Escapade à Meursault

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dimanche 6 juillet 2014

En venant de Dijon, il y a deux routes possibles pour arriver à Meursault : par la nationale, ou par le vignoble. Par la nationale, on aperçoit au loin les vignes, on devine les villages, on suppute les clochers. Par le vignoble, nous sommes plongés au cœur des plants, on traverse les villages, dont chaque nom résonne aux oreilles des amateurs : Pommard, Volnay, Vosne-Romanée, Monthélie. On découvre soudain que ces noms, lus et répétés sur les étiquettes, s’incarnent, et qu’ils ne sont pas uniquement issus de la formation de l’esprit, mais que leur visage peut se découvrir dans des terres et des paysages. Passer par la nationale ou passer par le vignoble, c’est un peu comme regarder des fauves à travers une grille, ou se balader avec eux.
Sur les murs des maisons se lisent les noms des vignerons. Certains nous sont inconnus, à nous, pas à d’autres, quand d’autres noms nous sont particulièrement familiers. Cette bouteille que l’on ouvrait tous les dimanches, ce liquide avec lequel j’ai fait mon apprentissage, cette cuvée, qui m’a formé le goût et m’a exercé le palais ; c’est d’ici qu’elle vient. En ne connaissant ni le vigneron ni sa famille, se sont pourtant installés, entre lui et nous, une familiarité, une intimité, un rapport d’élévation et d’éducation. Ce sont dans les villages de Bourgogne que nous avons glané un peu, voire beaucoup, de ce qui nous constitue, une fois adulte. Et certains, formés au Bourgogne, n’y mettront jamais les pieds, habitant trop loin, ou bien dans l’incapacité de faire une telle escapade.

Ces paysages que nous avons goûtés, ces coteaux que nous avons sentis, cette lumière que nous avons captée dans le verre, nous pouvons les voir en vrai, sur le terrain ; et la réalité souvent dépasse la fiction. À travers les ruelles de ces villages blancs, apparaissent souvent des statues de pierre, et dans les églises, des bois polychromes. Elles semblent protéger la Bourgogne, apporter la douceur de la saint Vincent, atténuer la rigueur d’un climat parfois trop chaud, qui est familier des coups de grêle et des averses subites. Combien de vignerons ont vu perdre en quelques minutes le fruit de plusieurs années de travail ? Des grêlons comme des œufs de pigeon ou des balles de ping-pong, qui déchiquètent les feuilles, arrachent les fruits, morcellent les grappes, si bien qu’il n’en reste rien. Le sol est jonché de verdure, les rues sont emplies de grêle, qui s’accumule dans les rigoles, et des ruisseaux de boue dégoulinent le long des rues sèches il y a peu. C’étaient les rires et la joie bourguignonne ; nous sommes désormais dans les pleurs, les grincements de dents, la consternation. Ce qui promettait d’être un millésime grandiose fera parler de lui comme l’année du désastre et du tonnerre.

Des familles sont ruinées. À défaut de pouvoir incriminer le ciel, certains maudiront l’État qui ne les a pas protégés. Il fallait mettre des filets, il fallait envoyer des fusées dans le ciel pour détruire les nuages, il fallait que la météo annonce plus tôt la grêle. Trouver un coupable parce que nous ne pouvons pas rester seuls devant la désolation et la solitude des vignes. Ces grappes foulées comme des enfants avortés, ces grains écrasés comme ces bébés à qui l’on retire la vie ; l’avenir qui était devant eux est perdu à jamais.

A suivre.

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