Incorrect : Jambon beurre

Chronique gastronomique parue dans l’Incorrect d’octobre 2018.

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Avec l’œuf mayonnaise, le jambon beurre est l’autre grand prodige de la gastronomie française. Trois ingrédients seulement : baguette, beurre, jambon ; et beaucoup de plaisir. Il est à la gastronomie ce que le minitel fut à l’informatique : une invention majeure qui aurait pu conquérir le monde, mais qui est restée cantonnée à l’Hexagone. Trop souvent le jambon beurre est détrôné par le hamburger et le sushi, alors qu’il est aussi pratique à manger que ces deux-là, qu’il tient au corps, et qu’il a l’avantage de pouvoir être préparé à l’avance.

Mieux même : les heures le bonifient. Assemblés le matin, les sucs du jambon et du beurre ont toute la matinée pour s’imprégner dans le pain et ainsi exploser en saveur à la pause déjeuner. Que vous soyez sur les marches de l’arche de la Défense, dans un TGV roulant vers la province ou à votre bureau, le jambon beurre peut toujours vous accompagner. Il ne coule pas, contrairement au hamburger, il a du goût, contrairement aux sushis. Mais il ne supporte pas la médiocrité ; ses trois éléments doivent être d’excellente qualité. Baguette molle et surgelée, margarine sans crème, jambon plastifié sont à proscrire. Pour le pain, une baguette de tradition, pas autre chose, à la croute craquelée et brune, une mie alvéolée de couleur crème et bien évidemment un pain froid. La mode qui consiste à vendre du pain chaud est une erreur. Le pain doit refroidir pour que ses saveurs puissent se déployer et que la mie perde son humidité, et gagne donc en goût et en facilité de digestion. Le pain chaud est un pain humide et plein d’eau. Il se conserve moins et il a moins de saveur.

Puis le beurre, tartiné de façon généreuse, mais sans trop. Du beurre de baratte, jaune, crémeux, demi-sel. Avoir un bon crémier à proximité de chez soi est un avantage rare. Pouvoir s’approvisionner en bon beurre tout autant. Inutile de faire des gâteaux et des desserts si le beurre est de mauvaise qualité. Le bon beurre peut presque se consommer seul ; pour le plaisir du goût de noisette et de lait. Le choix du jambon est primordial, mais il permet aussi une grande diversité. Jambon de Paris ou jambon à l’os, le jambon blanc est de sortie. Cuit dans son bouillon de légumes et de saumure, son mode de préparation n’a rien à voir avec les jambons secs. Ceux-ci du reste ne conviennent pas au jambon beurre. D’une chaire rose pâle, ferme et dense, le véritable jambon de Paris a du goût. La couenne elle-même s’apprécie et se fond dans la chair du jambon.

Certains préféreront les tranches un peu épaisses, d’autres fines. Certains mettront leur tranche en entier, d’autres feront des copeaux : il y a plus de goût et de diversité qu’il n’y paraît dans le jambon beurre. Le bistrotier pourra le préparer devant vous, à consommer sur le zinc, ou bien vous l’achèterez dans une bonne boulangerie, à consommer ailleurs. Emmailloté dans de l’aluminium, il pourra tenir la matinée sur le dessus du sac, prêt à être sorti pour la pause déjeuner. En étalant votre quotidien sur votre bureau pour recueillir les miettes et les taches de beurre, vous pourrez déguster et lire en même temps. Un plaisir de roi.