Entretien à Contrepoints sur la géopolitique du Vatican

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lundi 9 novembre 2015

Vous expliquez que la petitesse du territoire du Vatican n’est pas une faiblesse mais au contraire un atout pour le Saint-Siège. Pouvez-vous revenir sur cet argument ?

Le Saint-Siège est un des plus anciens Etats du monde, puisqu’il a été officiellement fondé en 752, grâce à une donation de Pépin le Bref. Les Etats pontificaux comprenaient une partie importante du centre de l’Italie et ils ont joué, de la période médiévale à la période moderne, un rôle majeur dans les relations internationales et la diplomatie européenne. Ce sont eux qui créent le système diplomatique que nous connaissons aujourd’hui, notamment en fondant la première école de formation des diplomates (1701) qui a servi de modèle à toutes les cours européennes.

En 1870, les Etats de l’Eglise sont annexés par le Piémont Sardaigne dans l’ample mouvement du Risorgimento italien. Ils retrouvent une souveraineté territoriale avec les accords du Latran conclus en 1929. Ce qui fait que le Saint-Siège est toujours un Etat souverain, sujet de droit international, ayant des représentants dans les différentes instances internationales. Les ambassadeurs du Saint-Siège, les nonces, ont le titre honorifique de doyen du corps diplomatique (reconnu par la conférence de Vienne de 1961).

D’une certaine manière, le Pape est déchargé de la gestion administrative de territoire, ce qui lui permet de se consacrer à sa mission évangélique. Dans les relations diplomatiques, le Saint-Siège n’a pas d’intérêts territoriaux ou économiques à faire valoir. Cette liberté lui permet d’avoir une parole plus réaliste et plus percutante. De nombreux Etats très éloignés de la culture catholique reconnaissent ce rôle d’intermédiaire et de médiateur du Saint-Siège, notamment des Etats d’Asie ou du golfe arabique.

Comment expliquer l’adhésion soutenue des catholiques à l’Eglise, malgré son fonctionnement non- démocratique ? (aucune élection au SUD à quelque niveau que ce soit).

Ce sont deux réalités différentes, qui ne sont pas juxtaposables. D’un côté il y a une structure politique, de l’autre une organisation spirituelle. Si on prend le cas de la France, on constate que de nombreuses personnes ne participent pas à la vie démocratique (abstention aux élections), et même soulignent les effets pervers de la démocratie (je pense au livre de Frank Karsten, Dépasser la démocratie), ce qui ne les empêchent pas de se sentir français. La démocratie est une forme contingente d’organisation sociale. L’Eglise n’est pas un Etat ou un club, et encore moins une structure sociale.

Pour bien l’appréhender, il faut avoir une vision théologique : l’Eglise, dans la théologie catholique, est l’organisation qui permet au fidèle d’accéder aux sacrements (le baptême, la communion, la confession…). Ce qui n’empêche qu’en son sein il y ait des débats théologiques, et une liberté intellectuelle. Souvent on confond démocratie et élection, alors que ce sont deux choses différentes. Historiquement parlant, le système électif est d’ailleurs né dans l’Eglise, avec l’élection des pères abbés par les moines et des évêques par les chanoines.

Quels sont actuellement les principaux facteurs d’expansion et de frein du christianisme ?

Le christianisme est d’abord une foi, son expansion est donc liée à la liberté des personnes, c’est le mystère de la rencontre personnelle entre une personne et Dieu.
Quant aux freins à son expansion, ils sont de différents ordres, mais c’est principalement la restriction de la liberté religieuse. Dans de nombreux Etats du monde, les personnes ne sont pas libres de se convertir et de se faire baptiser, ou bien de proclamer publiquement leur foi.

En fait, nous assistons à une lutte entre la religion de l’Etat et la foi des personnes. Partout où la liberté religieuse est restreinte, c’est que l’Etat veut imposer son culte et sa religion. Le pape Léon XIII (1878-1903) a eu cette formule : « L’athéisme, c’est le culte de l’Etat ». On constate très bien qu’un Etat omnipotent et imposant cherche à éradiquer la liberté de penser et veuille capter l’adhésion des individus pour qu’ils lui rendent un culte.

Le message du Pape ne semble-t-il pas plus écouté en temps de paix qu’en temps de guerre ?

Pour éviter les guerres, le Pape n’a que l’arme de la parole. Dans des rapports de force entre nations, c’est évidemment assez faible. Mais il y a des précédents historiques marquants. Ainsi lors de la crise de Cuba, en 1962. Les Etats-Unis et l’URSS étaient prêts à entrer en guerre et à faire usage du feu nucléaire. C’est le Pape Jean XXIII qui a empêché ce conflit, en téléphonant à Kennedy et à Khrouchtchev pour les ramener à la raison et faire office de médiateur. Son rôle central dans le déroulement pacifique de la crise a été reconnu par les deux acteurs.

L’Eglise pourra-t-elle préserver sa stabilité, en dépit des profondes modifications de sa base (prédominance nouvelle des pays du Sud) ?

C’est un défi majeur pour elle. Mais le christianisme a un très fort pouvoir unificateur car il répand la culture romaine chez ceux qui se convertissent. Il réussit cette synthèse entre l’universel et le particulier qui consiste à respecter les cultures locales, tout en les intégrant dans la culture mondiale qu’est le christianisme.

Jean-Paul II, jeune, rêvait de devenir acteur. En un sens, il l’est devenu. La « starisation » des Papes est-elle une concession à la modernité ? Ne risque-t-elle pas de dévoyer le message de l’Eglise ?

Il y a toujours ce risque. A force de trop parler, le message peut se banaliser. Mais c’est aussi ce qui permet à l’Eglise d’être très présente sur la scène internationale. Léon XIII a été un des premiers chefs d’Etat à se faire filmer. Le film dure quelques secondes et on le voit marcher dans les jardins du Vatican. Puis Pie XI a été le premier pape à diffuser un message par l’intermédiaire de la radio. Pie XII a accordé un entretien à Paris Match et a reçu les journalistes chez lui. L’ouverture à la parole du monde n’est donc pas nouvelle, et elle n’a pas encore permis de dévoyer le message.

Vous faites remarquer que le Saint-Siège a toujours conservé la même ligne sur les questions sociales. Comment expliquer autant de variabilité sur la ligne économique, entre des Papes soutenant le principe de subsidiarité en faveur de l’individu et d’autres pourfendeurs du « capitalisme sauvage » ?

Les hommes d’Eglise, de manière générale, manquent de connaissance économique. Ceci dit, ils ne sont pas les seuls. Ce qui est curieux c’est qu’il y a un discours parfois très opposé au marché et au développement des affaires, et en même temps la pensée de l’Eglise est profondément libérale. Par exemple, l’Eglise soutient la liberté scolaire et le libre choix des parents en matière éducative.

De même, le principe de subsidiarité est un des grands principes de la Doctrine sociale de l’Eglise, comme du libéralisme. Sur les questions internationales, les deux pensées se retrouvent aussi. Il y a un document qui résume cela qui est le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise. C’est un catéchisme pour les questions sociales, économiques et politiques. Dans ce compendium, on trouve des paragraphes très durs contre la bureaucratie et l’omnipotence de l’Etat qui font penser à ce qu’a pu en dire Frédéric Bastiat et d’autres auteurs libéraux.

Le capitalisme sauvage, s’il existe, est une situation qui n’est pas défendable. On ne peut se satisfaire d’un système qui est soutenu par la corruption et la connivence entre les acteurs publics et privés. Le capitalisme sauvage, c’est le capitalisme de connivence, ce qui est donc intrinsèquement anti-libéral.

A retrouver ici.

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