Les chrétiens dans l’Empire romain 3/3

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samedi 15 mars 2014

IV – De Commode (180) à Dioclétien (284) : cent ans d’incohérence

Avant tout, ces cent ans sont une période d’instabilité : 33 empereurs se succèdent.

Cette multitude d’empereurs amène autant de politiques différentes envers le christianisme, donc une alternance incohérente de périodes de persécutions et de périodes de tolérance. On est très loin de la ligne de conduite tenue par les autorités du deuxième siècle, à partir du rescrit de Trajan.

La fin du deuxième siècle est un nouveau tournant. Le christianisme, sans violence, est en train de changer la société. Sans pour autant que les persécutions s’arrêtent, un débat a le mérite de s’engager parmi les politiques et les intellectuels. Faut-il continuer à martyriser ces gens, dont le seul « crime » est d’être chrétiens, et qui sont, on la sait partout dans l’empire, de toute façon inoffensifs ? Faut-il tolérer, composer, ou combattre ?

Le règne de Marc-Aurèle prend fin en mars 180. C’est son fils Commode qui lui succède.

Dans un premier temps, Commode, qui conserve les conseillers de son père, laisse s’appliquer la loi, et donc les persécutions. Vers 184, il se sépare d’eux. N’étant plus sous leur influence, il opte pour l’indulgence envers les fidèles. Il faut dire aussi que son esprit, qui n’a jamais été solide, vacille de plus en plus, et qu’il a été bien aidé pour prendre cette décision, par une jeune et belle esclave nommée Marcia, dont il est très amoureux. Marcia n’est pas chrétienne, mais catéchumène.

Il semble qu’elle n’a jamais été baptisée, sacrement peu compatible avec le fait qu’elle soit la maîtresse de l’empereur, mais l’Eglise ferme les yeux sur son statut, car elle lui rend bien des services. Elle demande par exemple à Commode de libérer tous les fidèles envoyés dans les mines de Sardaigne. L’empereur ne se pose pas de questions, ne discute pas : il s’exécute ! C’est une première, même si sa santé mentale est chancelante, et qu’il a agi pas précisément pour des raisons humanitaires. De ce fait, la situation change dans tous les tribunaux : plus question de persécuter des gens mieux vus du pouvoir.

Cette politique de tolérance, le successeur de Commode, l’empereur Septime Sévère, la poursuit pendant une dizaine d’années, de son arrivée au pouvoir, en 193, jusqu’à 202, année au cours de laquelle les persécutions reprennent. Elles sont la réaction de Septime Sévère à une nouvelle apologie, rédigée par Tertullien, païen converti, et ordonné prêtre. Ancien avocat, il sait manier la plume, mais il est aussi volontiers polémiste. Cela se sent dans la forme de son Apologétique, la plus belle et la meilleure défense du christianisme qui ait jamais été écrite auparavant, mais qui tient aussi du brûlot.

Il écrit notamment ceci : « Combien de fois par la passé, et sans votre permission, une foule hostile s’en est-elle prise à nous, à coups de pierres ou avec des torches incendiaires ? Dans une folie digne des Bacchanales, l’on n’a même pas épargné les chrétiens morts. Arrachés au repos de la tombe, cet asile des défunts, des cadavres méconnaissables, déjà à demi décomposés, ont été déchirés, démembrés. Et pourtant, quelles représailles punissant de telles insultes pouvez-vous reprocher à ce peuple si uni et si courageux même face au trépas ? Alors qu’une seule petite nuit et quelques petites torches suffiraient largement à nous venger, s’il nous était permis de rendre le mal pour le mal ! […] Et même si nous voulions agir, non comme des vengeurs secrets mais comme des ennemis déclarés, est-ce que les troupes nous manqueraient ? […] Nous ne sommes que d’hier, et nous remplissons déjà la terre entière. [...] Nous pouvons faire le compte de vos troupes : les chrétiens d’une seule province sont plus nombreux. »

Autrement dit, les chrétiens ont été martyrisés jusque-là sans qu’ils réagissent, mais ils sont maintenant si nombreux que cela pourrait changer… Septime Sévère voit une menace dans cette apologie. Il prend peur, et, comme souvent, la réaction impériale est violente : il publie un édit qui aggrave la législation antérieure. Il est désormais interdit de convertir et de se convertir.

Septime Sévère meurt en février 211. C’est son fils aîné, Caracalla, qui lui succède. Dès 212, l’empereur met fin aux persécutions, sans abolir pas pour autant la législation anti-chrétienne. Il se dit d’une grande piété, mais son panthéon est particulier : tous les dieux y ont leur place. Pourquoi pas celui des chrétiens ? Cette tolérance est aussi politique : il vaut mieux se concilier, et non affronter la force que constitue le christianisme, à l’heure où les fidèles représentent 15 à 20 % de la population de l’empire. Les chrétiens profitent de cette nouvelle accalmie, qui va durer 36 ans, si on excepte le règne de Maximin (235-238), pour construire leurs premières églises.

