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vendredi 9 novembre 2012
Le 9 novembre nous commémorons la chute du mur de Berlin, en 1989, événement important d’un processus qui a permis la dissolution du communisme étatique, conduisant à la disparition de l’URSS le 25 décembre 1991.
Aux historiens maintenant d’expliquer pourquoi le communisme s’est effondré, pourquoi à ce moment là, et pourquoi en Russie. L’erreur serait de croire que les événements ont lieu parce qu’ils devaient avoir lieu. Parce que le communisme était une idéologie intrinsèquement perverse, pour reprendre les mots de Pie XI dans Divini Redemptoris, il devait forcément disparaître. De cela, rien n’est moins sûr. Nombreux sont les pays communistes qui ont survécu à la chute de l’URSS : Cuba, la Corée du Nord, la Chine, le Venezuela, la Bolivie. On aurait tort de mettre cette permanence sur le compte de l’exotique, il y a des raisons plus profondes à ce maintien d’un régime autoritaire, que les spécialistes sont à même d’expliquer.
Comment donc la Russie s’est-elle débarrassée du totalitarisme communiste, présent depuis 1917 dans un pays qui, selon les propos mêmes de Marx, n’était pas fait pour l’accueillir ? L’arrivée du communisme en Russie semble une énigme ; son départ tout autant. Parmi les éléments de réponse, nous pouvons analyser ceux fournis par le pape Jean-Paul II, dans sa lettre encyclique Centesimus annus parue en 1991. Cette lettre est écrite pour commémorer l’encyclique de Léon XIII Rerum novarum, parue un siècle plus tôt, en 1891. La lettre de Jean-Paul II paraissant au mois de mai 1991 elle ne tient pas compte, bien évidemment, de la chute de l’URSS survenue au mois de décembre 1991, ni de l’effondrement du communisme politique dans les pays d’Europe centrale. Toutefois, le phénomène de disparition étant enclenché depuis novembre 1989, le pape a analysé les raisons de cette disparition dans une partie intitulée « L’année 1989 ».
Nous reproduisons ici des extraits de cette lettre, et nous terminons par quelques commentaires.
Extraits de Centesimus annus.
III. L’année 1989
23. Parmi les nombreux facteurs de la chute des régimes oppressifs, certains méritent d’être rappelés d’une façon particulière. Le facteur décisif qui a mis en route les changements est assurément la violation des droits du travail. On ne saurait oublier que la crise fondamentale des systèmes qui se prétendent l’expression du gouvernement et même de la dictature des ouvriers commence par les grands mouvements survenus en Pologne au nom de la solidarité. Les foules ouvrières elles-mêmes ôtent sa légitimité à l’idéologie qui prétend parler en leur nom, et elles retrouvent, elles redécouvrent presque, à partir de l’expérience vécue et difficile du travail et de l’oppression, des expressions et des principes de la doctrine sociale de l’Église.
Un autre fait mérite d’être souligné : à peu près partout, on est arrivé à faire tomber un tel « bloc », un tel empire, par une lutte pacifique, qui a utilisé les seules armes de la vérité et de la justice. Alors que, selon le marxisme, ce n’est qu’en poussant à l’extrême les contradictions sociales que l’on pouvait les résoudre dans un affrontement violent, les luttes qui ont amené l’écroulement du marxisme persistent avec ténacité à essayer toutes les voies de la négociation, du dialogue, du témoignage de la vérité, faisant appel à la conscience de l’adversaire et cherchant à réveiller en lui le sens commun de la dignité humaine.
Apparemment, l’ordre européen issu de la Deuxième Guerre mondiale et consacré par les Accords de Yalta ne pouvait être ébranlé que par une autre guerre. Et pourtant, il s’est trouvé dépassé par l’action non violente d’hommes qui, alors qu’ils avaient toujours refusé de céder au pouvoir de la force, ont su trouver dans chaque cas la manière efficace de rendre témoignage à la vérité. Cela a désarmé l’adversaire, car la violence a toujours besoin de se légitimer par le mensonge, de se donner l’air, même si c’est faux, de défendre un droit ou de répondre à une menace d’autrui (54). Encore une fois, nous rendons grâce à Dieu qui a soutenu le cœur des hommes au temps de la difficile épreuve, et nous prions pour qu’un tel exemple serve en d’autres lieux et en d’autres circonstances. Puissent les hommes apprendre à lutter sans violence pour la justice, en renonçant à la lutte des classes dans les controverses internes et à la guerre dans les controverses internationales !
