Le libéralisme va-t-il disparaître ?

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dimanche 25 février 2018

Je suis interrogé par Atlantico sur la survie du libéralisme. Atlantico a interrogé séparément trois auteurs dont ils mêlent les réponses. Je publie ci-dessous les réponses que j’ai données.

Une vague de livres anglo-saxons parus récemment (Patrick Deneen avec Why liberalism failed, Edward Luce The retreat of Western liberalism ou Mark Lilla dans The once and future) considèrent que le libéralisme connait un réel déclin. Sur quoi se fondent-ils et pourquoi un tel mouvement conjoint ?

Le problème du libéralisme, c’est que le mot est polysémique et négativement connoté, ce qui fausse d’emblée le débat et la réflexion. De plus, le terme n’a pas du tout le même sens dans la tradition anglo-saxonne et dans la tradition française. Chez les Anglo-Saxons, liberal, est plutôt synonyme de social-démocrate et ultralibéral de gauchiste. En France, le libéralisme est une philosophie du droit qui s’inscrit dans un courant de pensée allant de Vauban à Raymond Aron, en passant par Montesquieu, Tocqueville ou Jacques Rueff.

Ce sont donc deux philosophies différentes et deux systèmes de pensée différents, même si l’école autrichienne, avec Hayek et Mises, ayant influencé l’école de Chicago et la politique de Reagan, la tradition continentale du libéralisme a pu infuser quelque peu la tradition anglo-saxonne.

Ces auteurs sont inspirés par des traditions diverses. Ce qui les réunit néanmoins c’est le rêve de la grandeur américaine et de la survivance du rêve américain, une volonté d’actualiser la destinée manifeste. Mais ils ont chacun leur vision de l’Amérique et de la façon dont cette destinée devrait se manifester. Un Big governement pour les uns, plus proche de la nouvelle frontière de Kennedy et de Lyndon Johnson ou une big society, théorisée par David Cameron. Cette dernière vision correspondrait pour nous, au contraire, à un passage vers le libéralisme.
Ils sont aussi marqués par l’élection de Trump. Entre regret des années Clinton et Obama ou expectative inquiète face aux audaces du nouveau président, il y a une remise en cause des schémas politiques établis.

Le sociologue français Raymond Boudon, un des rares qui ne soit pas marxiste, avec Raymond Aron, a bien expliqué pourquoi les intellectuels ont une propension pour le socialisme ou le libéralisme à la sauce américaine. Habitués à élaborer des théories et à penser le monde, ils aiment que les idées, leurs idées, façonnent la société. C’est ce que Hayek appelle le constructivisme, qu’il oppose à l’ordre spontané.

Un des axes centraux défendus par ces essayistes est la perte du "sentiment commun" dans les sociétés libérales, et l’inquiétude provoquée par la mondialisation. La critique de l’Etat Providence, axe historique des politiques libérales, est-elle adaptée à endiguer cette perception ou réalité ? Le libéralisme est-il compatible avec le besoin de sentiment d’unité qui fonde une société ?

C’est là un des points essentiels du débat : qu’est-ce que qui fonde une nation, qu’est-ce qui crée le sentiment d’appartenance commun ? Ce sentiment est-il le fruit de l’État ou bien d’autre chose ? En France, depuis 1870, l’État républicain a voulu s’arroger le monopole du nationalisme et du patriotisme en désignant un ennemi, l’Allemagne, et en portant une gloire nationale, la colonisation. Avec la réconciliation franco-allemande et la fin de l’Empire colonial, il a fallu redéfinir la façon d’être Français et de fonder le patriotisme.

Mais l’État est-il le plus à même de fonder cela ? Bien souvent, ce nationalisme aboutit à un culte de l’État, ce dernier étant hypostasié. C’est la formule apparemment paradoxale du pape Léon XIII : « L’athéisme, c’est le culte de l’État ». L’État devient lui-même sa propre religion, il est déifié. La personne est donc vue comme étant au service de l’État et, devenue son esclave, elle se voit niée le droit naturel de propriété privée, ce qui conduit notamment à une fiscalité démesurée. Ici, nous sommes dans le constructivisme, étant donné que le sentiment national est construit par l’État.

Peut-on faire une nation autrement ? L’État providence joue au contraire un rôle de dissolvant des relations humaines, car il repose sur la jalousie, l’envie et la guerre de tous contre tous. En reposant sur la contrainte par le prélèvement de l’impôt, il prend à certain pour donner à d’autres. Ceux qui reçoivent considèrent cela comme un dû et non pas comme un don. Ceux à qui on prend subissent les affres d’un système qu’ils trouvent injuste. Cette injustice est maquillée sous les termes de justice sociale et de solidarité, alors qu’il s’agit d’une rapine. La justice et la solidarité sont des vertus, donc elles sont fondées sur la libre volonté des personnes.

Quand on prend à quelqu’un pour donner à un autre, la personne à qui l’on prend ne fait pas acte de justice ou de solidarité, puisqu’elle n’est pas volontaire. Elle est seulement contrainte.
Cette contrainte dissout les relations humaines. L’envie et la jalousie prennent le dessus.