Cette période de paix est interrompue en 248, année de l’avènement de Dèce, que les fidèles surnomment « le grand serpent », tellement il se révèle un impitoyable persécuteur.

Comme souvent, tout commence pourtant par une intention louable, qui tourne au drame : face à la décadence de l’empire, Dèce veut un peuple solidaire, uni autour de lui. Pour cela, il demande à tous ses sujets de sacrifier publiquement à Rome et à lui-même. Malheureusement, comme il ne connaît pas le christianisme, il n’a sûrement pas imaginé les conséquences de sa décision. Car, en effet, obéir à cet ordre est impossible pour les chrétiens, fidèles au premier Commandement. Il fait donc des milliers de martyrs, dont le pape Fabien, en janvier 250, et trois des évêques qu’il a envoyés en Gaule, pour évangéliser et organiser les Eglises locales : Sernin, à Toulouse, Gatien, à Tours, et Denis, premier évêque de Lutèce.

Dèce meurt au combat, en 251. Le pouvoir revient alors à Gallus, puis à Valérien, en 253, qui suspend les persécutions, pour trois ou quatre ans. Cette période passée, l’empereur s’exaspère progressivement, car il sait que les communautés de fidèles ont de l’argent, alors que les caisses de l’état sont vides. Or, Valérien a besoin d’argent pour combattre les barbares et les Perses. Il n’a plus qu’une idée en tête : confisquer les richesses des chrétiens. Le 10 août 258, il fait un martyr célèbre, Laurent, diacre chargé de l’administration des finances de l’Eglise, et bras droit du pape Sixte II.

L’arrestation de Laurent procure à l’empereur l’espoir de faire main basse sur l’argent de l’Eglise. Entre le martyre de Sixte II et la comparution de Laurent, trois jours se passent, pendant lesquels Laurent en profite pour distribuer tout l’argent qu’il détient encore. Il se présente devant le juge, accompagné de tout un groupe de miséreux, qu’il désigne en disant : « Tu m’as demandé de t’apporter les trésors de l’Eglise, les voici ». Le juge n’apprécie pas son humour, et le condamne au gril.

La fin du règne de Valérien ramène un calme, toujours relatif, qui dure jusqu’à l’avènement de Dioclétien, en 284.

V – De Dioclétien (284) à Constantin (313) : la dernière épreuve et la délivrance

Première chose à faire pour le nouvel empereur : stabiliser l’empire, victime de son gigantisme.

Son idée : le séparer en deux parties, occidentale et orientale, chacune des deux moitiés étant dirigée par son propre empereur, un Auguste. Dioclétien décide de devenir Auguste d’Orient, et il choisit, comme Auguste d’Occident, un certain Maximien. Comme les deux hommes ont déjà la cinquantaine, ils désignent chacun un César, c’est-à-dire un vice-empereur, qui sera appelé plus tard à succéder à son Auguste : Galère pour Dioclétien, et Constance pour Maximien. C’est donc une direction à quatre têtes, une tétrarchie, qui s’installe aux commandes de l’empire.

Des premières années de cette tétrarchie, les fidèles n’ont pas à se plaindre. Dioclétien, par exemple, n’a rien à reprocher aux chrétiens, qu’il a toujours trouvés dévoués et courageux. De plus, les fidèles sont presque majoritaires en Orient. Pourquoi s’en faire des ennemis ? Il s’agit simplement de la poursuite de la tolérance en vigueur depuis plusieurs années. Tolérance seulement, donc suspension, et non pas abolition de la législation anti-chrétienne, ce qui signifie que les persécutions peuvent reprendre à tout moment. Elles repartent en effet, dès 287, à l’instigation de Maximien, l’Auguste d’Occident, qui fait exécuter des dizaines de soldats chrétiens, car ils ont refusé de prêter serment aux dieux.

Le calme revient ensuite jusqu’à ce que Galère déclenche à nouveau les hostilités. Durant l’été 297, il entend parler de quelques cas isolés de fidèles, objecteurs de conscience, qui refusent de s’enrôler. Il n’a jamais eu beaucoup confiance envers ses soldats chrétiens, mais là, il doute d’eux de plus en plus. Il engage une vaste purge dans ses légions, destinée à en éliminer tous les fidèles. L’épuration gagne, en Occident, les territoires administrés par Maximien.

Des persécutions, Dioclétien s’est, jusque-là, toujours tenu à l’écart. C’était compter sans Galère, païen forcené, qui déteste les chrétiens, et qui entend bien obtenir de Dioclétien un édit de persécution générale. Ainsi, le César d’Orient sape lentement la confiance de Dioclétien envers les fidèles. Ce bourrage de crâne va durer cinq ans. Fin 302, début 303, il réussit son coup, puisque Dioclétien, usé, fatigué, cède, et laisse les mains libres à Galère pour sa politique anti-chrétienne.

