Ebola et épidémies

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samedi 8 novembre 2014

En deux siècles, la vie est devenue abondante

Que l’on joue à se faire peur, ou que la crainte soit véritable, l’épidémie d’Ebola qui touche l’Afrique de l’Ouest rappelle que l’homme n’a pas complètement vaincu le risque épidémiologique. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, nos sociétés humaines ont été caractérisées par la fragilité de leurs structures : maladies, disettes, guerres, accidents climatiques pouvaient porter de graves atteintes aux populations. Grâce au progrès scientifique et moral, ces fragilités ont de plus en plus reculé, surtout en Occident, créant les conditions d’une sécurité matérielle que l’on voudrait perpétuelle. La tendance historique lourde au cours des 180 dernières années est au reflux de la mort. Baisse de la mortalité infantile, accroissement de l’espérance de vie, progrès constants de la médecine qui ont rendu banales des maladies autrefois dangereuses ; la vie même qui était rare est entrée à son tour dans la société de l’abondance. Qu’on se souvienne que pour nos aïeux, la rage était une maladie mortelle, de même que les crises d’appendicite. Tous ceux qui ont été opérés du cœur ou qui ont survécu à des cancers autrefois mortels, goûtent les joies d’une médecine triomphant de la mort. La vie est la victoire majeure de l’humanité sur les deux derniers siècles. Ebola nous rappelle que la mort n’a pourtant pas complètement disparu, et que l’homme est un être fragile face aux virus. Au XIXe siècle, c’est le choléra qui frappait l’Europe ; cette maladie infectieuse se transmettant par l’eau. Paris est touché en 1832. L’épidémie y dure six mois et fait plus de 18 000 morts. Les habitants qui le peuvent fuient à la campagne, en attendant que l’épidémie cesse. Turin, capitale du Piémont et grand centre industriel européen, est touché en 1854. La maladie y fait 1 400 morts en trois mois. Le choléra a au moins tué un philosophe, Hegel, lors de l’épidémie qui toucha l’Allemagne en 1831.

La mémoire européenne reste marquée par l’épidémie de peste qui sévit à partir de 1347. Aucun pays d’Europe ne fut épargné, tuant entre 50% et 75% de la population selon les régions. La mort s’installe au cœur de la vie, et les danses macabres fleurissent dans une Europe qui n’arrive pas à combattre la pandémie. La présence du bacille dura jusqu’au XVIIIe siècle, avec des épidémies plus ou moins virulentes selon les époques et selon les régions. On comprend aisément que ces saignées répétées de la population brisèrent le tissu économique et social des pays concernés. Lorsqu’en 1720 la peste toucha une dernière fois la France, à Marseille, répandue à cause d’un bateau venu du Levant, le roi n’eut d’autre solution que de faire encercler la ville par la troupe et d’empêcher toute sortie, imposant une quarantaine forcée à la population. La victoire de la vie sur la mort, et de l’abondance sur la rareté, est un fait récent en Europe. On ne craint plus la peste, le choléra, la rage. À période régulière des épidémies viennent raviver les vieilles inquiétudes, celles qui furent le lot commun de nos ancêtres au long des siècles : grippe aviaire, Ebola, grippe porcine. Le danger est réel, la vigilance est toujours de mise, et la médecine poursuit ses découvertes, mais mesurons aussi les progrès parcourus par une humanité qui a désormais placé la vie au cœur de son existence. Ce n’est pas la moindre de ses victoires.

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