Nouveau bac, nouvelle usine à gaz

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vendredi 15 mars 2019

La nouvelle réforme du lycée devait simplifier l’épreuve du bac et rehausser son niveau. En réalité, nous aurons tout l’inverse.

Faux contrôle continu, vrai examen

D’abord la mise en place d’un faux contrôle continu. Quand le ministre a annoncé la mise en place du contrôle continu au bac, tout le monde pensait que les notes des élèves obtenues durant l’année scolaire allaient être intégrées au calcul de la note finale du bac. Cela aurait été un vrai contrôle continu. Il n’en est rien. En réalité, la réforme met en place un examen continu, qui va considérablement alourdir les procédures administratives et complexifier l’épreuve du baccalauréat. Citons les documents officiels :

Le contrôle continu : 40% de la note finale
Le contrôle continu reposera sur des épreuves communes organisées au cours des années de première et de terminale.
À titre indicatif, ces épreuves communes pourront avoir lieu en janvier et avril de l’année de première, puis en décembre de l’année de terminale. L’organisation relèvera des établissements.
Pour garantir l’égalité entre les candidats et les établissements scolaires, une "banque nationale numérique de sujets" sera mise en place, les copies anonymes seront corrigées par d’autres professeurs que ceux de l’élève. Une harmonisation sera assurée.
Les bulletins scolaires seront pris en compte pour une part limitée (10%) de la note finale afin de valoriser la régularité du travail de l’élève.

Traduction : jusqu’à présent, les lycéens avaient une série d’épreuves écrites à la fin de la Terminale. Désormais, ils auront trois séries d’épreuves écrites, deux en Première et une en Terminale. Ce qui signifie beaucoup plus de copies à corriger et d’épreuves à organiser. Ce n’est plus un bac à organiser, mais trois ! Avec à chaque fois des professeurs mobilisés, des suppressions de cours, des contraintes techniques lourdes. Loin de simplifier l’épreuve du bac, la réforme Blanquer crée une énorme machine qu’il va être très compliqué de manœuvrer. Cela signifie aussi que les professeurs devront aller tous au même rythme, afin que leurs élèves puissent passer les épreuves en janvier et en avril durant la Première. Fini les apprentissages sur le temps long. Le lycée ne sera plus un lieu d’apprentissage, mais un bachotage permanent. Il ne sera plus possible d’échouer à un devoir blanc, car tout sera désormais sous l’emprise du bac.

Quid de la « banque nationale numérique des sujets » ? Ce sont les professeurs qui choisiront les sujets sur lesquels leurs élèves devront plancher. Or les résultats seront intégrés au bac et à Parcoursup. Comment pourra-t-on alors garantir que le professeur ne communique pas à l’avance les sujets à ses élèves ? Et s’il peut le faire, pourquoi s’en priverait-il ? Cette machinerie administrative l’incite grandement à cela.

L’année se termine en décembre

Cette réforme donne l’impression que ces concepteurs n’ont jamais eu d’élèves en face d’eux. Prenons le cas de la Terminale : les épreuves écrites doivent avoir lieu en décembre. Et ensuite, que feront les élèves ? Croyez-vous qu’ils prendront la peine de travailler leurs cours s’ils savent qu’il n’y aura plus d’examens écrits ni d’épreuves ? D’autant que décembre signe aussi la fin des notes à intégrer dans Parcoursup. Dans les faits, cela signifie que l’année de travail utile en Terminale va s’arrêter en décembre ! C’est vraiment une belle réussite pour celui qui ne cessait de proclamer sa volonté de reconquérir le mois de juin.

Le n’importe quoi du grand oral

L’épreuve phare du nouveau bac sera le grand oral, préparé sur deux ans, en Première et en Terminale. Une sorte de TPE en plus grand et en plus ambitieux. Pour les parents d’élèves, si vous voulez savoir ce que sont les TPE demandez à vos enfants avec quel sérieux ils ont préparé cette épreuve et observez leur réaction. C’est généralement du grand n’importe quoi, qui se termine par une pièce de théâtre de mauvaise qualité agrémentée de quelques diapositives d’un mauvais PowerPoint. Le jury est quasiment contraint de donner au minimum la note de 12 au groupe de TPE.

