Pagnol : l’écrivain des secrets

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mercredi 2 mai 2018

Marcel Pagnol est un écrivain à redécouvrir et à relire. Il nous a laissé des films grandioses qui comptent parmi les meilleurs du cinéma français, comme la trilogie marseillaise, et des films issus de ses œuvres, comme ceux qu’Yves Robert a tournés au cours des années 1990. Mais Pagnol, c’est d’abord un écrivain. Le Temps des secrets et Le Temps des amours terminent ses mémoires et complètent La Gloire de mon père et Le château de ma mère. Le quatrième volume ayant été publié de façon posthume. On y poursuit la vie marseillaise du garçon, son entrée au lycée (que l’on appelle désormais collège), la découverte de l’amour et les grandes amitiés.

Pagnol écrit avec une langue simple, sobre, et maîtrisée. Les passés simples et les subjonctifs sont toujours à propos, et il a le sens de la formule, des phrases et des tournures. Il sait d’abord raconter des histoires ; et de ces histoires simples se dessine une philosophie de la vie. Entre le château de ma mère et le temps des secrets on voit Marcel et Lili grandir. Fini le temps des jeux innocents dans la colline. Lili, à peine dix ans, est désormais en âge de travailler et son père l’embauche pour les travaux des champs : moissonner le blé, ramasser les olives, faire les bocaux. Nous sommes dans les années 1900 et les enfants travaillent, parce que la machine ne les a pas encore remplacés. Ce n’était pourtant pas il n’y a pas si longtemps, mais c’est toute une civilisation qui a changé depuis.

Pour se rendre de Marseille, où ils habitent, à la Treille, non loin d’Aubagne, leur mas de vacances, les Pagnol mettent plus de quatre heures, en tramway, puis à pied. Aujourd’hui, il faut à peine trente minutes de voiture. Le Garlaban d’Aubagne est toujours là, mais il n’est plus couronné de chèvres et les chevriers ont disparu. Une autre civilisation a émergé, en une vie humaine, ce qui ne s’était jamais vu.

Les professeurs liront les pages consacrées au lycée de Marcel non sans une certaine nostalgie. Cela donne la photographie d’une époque où l’école fonctionnait. Classes de garçons et classes de filles, ordre et discipline, latin, français, histoire et mathématiques ; ce qui n’empêche pas les blagues, les retenues et les blâmes. Les enfants, malgré tout, restent des enfants. En filigrane, Pagnol dessine l’impasse de l’idéologie républicaine militante de son père. Lui seul semble encore croire à sa fonction de hussard de la République. L’anticléricalisme est à la mode, mais ce n’est pas la religion politique de substitution qu’il promeut qui pourra nourrir l’esprit de ces enfants. Joseph Pagnol et l’oncle Jules, qui va à la messe, se taquinent. Dans les romans de Pagnol, la politique n’est jamais poussée à bout ; elle se devine, mais n’est pas la trame des romans, bien que l’époque en fût chargée et tumultueuse. C’est aussi pour cela que tout le monde peut lire ses romans et y retrouver une part de lui-même, car ils évitent de fracturer une société française bien fragile.

Pagnol a le génie des mots et des phrases et sa prose coule aussi prestement que l’eau claire de ses montagnes. Il a réussi à parler d’un lieu, Marseille et les collines d’Aubagne, et d’un homme, lui quand il était enfant, mais de le faire de telle façon que ce lieu et cet enfant deviennent universels et parlent au cœur de chaque homme. Ce ne sont pas des romans régionalistes dans ce qu’ils ont de fermé et d’étriqué, mais des romans qui puisent leurs sources dans un lieu pour irriguer la littérature universelle. Les pages de Pagnol sont des pages d’histoire, mais aussi des pages de réflexion sur ce qu’est la vie.

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