Le jeune Bonaparte

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mercredi 18 février 2015

Il a fallu la méritocratie révolutionnaire pour que s’exprime le génie militaire, organisateur et administratif du futur empereur. Dans le premier volume de sa biographie (jusqu’en 1802), Patrice Gueniffey montre que Bonaparte fut à la fois un « roi d’un genre nouveau », un despote éclairé, un révolutionnaire et un postrévolutionnaire, toujours mû par une volonté de fer.

Dernier titre sur l’interminable liste des biographies consacrées à Napoléon Bonaparte, le livre de Patrice Gueniffey n’est pas une œuvre de circonstance contrairement aux ouvrages récemment parus en français ou en anglais, à l’occasion d’un bicentenaire qui ne s’achèvera qu’en 2015. Depuis 2004, l’auteur souhaitait achever ce que son maître, François Furet, n’avait fait qu’amorcer : une vie de Napoléon. Contre la tendance actuelle qui délaisse l’individu au profit des grandes fresques d’une époque et privilégie l’étude du fonctionnement des institutions impériales en France et en Europe – la dernière en date étant celle d’Aurélien Lignereux sur l’Empire des Français (Seuil, 2013) – Gueniffey entend bien revenir à la biographie et retracer les splendeurs et misères d’une existence hors du commun. Certes, l’ère de l’héroïsme guerrier dont Bonaparte se faisait l’étendard est actuellement démodée, mais le personnage incarne aussi l’individualisme moderne par sa foi dans le pouvoir de la volonté.

Le condottiere

Le premier volet de cette biographie porte sur les années 1769-1802, ce qui permet à l’auteur de décrire l’ascension fulgurante d’un jeune Corse que rien ne prédestinait à conquérir la France, puis l’Europe. L’objectif visé est de saisir le moment où l’homme – ici Bonaparte – « sait à jamais qui il est » (Borges). Ce n’est certes pas dès sa naissance qu’il en devient conscient ; ni même durant l’enfance. Gueniffey insiste bien sur cette enfance et sur le fait que Bonaparte a très tôt été acculturé. Il nie à juste titre la pertinence des analyses déterministes qui voudraient que « Corse, l’on soit né, et Corse, l’on demeure ». Par la grâce de ses études et l’éloignement sur le continent, le jeune garçon s’est rapidement francisé. Son intérêt ultérieur pour l’île de Beauté participerait tout au plus d’une mélancolie pour un passé à jamais évanoui – ranimé peut-être par l’écrit de Rousseau sur le Projet de Constitution pour la Corse de 1765. Par ailleurs, son admiration pour Paoli peut se comprendre par la célébrité de ce compatriote et les réformes éclairées qu’il a introduites dans leur pays natal. Entre 1755 et 1769, la Corse en effet a vécu une révolution, qui précède donc celles qui vont bientôt bouleverser le monde occidental. Mais, et l’on s’accordera volontiers avec l’auteur, la constitution de Paoli n’était pas si démocratique qu’on l’a dit. Composé de quelque 9 pages, énumérant les principes constitutifs du gouvernement, ce texte avait surtout pour but « de fonder l’autorité sur le consentement de tous » (p. 38). La diète, élue démocratiquement, représentait le peuple souverain, mais le « père de la patrie », le généralissime Pascale Paoli, était inamovible et concentrait tous les pouvoirs. Cette habile, mais trompeuse, construction ferait-elle date ? Notamment après le coup d’État du 18 Brumaire ? Le consulat à vie de Bonaparte s’en serait-il inspiré ? L’auteur ne le dit pas, mais n’anticipons pas.

Suite sur la Vie des Idées.

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