En février 303, est publié par Dioclétien, sous l’influence de Galère, quatre édits : il est interdit aux chrétiens de se réunir ; les sanctuaires doivent être démolis, et les livres sacrés, brûlés ; les fidèles sont déchus de leurs droits ; ils doivent abjurer, sinon c’est la condamnation à mort. Fin 303, Dioclétien rédige deux édits supplémentaires : les membres du clergé sont jetés en prison ; ceux qui abjurent sont libérés, les autres sont suppliciés. Dernier édit, au printemps 304 : tous les habitants de l’empire doivent sacrifier aux dieux.

L’édit devait aussi être appliqué en Occident. Constance, qui, même s’il n’est pas baptisé, voit plutôt les fidèles d’un bon œil, s’y refuse. Maximien, qui n’aime pas plus les fidèles que Galère, l’applique dans ses provinces. A Rome, rapidement, il saisit les archives de l’Eglise. Trois siècles de documents sur, entre autres, les martyrs romains, sont détruits.

Par conséquent, à la publication du dernier édit, on martyrise partout dans l’empire, sauf dans les provinces de Constance. Quelques martyrs de cette période : Sébastien, jeune officier, criblé de flèches, fin 303, début 304 ; Vincent, mort dans la prison de Saragosse, en Espagne, à la suite des tortures qu’il a endurées, en janvier 304.

Le 1er mai 305, Dioclétien et Maximien abdiquent. Les nouveaux Augustes sont donc Galère et Constance, avec, comme Césars, Maximin Daia et Sévère. Constance maintient la politique de tolérance qu’il a toujours appliquée, et son César fait de même : c’en est fini des persécutions en Occident.

En Orient, les chrétiens souffrent toujours. Maximin Daia, d’abord conciliant, persécute à nouveau à partir de Pâques 306. Devenu Auguste d’Orient, Galère n’en continue pas moins à faire des martyrs. A l’automne 310, il est pris d’un doute. Le cancer dont il est atteint le ronge. La gangrène s’est installée dans ses jambes. Sa maladie ne serait-elle pas une punition divine, parce qu’il a tué des chrétiens par milliers ? En avril 311, il publie un édit de tolérance, dans lequel il écrit ceci : « […] Nous permettons désormais aux chrétiens d’exister. Ils peuvent rétablir leurs assemblées, pourvu qu’ils ne fassent rien contre les lois. […] En remerciement pour notre indulgence, les chrétiens devront prier leur dieu pour notre salut, pour celui de l’Etat et pour le leur, afin que partout la République prospère et que tous, et eux aussi, puissent vivre en paix chez eux. » Cet édit est le résultat du raisonnement de quelqu’un qui n’a jamais essayé de comprendre le christianisme. Il marchande, comme il aurait marchandé avec n’importe quel dieu : sa guérison contre l’arrêt des persécutions. Cela ne lui sauvera pas la vie, puisqu’il décède en mai 311.

Il laisse deux successeurs, Maximin Daia et Licinius, qui se partagent l’Orient. En Occident, les hommes forts sont maintenant Constantin, qui est le fils de Constance, et Maxence. Ce sont deux ambitieux, auxquels leur moitié d’empire ne suffit plus. Leur affrontement est inévitable. La veille de la bataille décisive, Constantin doute fortement de sa victoire. Même si il n’est pas encore converti, il prie le Christ de l’aider. Il attend un signe, qui apparaît dans le ciel. C’est une grande croix lumineuse, avec les mots « In hoc signo, vinces » : « Par ce signe, tu vaincras » Dans la nuit, il voit en rêve saint Michel lui disant de dresser cette croix sur les bannières de ses légions, ce qu’il fait le lendemain, le 28 octobre 312, avant la bataille des Roches rouges, ou bataille du Pont Milvius, près de Rome, au cours de laquelle il bat Maxence. Constantin s’allie ensuite à Licinius. Les deux envoient un message en Orient, à Maximin Daia, qui est prié de faire respecter l’édit de 311 dans ses provinces, ce qu’il fait rapidement.

Au printemps 313, Constantin et Licinius signent l’édit de Milan, qui reconnaît la liberté de religion à tous les sujets de l’empire, et qui restitue aux chrétiens tous les biens confisqués. C’est la Paix de l’Eglise, la reconnaissance officielle du christianisme.

La christianisation de l’empire se poursuivra à grands pas, même pendant le règne de Julien l’Apostat (361-363), qui tente, sans succès, d’imposer un retour au paganisme. En 380, par l’édit de Théodose, le christianisme devient la religion officielle de l’empire. En 391, les cultes païens sont interdits.

Auteur : Pierre Baudin

E-mail : baudin.pierre.choisy@orange.fr

Bibliographie : Anne BERNET, Les chrétiens dans l’empire romain, Perrin, 2003 Maurice VALLERY-RADOT, l’Eglise des premiers siècles, Perrin, 1999

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