24. Comme deuxième facteur de crise, il y a bien certainement l’inefficacité du système économique, qu’il ne faut pas considérer seulement comme un problème technique, mais plutôt comme une conséquence de la violation des droits humains à l’initiative, à la propriété et à la liberté dans le domaine économique. Il convient d’ajouter à cet aspect la dimension culturelle et nationale : il n’est pas possible de comprendre l’homme en partant exclusivement du domaine de l’économie, il n’est pas possible de le définir en se fondant uniquement sur son appartenance à une classe. On comprend l’homme d’une manière plus complète si on le replace dans son milieu culturel, en considérant sa langue, son histoire, les positions qu’il adopte devant les événements fondamentaux de l’existence comme la naissance, l’amour, le travail, la mort. Au centre de toute culture se trouve l’attitude que l’homme prend devant le mystère le plus grand, le mystère de Dieu. Au fond, les cultures des diverses nations sont autant de manières d’aborder la question du sens de l’existence personnelle : quand on élimine cette question, la culture et la vie morale des nations se désagrègent. C’est pourquoi la lutte pour la défense du travail s’est liée spontanément à la lutte pour la culture et pour les droits nationaux.
Mais la cause véritable de ces nouveautés est le vide spirituel provoqué par l’athéisme qui a laissé les jeunes générations démunies d’orientations et les a amenées bien souvent, dans la recherche irrésistible de leur identité et du sens de la vie, à redécouvrir les racines religieuses de la culture de leurs nations et la personne même du Christ, comme réponse existentiellement adaptée à la soif de vérité et de vie qui est au cœur de tout homme. Cette recherche a été encouragée par le témoignage de ceux qui, dans des circonstances difficiles et au milieu des persécutions, sont restés fidèles à Dieu. Le marxisme s’était promis d’extirper du cœur de l’homme la soif de Dieu, mais les résultats ont montré qu’il est impossible de le faire sans bouleverser le cœur de l’homme.
25. Les événements de 1989 donnent l’exemple du succès remporté par la volonté de négocier et par l’esprit évangélique face à un adversaire décidé à ne pas se laisser arrêter par des principes moraux ; ils constituent donc un avertissement pour tous ceux qui, au nom du réalisme politique, veulent bannir de la politique le droit et la morale. (…)
On ne peut cependant ignorer les innombrables conditionnements au milieu desquels la liberté de l’individu est amenée à agir ; ils affectent, certes, la liberté, mais ils ne la déterminent pas ; ils rendent son exercice plus ou moins facile, mais ils ne peuvent la détruire. Non seulement on n’a pas le droit de méconnaître, du point de vue éthique, la nature de l’homme qui est fait pour la liberté, mais en pratique ce n’est même pas possible. Là où la société s’organise en réduisant arbitrairement ou même en supprimant le champ dans lequel s’exerce légitimement la liberté, il en résulte que la vie sociale se désagrège progressivement et entre en décadence. (…)
26. Les événements de 1989 se sont déroulés principalement dans les pays d’Europe orientale et centrale. Ils ont toutefois une portée universelle, car il en est résulté des conséquences positives et négatives qui intéressent toute la famille humaine. Ces conséquences n’ont pas un caractère mécanique ou fatidique, mais sont comme des occasions offertes à la liberté humaine de collaborer avec le dessein miséricordieux de Dieu qui agit dans l’histoire. (…)
Commentaires :
23. Le facteur décisif de la chute du communisme est la violation du droit du travail. Les ouvriers se sont eux-mêmes révoltés contre cette violation, pour demander plus de justice et le respect de leur dignité. Le coup a ainsi été porté par ceux-là mêmes que le régime disait défendre. Les ouvriers ont donc ôté sa légitimité au régime, en montrant qu’il ne respectait pas la classe ouvrière, celle-là même qu’il était censé défendre.
Cette lutte a donc détruit un mensonge, celui qui permettait de couvrir la violation des droits humains. Et cette lutte s’est faite de façon pacifique, sans guerre ou affrontement violent, si bien que le régime n’a pas pu répondre par la violence à des manifestations pacifiques, lui ôtant ainsi tout moyen d’action. L’ordre de Yalta, imposé par les armes et par la guerre, a été bouleversé par la vérité et la justice.
