Fanny et la démographie

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jeudi 17 juin 2010

Après avoir lu Marius le lecteur amoureux de la trilogie marseillaise ne peut que se ruer sur Fanny. Suite logique de la première pièce, elle en complète l’histoire. Et c’est au détour d’une tirade, durant le deuxième acte, que les mots de Maître Panisse éclairent une situation démographique actuelle. Situons le contexte pour ceux qui n’auraient pas Fanny en tête. Panisse est veuf et souhaite épouser Fanny. Celle-ci est amoureuse de Marius, qui l’a abandonnée pour s’embarquer sur un navire de recherches océanographiques, sans savoir qu’elle était enceinte. Quand elle le découvre Fanny comprend le déshonore qui l’attend, sa mère la rejette et elle sait qu’elle ne trouvera jamais personne pour l’épouser. Panisse, plein de compassion pour cette fille, accepte de l’épouser. Et à la surprise de Fanny le fait qu’elle soit enceinte ne le rebute pas, mais au contraire le ravit, et il explique comment sa première épouse et lui n’ont pas pu avoir d’enfant, et le mal que cela lui a fait.

Panisse. « Ô Félicité, tu vois comme notre magasin est beau ? . . .
Oui, il est beau . . .
Le commerce va très bien.
Oui, il va très bien.
Eh bien, écoute, Félicité, l’argent et le magasin, nous ne l’emporterons pas sous la terre.
Bien sûr, qu’elle me dit.
Et si nous faisions un petit ? » (. . .) Mais alors, baste ! Ma pauvre Fanny, impossible de faire un enfant. Je ne te dirai pas tous les docteurs qu’on a vus, toutes les sources minérales, tous les cierges, tous les pèlerinages, toutes les gymnastiques suédoises . . . et je gaze, naturellement, je gaze. Mais voilà la vérité : pendant longtemps nous avions eu peur d’avoir un petit ; et puis, quand nous l’avons voulu, nous ne l’avons pas eu : nous avions dégoûté le bon Dieu. Alors, une véritable folie m’a pris : la folie des enfants. Depuis ce moment-là, chaque fois que j’ai vu, dans la rue, un grand couillon avec un panama qui pousse une petite voiture, tu ne peux pas t’imaginer comme j’ai été jaloux. J’aurai voulu être à sa place, avoir cet air bête et ces gestes ridicules. C’était une grande souffrance. . . Et Félicité, je la regardais de travers – et pour la moindre des choses, nous nous disputions. Surtout à table. Je lui disais : « C’est bien la peine d’avoir un estomac comme deux monuments, et de ne pas pouvoir faire un enfant. » Et alors, elle me répondait : « Si tu n’avais pas tant bu de Picon et de Rinçolettes, peut-être tu serais bon à quelque chose. » Et enfin, petit à petit, nous nous sommes habitués à ce désespoir. Mais le magasin ne nous intéressait plus du tout. Nous n’avons vendu que l’article courant. Je n’ai plus pris la peine de dessiner des voiles spéciales, selon la personnalité et le tempérament de chaque bateau, des voiles merveilleuses, des voiles signées de mon nom, comme des peintures de musée. (. . .) Et voilà pourquoi ce magasin ne travaille plus comme autrefois ; c’est parce que je n’avais personne à nourrir.

Cette confession de Panisse est particulièrement touchante, voilà un homme qui ose parler de sa paternité, et du mal qu’il a pu ressentir de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Mais à travers cette tirade –écrite en 1931- nous avons accès à la compréhension du drame démographique qui touche bon nombre de nos contemporains. Celui-ci se résume en trois points : la stérilité, l’explosion du couple, l’absence d’avenir.

Pendant longtemps Panisse et Félicité n’ont pas voulu avoir d’enfant afin de ne pas nuire à leur commerce et à leurs affaires. Et le jour où ils ont souhaité en avoir un ils n’ont pas pu, un des deux étaient stériles. Impossible d’en savoir plus à travers la lecture de ce drame littéraire, mais ce qui est certain c’est que le recul de l’âge du mariage, et l’union de plus en plus tardive des couples est un terrible obstacle à la fertilité. Nombreuses sont les femmes qui font des études longues, puis qui ne souhaitent pas avoir d’enfant au moment où elles commencent leur carrière, et qui, lorsqu’elles arrivent à la trentaine, ne sont plus en mesure d’avoir un enfant, souvent parce que leur fertilité s’et réduite. Avec la technique d’aujourd’hui elles peuvent avoir recours à des moyens sophistiqués mais barbares, comme la fécondation in vitro, pour remédier à leur stérilité. Mais c’est toutefois un drame, auquel peu de femmes et peu d’hommes pensent dans leur jeunesse, et qui apparaît souvent trop tard : à trop repousser l’échéance le risque est grand de se voir confronter au drame de la stérilité.

Après la stérilité l’autre élément révélé par cette tirade est l’explosion du couple face à l’incapacité d’avoir un enfant. Panisse le dit très bien, il se moque de sa femme, il est sans cesse à lui faire des remarques, et cette dernière n’est pas en reste pour lui répondre. « Et Félicité, je la regardais de travers – et pour la moindre des choses, nous nous disputions. » Querelle au sein du couple, disputes sans cesse répétées, nul doute que si le divorce –pourtant autorisé en 1931- avait été institutionnalisé ce couple se serait séparé. On voit très clairement ici comment l’enfant soude le couple, et comment son absence est un facteur d’implosion. De tels problèmes se retrouvent de nos jours avec la généralisation de l’usage de la pilule. En provoquant une stérilité artificielle –avant de provoquer une stérilité réelle et des cancers avérés- la pilule dénie la paternité de l’homme. Cela peut sembler anodin mais c’est un facteur avéré de troubles de comportement chez l’homme, causant des disputes, et pouvant conduire à des maltraitances sur son conjoint.

Enfin, le troisième point est l’absence d’avenir. A quoi sert-il à Panisse de travailler et de développer son magasin s’il ne pourra le transmettre à personne ? A quoi lui sert-il de s’améliorer et de chercher à toujours mieux faire s’il n’y a personne pour reprendre la suite ? A rien. Et comme il n’a pas de successeur Panisse tombe dans la facilité. Il ne fait pas de moteur, il ne fait plus de voiles sur mesure, il fait des voiles courantes et ordinaires, ce qui lui permet d’avoir un magasin reconnu mais dont le développement est finalement assez restreint. Dans la suite de l’histoire on s’aperçoit que Panisse, devenu père, a considérablement développé son magasin, et qu’il a trouvé un goût prononcé pour le travail. L’enfant a tout changé car l’enfant lui a donné l’avenir. Pour les pays d’Europe, pour les parents aussi, il en va de même. Sans enfant la construction, l’amélioration, la recherche n’ont pas de sens. Sans enfant il ne sert à rien de construire et de chercher à édifier un avenir. Sans enfant la vie s’arrête avec la mort. Dans nos pays d’Europe à la natalité si faible l’absence d’enfant est un sérieux frein à la limitation du développement du pays. L’accumulation d’argent semble être devenue un moteur de motivation, mais sur le long terme ce ne peut être que la transmission et l’héritage qui soient le véritable moteur du progrès et de l’essor des civilisations.

On s’aperçoit ainsi qu’une simple tirade tirée d’une pièce un peu oubliée de Pagnol, en nous présentant les tourments du bon Maître Panisse, nous ouvre des horizons de compréhension sur les difficultés de la démographie européenne actuelle.

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