Voici comment est présenté le grand oral dans les textes officiels :

Un oral d’une durée de 20 minutes préparé tout au long du cycle terminal : savoir s’exprimer dans un français correct est essentiel pour les études, pour la vie personnelle et professionnelle. Parce que l’aisance à l’oral constitue un marqueur social, il convient justement d’offrir à tous les élèves l’acquisition de cette compétence. L’épreuve orale repose sur la présentation d’un projet préparé dès la classe de première par l’élève.
Cet oral se déroulera en deux parties : la présentation du projet, adossé à un ou deux enseignements de spécialité choisis par l’élève et un échange à partir de ce projet permettant d’évaluer la capacité de l’élève à analyser en mobilisant les connaissances acquises au cours de sa scolarité, notamment scientifiques et historiques. Le jury sera composé de deux professeurs.

Dans les faits, on peut penser que l’oral sera surtout préparé à partir du mois de janvier de l’année de Terminale. Nous sommes tout à fait d’accord pour dire qu’il est important de savoir s’exprimer à l’oral et de pouvoir parler avec aisance. Pour cela, il faut d’abord maîtriser correctement la langue française, ce qui n’est pas le cas d’un grand nombre d’élèves. Des épreuves orales existent déjà : en Première, avec l’épreuve de français et en Terminale avec les épreuves de langues étrangères. On nous annonce deux ans de préparation pour un oral qui va durer dix minutes, suivi de dix minutes de questions. La disproportion entre l’importance accordée à l’épreuve et sa réalité est grande. Il va être en outre difficile de noter cette épreuve, éminemment subjective, qui pourra donner lieu à de nombreuses discriminations, positives ou négatives.

Le jury sera composé de deux professeurs. À l’origine du projet, il était prévu qu’il y ait quatre personnes dans les jurys : deux professeurs du secondaire, un professeur d’université, un professionnel extérieur. Dans un précédent article, j’avais expliqué pourquoi les syndicats s’opposeraient à l’intrusion de personnes extérieures à l’Éducation nationale dans la notation du baccalauréat : il ne faut surtout pas que des personnes étrangères au système se rendent compte de la façon dont celui-ci fonctionne. Ils ont gagné : exit le professeur d’université et le professionnel ; la notation se fera dans l’entre soi et tout restera dans la corporation.

Comment est noté le bac

Je terminerai enfin par une triste anecdote, rapportée par un ami professeur à l’Université, qui permettra aux personnes étrangères au système d’avoir un aperçu de son fonctionnement. Comme chacun le sait, le baccalauréat est le premier des grades universitaires. Le diplôme doit donc être délivré par le recteur d’académie et un professeur d’université doit siéger comme président du jury. C’est l’Université qui délivre le grade de bachelier, non les lycées.

Voilà donc cet ami convoqué pour siéger comme président d’un jury de bac. Comme c’est une convocation, il doit s’y rendre, cela correspond à une obligation de service. C’est la première fois qu’il était convoqué à ce type de jury. Il arrive donc à l’heure dite et au lieu prévu pour présider le jury du bac. Stupeur des professeurs présents lorsqu’il est arrivé : il lui a été clairement dit que normalement le président convoqué ne venait pas présider le jury. Visiblement, il dérangeait et personne ne souhaitait sa présence. Il a joué le jeu et il s’est gardé d’intervenir, acceptant toutes les demandes des membres du jury, qui concernaient surtout la valorisation des notes obtenues afin que les impétrants puissent avoir une mention ou bien le bac. Même passif, sa présence dérangeait. Au bout d’un certain temps un professeur, visiblement délégué syndical, lui a demandé s’il pouvait sortir de la salle pour que les membres du jury puissent délibérer tranquillement. Il a obtempéré. Voilà donc notre président du jury dans le couloir à attendre que les délibérations se terminent. Une fois fait, il a été autorisé à rentrer dans la salle pour signer les procès-verbaux.

Cela ne se passe pas ainsi dans tous les jurys de bac. Mais cela permet de comprendre pourquoi les deux intervenants extérieurs initialement prévus dans le jury du grand oral ont été supprimés. Il ne faut pas que des personnes extérieures découvrent le fonctionnement interne de la machine.

Le nouveau bac est donc une grande usine à gaz dont nous observerons le fonctionnement et les couacs quand celle-ci s’ébranlera. Il n’est pas l’œuvre de Jean-Michel Blanquer. Cette réforme était dans les cartons, Najat Vallaud-Belkacem l’avait annoncée et un autre ministre aurait peu ou prou fait la même chose. Dans l’Éducation nationale, c’est l’État profond du Ministère qui dirige, pas le ministre. Pas sûr néanmoins que les élèves aient beaucoup gagné à cette réforme.

Article paru dans Contrepoints

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