La violence, en effet, doit se légitimer par le mensonge, elle doit donner l’impression de défendre un droit. Les manifestations ouvrières, notamment celle de Solidarnosc, ont mis le régime à nu, elles ont montré le caractère violent et mensonger du régime. La défense de la justice, et la mise à jour de la vérité ont permis d’abattre le communisme.
24. Le deuxième facteur est celui de l’inefficacité du système économique. Mais le pape nous rappelle que cette inefficacité n’est pas due à un problème technique, mais humain. Le communisme, en violant les droits humains fondamentaux, comme la libre initiative, la propriété privée, la liberté dans le domaine économique, n’a pas permis le développement sain et continu des pays où il s’exerçait.
Ce qui signifie qu’il n’y a pas d’opposition entre le réalisme politique et le respect moral. Quand l’éthique et la morale ne sont pas respectées, la politique n’arrive pas à ses fins véritables ; le système ne fonctionne pas. Le premier des réalismes est donc d’avoir une attitude morale.
Il y a aussi la lutte pour la culture et pour les droits nationaux. L’homme ne peut se réduire au domaine économique, il n’est pas qu’un agent économique consommant. L’homme est avant tout un être de culture, c’est-à-dire qu’il a une pensée et une attitude face aux grandes questions de l’existence que sont la vie et la mort, et face à l’interrogation de la transcendance divine.
On arrive ainsi au troisième facteur de cette chute : le vide spirituel laissé par l’athéisme. Le vide spirituel, c’est la certitude de l’absurde et de la vacuité de la vie. Si la vie est inutile, seule la mort est l’horizon. Or personne ne veut véritablement de la mort. Alors, face à ce vide, la jeunesse n’a le choix qu’entre deux types de plein : soit se remplir de satisfactions matérielles et d’oublis terrestres, comme la pornographie, l’alcoolisme et la drogue, soit se remplir de considérations spirituelles, ce qui passe par la redécouverte du sens profond de la vie.
La société communiste a été gangrenée par l’alcoolisme, par les viols et les violences faites aux femmes, par l’usage massif des drogues. Elle en porte encore des traces durables aujourd’hui. L’effondrement dramatique de la natalité est aussi une cause de cette perte du sens de la vie, et du manque de croyance et de foi dans l’avenir.
25. Les événements de 1989 sont un avertissement pour tous ceux qui veulent bannir le droit et la morale au nom du réalisme politique. On ne peut retirer la liberté de l’homme. La nature de l’homme est faite pour la liberté ; quand cette liberté est réduite ou limitée, alors la société entre en décadence.
D’autre part, avec la fin de l’ordre de Yalta, 1989 marque le véritable début de l’après-guerre ; ce qui est véritablement ressenti comme tel par les populations d’Europe centrale.
Le régime communiste s’est caractérisé par la violation du droit, la violation de la morale et la violation de la nature de l’homme. Pour couvrir ces violations simultanées, le régime a dû se couvrir de mensonges, il a dû définir sa propre vérité, pour tenter de faire croire qu’il défendait le droit. Ce système peut durer longtemps, sauf si des hommes sont décidés à y mettre un terme.
C’est là que des hommes, mus par leur culture, leur foi, et la conscience de leur dignité, ont manifesté pacifiquement pour abattre le mur du mensonge, et faire advenir la vérité. Pourquoi là, pourquoi dans cette Europe ? Parce que c’est là que se trouvaient des hommes de haute culture, de longue civilisation, des hommes à la conscience nationale forte.
Eux seuls ont pu mettre à jour la vérité sur la violation du droit du travail et faire éclater le mensonge. Eux seuls ont pu montrer que le régime fonctionnait à rebours du droit et du respect moral élémentaire. Enfin eux seuls ont cherché à combler le vide spirituel de l’athéisme communiste, par une recherche de la transcendance divine, et non par la fuite en avant dans des paradis artificiels.
Si l’idéologie communiste est un système de pensée intrinsèquement pervers et opposé à l’homme, seul l’homme avait en lui les moyens de l’abattre ; il était inutile d’attendre qu’il tombe de lui-même. Ceci explique que là le communisme se soit effondré, et que là-bas il perdure encore.