De l’Allemagne (expo au Louvre)

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dimanche 5 mai 2013

Le musée du Louvre a initié une nouvelle exposition en ce début d’année consacrée à l’Allemagne. Le titre est inspiré par l’ouvrage de Mme de Staël, et par Henri Heine. Avec l’Angleterre, la France a une relation de frère. Les Anglais peuvent nous agacer, mais finalement nous les comprenons parce qu’ils sont comme nous. Tout aussi fiers, et tout aussi orgueilleux. L’Allemagne demeure une grande inconnue. Les trois guerres n’ont pas changé grand-chose à notre relation qui était déjà compliquée avant 1870. L’Allemagne c’est nous, nous avons une large histoire en commun, tout en étant un autre. L’Allemagne a longtemps partagé l’histoire de la France, et pourtant nous sommes excessivement différents. Charlemagne est notre souverain commun, Aix-la-Chapelle notre même capitale, le Rhin notre couloir central, notre colonne vertébrale. Mais entre les Gaulois et les Germains semble demeurer une antinomie chronique que les historiens de la IIIe République se sont plus à grossir et à exagérer.

L’Allemagne nous fascine par sa réussite économique et son talent littéraire et musical. L’Allemagne nous désespère. Au moment où Peugeot s’effondre, BMW affiche des ventes insolentes. Nous nous lamentons sur l’état de notre industrie, l’Allemagne se réjouit de la sienne. Jusqu’à l’euro, que l’on voulait une monnaie européenne de France, et qui n’est autre qu’un deutschemark rebaptisé.

Cette heureuse exposition permet au visiteur de mieux comprendre l’Allemagne. La période proposée va de 1800 à 1939, c’est-à-dire toute l’époque récente. Elle part du romantisme, avec Goethe, et s’arrête à l’expressionnisme. Elle est divisée en trois parties, la dernière allant de la Grande Guerre à l’arrivée du nazisme. Commençons par la dernière partie, car c’est la moins réussie. Les commissaires ont été un peu vite dans la présentation de l’art allemand ; il y a peu d’œuvres importantes. Quelques toiles d’Otto Dix, qui sont aussi effrayantes en vrai que recopiées dans des manuels. On comprend le traumatisme de la guerre, vécue comme une période de rupture, de cassure interne de l’élan vital allemand. Pour nous, la guerre a sonné l’heure du repliement et du déclin, pour l’Allemagne, celle de la transmutation. Dommage que les commissaires n’aient pas davantage exploré l’expressionnisme, le rôle important du Bauhaus, et la vie culturelle pendant la république de Weimar. Le spectateur passe à côté de quelque chose d’important. Hormis ce bémol, l’exposition est particulièrement intéressante.

La première partie est consacrée aux r apports entre l’Italie et l’Allemagne. Rapports séculaires qu’un Français doit comprendre. Notre aventure italienne a été de peu de durée du fait des déconvenues de Charles VIII et des défaites de Charles d’Anjou. Mais l’Allemagne, avant de regarder vers la France, a jeté son dévolu vers l’Italie. L’empereur allemand a toujours pris soin de se faire couronner roi des Romains, y compris Charles Quint. L’Allemagne a toujours voulu contrôler la vie de l’Italie, notamment avec Frédéric 1er et Frédéric II. Jusqu’en 1870, l’Allemagne est présente en Italie, contrôlant le nord de la péninsule, via l’empire d’Autriche. Quand aujourd’hui Angela Merkel s’immisce dans la politique budgétaire italienne, elle ne fait que reprendre l’antique tropisme de ses prédécesseurs. La connivence Italia /Germania est ancienne. C’est que l’Allemagne est toujours torturée entre ses racines chrétiennes et ses racines germaniques. Entre le Dieu Sauveur et les fables du roi des Aulnes. Entre la foi catholique et les mythes de chênes et de nains. Il y a l’Allemagne catholique et romaine et l’Allemagne païenne et germaine. N’ayant choisi ni l’un ni l’autre elle essaye de concilier les deux. Ce qui est loin d’être évident pour son unité et sa vision d’elle-même.

Pour célébrer l’unité de l’Allemagne, que Napoléon a permise grâce à son invasion, les artistes allemands du début du XVIIIe siècle sont partis s’inspirer en Italie, sur les pas de Goethe et du célèbre tableau le représentant dans la campagne romaine, au milieu de temples païens en ruine. Cela donne des tableaux qui copient les maîtres du XVIe siècle, comme un pseudo Raphaël saisissant. L’Allemagne existe par la copie, avec ces peintres elle n’a aucun génie propre. Toute l’exposition démontre d’ailleurs que l’Allemagne n’est pas une nation de peintres. À l’exception de Caspar David Friedrich il n’y a aucun tableau valable. Dans le même temps, la France est capable de faire naître l’impressionnisme, Cézanne, Monet … L’Allemagne est une nation de philosophes, de musiciens, mais de peintres non. On pense, on danse, on ne voit pas. Dans la compréhension de la psychologie d’un peuple, c’est un aspect qui mérite un certain approfondissement.

