d’imagination, les étiquettes les plus artificielles peuvent devenir des objets de rêverie.

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