À l’inverse, un État subsidiaire, c’est-à-dire un État qui respecte les solidarités locales, les associations, les familles est le seul garant d’un véritable tissu de solidarité et d’unité du corps social.
Si mon voisin est un « riche » qui doit payer pour que j’accède à la cantine « gratuite », il n’y a pas de « sentiment commun », il y a juste la volonté de profiter d’un système social avantageux pour certains. En revanche, si mon voisin m’aide en donnant de son temps et de son argent, alors c’est là que la solidarité naît et se développe.

La nation, c’est une association de familles. À ce titre, le sentiment national est naturel, comme est naturel la piété filiale et l’amour que l’on porte à ses parents. Ce sentiment n’a pas besoin d‘être cultivé par l’État, il est transmis dans le cadre familial. Tocqueville a bien démontré comment l’État tout puissant détruit les familles en atomisant les individus. Cette destruction de la famille est le propre d’un état social égalitaire qui efface la transmission et l’enracinement. La meilleure façon de faire une nation, c’est de respecter les familles et de leur permettre de s’épanouir.

C’est l’État providence qui est le fossoyeur de l’unité nationale, et c’est un État subsidiaire, une big society, qui seul peut recréer du lien et de la solidarité.

L’émergence du débat est particulièrement vivace dans le monde anglo-saxon, et ce notamment de par le Brexit et l’élection de Donald Trump. Mais se pose-t-il de la même façon en France ?

Le problème de la France est autre et tient en deux points : est-ce que l’on continue avec l’État providence installé par les communistes en 1945 ? Est-ce que l’on accuse toujours les autres d’être responsables de nos problèmes ou bien est-ce que l’on s’attelle au mal français ?

L’État providence est en faillite et la France est surendettée ; la dette étant le vol des générations à venir. À cela s’ajoute le problème du monopole de l’Éducation nationale, qui est le premier poste budgétaire de l’État et qui est incapable de former correctement la jeunesse. Devenu obèse, l’État est incapable de s’occuper de ses fonctions premières : la sécurité intérieure, la diplomatie, la guerre.

Mais on oublie que la France a beaucoup changé. En 1980, la France était une Union soviétique qui avait réussi, selon l’expression de Jacques Lesourne. Qui se souvient encore des PTT, du monopole d’EDF, de GDF et d’Air France, de l’ORTF, du commissariat au Plan ? La France a su se moderniser et s’ouvrir, mais il reste encore des secteurs à relancer.

Pour tout ce qui va mal, on accuse la mondialisation, sans analyser que les véritables racines du problème sont d’abord en France. Si tant d’usines ont fermé, c’est à cause d’abord de l’obsolescence de l’appareil productif français. Le chômage d’aujourd’hui est le fruit des normes, des taxes et des contraintes sans nom qui pèsent sur les entreprises. Les déserts médicaux sont la conséquence d’une absurde politique de numerus clausus, où l’État a cru pouvoir planifier la production de médecins comme les pommes en URSS.

Le pseudo-logement social entraîne une pénurie des logements et une hausse des prix et la sécurité sociale, que le monde entier nous envie, selon le credo en vigueur, soigne mal et coute très cher. Dans tous ces exemples, les initiatives privées fonctionnent mieux et sont plus économes. Elles sont donc davantage profitables aux plus pauvres.

Le problème migratoire est lui aussi le fruit de l’État providence, et non pas d’un illusoire libéralisme. Dans une société de liberté, on aurait demandé à la population, par exemple par référendum, si elle acceptait l’ouverture migratoire. Le fait que celle-ci soit imposée est bien le propre d’une société de contrainte. Cette contrainte entraîne la défiance et efface la confiance nécessaire à la survivance de la démocratie.

Avec la numérisation ou l’émergence de la Big Data notamment, les notions de propriété privée ou de vie privée - bastions historiquement défendus par les libéraux - sont plus difficiles à définir. La crise du libéralisme actuel ne s’explique-t-elle pas aussi par son incapacité à penser un humanisme libéral dans un contexte où l’économie est de plus en plus financiarisée et déshumanisée ?

Il est essentiel d’assurer la protection des données privées, car l’État a aujourd’hui un pouvoir de contrôle qu’il n’avait pas jusqu’alors. La distinction entre vie privée et vie publique est en train de s’effacer ; tout peut être surveillé.

Une des solutions passe peut-être par la blockchain, dont le protocole Bitcoin est l’un des aspects les plus connus. En rendant les transactions pseudonymes -et non pas anonymes comme certains le croient- la blockchain pourra peut-être établir de nouveau un peu de liberté dans les mouvements et les échanges numériques.

Mais de façon fondamentale, la liberté dépend d’abord des personnes. Comme la très bien démontré Étienne de La Boétie, le fondement de la servitude est d’abord volontaire. Entre la liberté et l’esclavage, beaucoup préfère l’esclavage, qui est plus confortable et qui rend irresponsable. L’humanisme libéral, c’est d’abord la volonté des hommes d’être libres et debout, comme l’a exprimé Kant dans une formule célèbre : Aude sapere, Osez penser. En somme, préférer les chemins des libertés à la route de la servitude.

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