Atlantico : La naissance de l’individu au XXe siècle

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dimanche 11 novembre 2018

Je suis interrogé par Atlantico sur la naissance de l’individu au XXe siècle.

L’année 1918 est, en plus de mettre fin à la Première Guerre mondiale, la fin d’une époque, sinon d’un monde, celui qui avait surgi avec la Révolution française, digérant les tensions entre Ancien Régime et nouvelles sociétés dans un XIXe siècle très mouvementé. Les années 20, années "folles", apparaissent comme une première forme de libéralisation de la société, que ce soit économiquement, politiquement ou encore d’une certaine façon dans les mœurs. Qu’est-ce qui explique ce triomphe de l’individu à la sortie de la guerre en France ?

1918 marque la fin du XIXe siècle et l’entrée dans le XXe siècle. La société d’ordre, héritée de l’ancien régime, disparaît totalement en Europe, notamment du fait de la disparition des Empires. Jusqu’à présent, l’Europe diplomatique était structurée par le traité de Vienne (1815) qui est désormais remplacé par celui de Versailles (1919). Le pouvoir économique n’est plus lié à la possession de la terre, mais à l’investissement dans l’industrie ou le commerce qui, étant plus volatiles, font et défont les fortunes.

La naissance de l’individu n’est pas tant lié à la guerre qu’aux évolutions techniques. La presse, par exemple, était très collective au cours du XIXe siècle : il y avait très peu de titres. Avec la baisse du prix du papier et l’amélioration technique des tirages (couleurs, formats), elle devient davantage pluraliste et peut s’adresser à des publics différents. On voit ainsi apparaître une presse féminine, une presse pour les enfants (La semaine de Suzette), une presse sportive (L’Auto). Elle répond donc aux goûts et aux attentes des individus. Le même phénomène se produit avec la télévision et la radio. Quand la télévision coûtait cher, il n’y en avait qu’une seule par foyer, et donc tout le monde regardait la même émission. Aujourd’hui, chaque personne peut regarder les émissions voulues sur une télévision ou un téléphone.

Il est vrai qu’après la guerre, il y a eu une volonté de profiter de la paix et de la vie, ce qui a entraîné cette génération de fêtes et de joie. Mais cela est surtout un phénomène urbain. Les campagnes n’ont pas trop changé entre 1910 et 1930 ; leur grande transformation survient à partir de 1950.

Qu’est-ce qui a concrètement changé pour que l’individu devienne le fondement de la société du XXe siècle (malgré l’opposition du collectivisme jusqu’en 1990) ?

Les évolutions techniques, dont nous avons parlé, qui permettent de mieux répondre aux désirs des individus, et aussi de susciter ses désirs, notamment via la publicité. Les premières réclames apparaissent d’ailleurs au cours des années 1920, à la radio et dans le métro. On se souvient notamment de la célèbre publicité pour Dubonnet : Du beau, du bon, Dubonnet.

Le système démocratique conduit aussi à donner le pouvoir à l’individu et à prendre en compte ses revendications. Ce qui a aussi changé, c’est l’atomisation du travail. Au début du XXe siècle, le système social est assez simple : il y a les paysans, les ouvriers et le monde des petits commerçants. À cela s’ajoutent les classes d’élite : notaires, médecins, avocat, etc. Du fait des évolutions économiques, cette répartition sociale n’existe plus. Les métiers sont beaucoup plus divers et différents, si bien que plus personne ne s’identifie à une grande catégorie sociale qui pourrait donner le sentiment d’appartenir à un groupe bien défini. Le terme de cadre est par exemple très flou. Les cadres n’ont pas le sentiment d’appartenir à un groupe social particulier.

Cent ans après ce triomphe de l’individualisme, où en sommes-nous ? Qu’est-ce que le XXe siècle nous a appris sur les succès et échecs de l’individualisme ?

Le succès, c’est la meilleure prise en compte des goûts et des particularités de chacun. Cela est marqué notamment dans les études : chaque personne peut faire les études qui lui plaisent et qui répondent à ses goûts, et ainsi travailler dans des secteurs très variés. Beaucoup de ces secteurs et de ces métiers n’existaient pas il y a encore trente ans. D’autres se sont profondément transformés.

L’échec, c’est l’atomisation du corps social. Si l’individu est maître et tyran, qu’est-ce qui fonde une société, qu’est-ce qui nous fait appartenir à un même groupe ? D’où l’incompréhension du sens des combats et de la mort des millions de soldats de la Grande Guerre. On semble incapable de comprendre que ces personnes ont combattu et donné leur vie pour un idéal plus grand qu’eux, qui dépasse leur simple personne : la patrie, la France, la liberté du pays.

Peut-on considérer que notre époque réagit à l’atomisation de la société par l’individualisme, en tentant de redonner de l’importance aux unités intermédiaires ?

Le grand atout de la France, c’est le réseau et la variété de ses associations. Il y a des milieux de bénévoles qui donnent de leur temps pour s’occuper des autres, par exemple dans des clubs sportifs ou des associations culturelles. Ils le font gratuitement, mais cette activité est indispensable au lien social. Elle permet aussi l’inclusion des enfants et leur assure une éducation et une instruction dans un cadre différent de celui de la famille et de l’école. On apprend beaucoup sur un terrain de sport ou dans un conservatoire de musique.

En revanche, cela n’endigue en rien le communautarisme. Il y a désormais en France différents groupes culturels et humains qui vivent les uns à côté des autres, sans réel contact ni sentiment d’appartenance commune. Et nous n’avons pas encore trouvé de solution pour bâtir une nation avec l’ensemble de ces communautés.

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