L’oppidum méconnu de Malpas Quiéry

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lundi 11 août 2014

Un article de Bertrand Le Tourneau.

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Un oppidum est une ancienne place-forte. Le fait que le lieu-dit où il se trouve se nomme actuellement La Blachonne, ne contribue pas à la prise de conscience de sa vénérable antiquité : ce terme occitan désigne un lieu planté de blaches = chênes blancs. En réalité, il convient de tenir compte de l’environnement, avec Malpas et Quiery. Le parallèle avec Malpas-Soïo-Guercy de Soyons, est frappant : il s’agit de l’une des deux capitales de la tribu celtique des Ségalauniens. Soïo est le nom de la déesse éponyme du lieu ; une stèle gravée en hommage à son nom y a été retrouvée. Dans le cas de Lamastre, le terme La Blachonne s’est substitué à un nom celtique perdu. Dans l’intention de clarifier les données, il convient donc de qualifier le site de Malpas-Quiery. Il s’étend sur environ dix hectares. Une vue aérienne permet de se rendre compte qu’il prend une forme ovale. Subsistent essentiellement les restes d’un mur extérieur, d’enceinte, qui court dans la pente et les fourrés ; un demi-fortin avec mur circulaire extérieur, épais de 2,20 à 4,50 m, chicane d’entrée et tour de garde insolite, mi-ronde et mi-carrée, placée entre deux anciennes portes ; un curieux lieu cultuel en forme de déambulatoire, formé de cinq ou six murs parallèles fortement arasés.

Car en effet, les sites fortifiés remplissent une double fonction, défensive et cultuelle. Le caractère défensif se trouve renforcé par le fait que la chicane d’entrée vient de la gauche : à moins d’être gauchers, les assaillants éventuels, munis d’un bouclier, se trouvent gênés dans leur mouvement d’attaque avec lance ou javelot. Le caractère cultuel se trouve doublement attesté. Tout d’abord, Malpas, le mauvais passage, signifie que des cultes dits païens continuaient à être célébrés bien après la date de leur prétendue éradication, arrêtée par les manuels vers le VIIIe siècle. Ensuite, Quiery donne la clé du mystère : phonétiquement, c’est en celte caer-is, enceinte fortifiée sacrée. Un culte s’y serait longtemps perpétué. Par ailleurs, en cas de besoin, un tel site, qui comprend trois puits, l’un incorporé au mur d’enceinte du fortin, le second à celui de la tour, le troisième au-delà, sert de refuge à la population environnante. Le hameau voisin de Valoan, au nom à demi francisé, serait un ancien village celtique de la vallée étroite ; telle est effectivement la configuration du sillon tracé par le Grozon.

Reste l’épineuse question de la datation. Or, une rumeur infondée sévit à ce propos : en raison du nom de Blachonne, le fortin ne serait qu’un abri de bergers du XIXe siècle ! Et quid de Malpas et de Quiery ? En réalité, ne tenir aucun compte ni de l’environnement, ni des caractères spécifiques de la construction, ni de l’Histoire, ni de la langue, c’est se condamner à ne rien comprendre du monde antique. En l’espèce, il convient de remarquer encore que le site se trouve sur le passage d’une voie préhistorique large de 2 mètres, qui s’étend de l’Auvergne à Tournon. Elle devient ensuite voie romaine, puis marchandière.

En outre, le mur du fortin est construit en petit appareil irrégulier de pierres sèches, qui reposent sur un gros appareil de pierres parallélépipédiques, mais de forme irrégulière. Ce type de construction est donc plus grossier que celui du murus gallicus de l’âge du fer décrit par Jules César : un gros appareil de pierres régulières et parallélépipédiques se trouve renforcé dans la masse par des madriers entrecroisés et cloués. Il serait donc plus ancien. Enfin, un parallèle avec le site de Guéry au nom de consonance voisine, situé en Bas-Vivarais près de Joyeuse, n’est pas superflu : les fouilles effectuées permettent de le dater du néolithique final.

Par conséquent, il paraît raisonnable et vraisemblable de proposer la période de –2500 à –2.000. À ce stade, une relecture raisonnée des anciens textes, dégagée des poncifs et des préjugés habituels, permet encore d’affiner la question. En effet, les peuples de la moyenne vallée du Rhône, Allobroges, Ségalauniens et Helviens, – pas plus d’ailleurs que les Celtes dans leur ensemble –, ne naissent pas sur le tard, à l’âge du fer. Bien au contraire, ils s’inscrivent dans la descendance de la seconde généalogie royale des Celtes, qui s’établit en Occident à partir de la haute vallée du Rhône. Il s’agit d’une véritable Renaissance, qui éclot vers –2700. Compte tenu de ce que l’expansion qui s’ensuit s’épanche tout d’abord vers le grand nord, avant de refluer vers le sud, tout se tient. D’ailleurs, au stade actuel des recherches, les datations réalisées sur le terrain permettent de déterminer que les tribus des Allobroges et des Ségalauniens, se manifestent dans la région de –2360 à –2160. Elles s’affrontent pour occuper les hauteurs de la voie du Doux. Mais tout ceci, à part le dernier point, et le fait que les Romains se sont appropriés le site, demeure largement ignoré.

Bertrand Le Tourneau est archéologue indépendant et (pré)historien.

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