Puis, dans la veine romantique, les peintres allemands essayent de bâtir un art pittoresque et patriotique. C’est charmant et ludique, mais guère plastique. C’est l’âge d’or de l’art gothique. Le mythe de la cathédrale gothique est régulièrement de sortie. On voit des châteaux forts, des chevaliers, des dames en costumes d’époque, des dragons, des montagnes escarpées avec leur forteresse, façon Kafka, où des châteaux reconstitués, façon Louis II ou Haut-Königsberg. À la cathédrale et au château on adjoint le fleuve, pour l’imaginaire qui s’écoule à travers le temps. C’est un peu lourd et ampoulé. C’est du mauvais allemand.

Heureusement qu’il y a Caspar David Friedrich pour relever l’ensemble et pour donner matière à rêver et à penser. On peut retenir cette citation, mis en exergue dans un panneau explicatif, et qui explique très bien sa peinture (la citation est de lui et appliquée à sa propre œuvre) « Clos ton œil physique afin de voir d’abord avec ton œil de l’esprit. Ensuite, fais monter au jour ce que tu as vu dans ta nuit. » Tout est dit. L’art abstrait apparaît en sous-main. Friedrich ne peint pas des paysages, il peint des idées, qui peuvent prendre forme dans des paysages. C’est en somme un philosophe qui peint au lieu d’écrire. Le retour à la philosophie fait de lui un véritable allemand. C’est du Hegel digeste et compréhensible. C’est pourquoi il est tant aimé en France.

L’exposition se construit autour de l’antithèse Apollon / Dionysos, reprenant ainsi, mais sans le citer Nietzsche et sa Naissance de la tragédie. Nietzsche aimait tellement Nice et la Méditerranée, il est cet Allemand fasciné par l’Italie, et qui se mire en elle, comme tant de ses ancêtres avant lui. Il reprend à son compte les mythes païens pour attaquer le christianisme. Dans ses attaques contre l’Église on a trop tendance à oublier qu’il était protestant, né de père pasteur, et que sa vision et son inculturation chrétienne ne sont donc pas catholiques. C’est ce qui lui manque le plus, la joie qu’il a tant cherchée dans ses œuvres, qu’il n’a pas trouvé, et cette perte l’a fait mourir fou, tombant à lier dans les rues de Nice. L’Allemagne s’est essayée en Apollon, mais ça n’a pas marché. Il a fallu en revenir à Dionysos, à la démesure, au vitalisme. C’est là qu’il manque un tableau expressionniste dans l’exposition, pour comprendre ce culte de la technique et de la modernité, cet attrait de la machine. La grosse Berta et les obus Krupp sont l’achèvement pictural du rêve dionysien des Allemands. Une nation d’industriels exprime ses rêves dans des machines, pas dans des tableaux.

Après la guerre, l’expérience romantique s’achève dans la prostitution et le suicide. Il y a un tableau fort laid, une sorte de grosse tache rouge, qui représente le suicide d’un gros bourgeois. Il a sauté du balcon de sa cocotte. Son visage est encore plus défiguré qu’un portrait de Picasso. C’est la mort qui rode et qui est sur le point de vaincre. On n’est plus dans les contes de fée sympathique du pittoresque Bavarois, des chevaliers et des princesses endormies, on est dans le déclin d’une civilisation de Junkers que la guerre a décapités et que la république de Weimar a dévitalisés. C’est là que survient Leni Riefenstahl, dont le prologue d’Olympia est diffusé, celui où l’on voit les statues grecques qui s’animent et qui nous transportent jusqu’au Berlin des jeux olympiques. Le nazisme est à peine ébauché. On le regarde trop avec les yeux de 1945 et des horreurs commises. Pour le comprendre, l’historien doit enfourcher les yeux de 1933. Cette idéologie reprend les mythes allemands, le culte de la force, du pittoresque patriotique, du vitalisme et de l’élan vital. Il met de côté l’ambiance mortuaire et mortifère de Weimar pour redonner un souffle de vie à un peuple qui ne veut pas mourir. Le nazisme, comme les autres totalitarismes, est éminemment moderne, beaucoup plus que les vieilles démocraties libérales corrompues qui croulent sous les scandales. C’est pour cela qu’il a attiré tout un peuple. Parce qu’il a réussi à cacher ses élans de morts derrière un rideau de fumée vitaliste. Quand la majorité s’est rendu compte de la réalité, il était trop tard. Le rideau s’est déchiré sur les camps de la mort et sur les villes en ruine.

Pour fêter le cinquantenaire du traité de l’Élysée, cette exposition est un bel hommage à l’Allemagne. J’ignore si on comprend mieux ce pays après l’avoir vu, mais au moins on essaye.

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