Couvrez ce vin que je ne saurais boire

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samedi 4 avril 2015

Le vin est intimement lié à l’histoire de France. Dans ses paysages, dans son économie, sa culture et ses arts, la France est marquée par le vin qui contribue à lui donner une partie de son esprit, et qui véhicule à l’étranger son image festive et gouailleuse. Pourtant, depuis au moins quinze ans, des campagnes publiques sont régulièrement menées pour restreindre la consommation de vin et pour limiter la communication autour de cette boisson. Derrière la volonté louable de lutter contre l’alcoolisme, se cache un projet hygiéniste de prohibition qui veut effacer le vin du patrimoine national. La loi Touraine suscite de vives inquiétudes chez les vignerons, car elle prévoit d’accroître la fiscalité sur le vin et de lutter contre les sites et les blogs qui parleraient en bien de ce produit. Ricard a récemment été condamné pour un slogan sur Facebook, et des publicités tout à fait anodines ont été interdites dans les journaux.

Rappelons donc aux censeurs et aux docteurs Knock de la prohibition quelques faits. La vigne est arrivée en Provence dès l’époque antique par l’intermédiaire des Grecs. Un des premiers grands vignobles français est celui de Gaillac, dans le Tarn, où se trouve également le site archéologique des amphores romaines de Montans. À l’époque médiévale, la vigne était présente à la périphérie de toutes les villes et le long des cours d’eau. Les vignobles de Saint-Pourçain et de Laon comptaient parmi les plus fameux au XIIIe siècle. Le vignoble bourguignon s’est développé dans le sillage des monastères bénédictins, notamment ceux de Cluny puis de Cîteaux. Nous devons à leurs moines la découverte des terroirs qui font l’admiration de tous les amateurs de la planète viticole. Il y eut la renaissance de Bordeaux, à partir du XVIIe siècle, qui doit tant à son lien particulier avec l’Angleterre. Il y eut la disparition des vignobles de la ceinture parisienne, comme le bleu d’Argenteuil. Quand le train a permis de faire venir du pinard d’Algérie et du Languedoc, les ouvriers se sont tournés vers ces régions. La France possède des vignobles royaux, comme les magnifiques crus du Val-de-Loire, des vignobles maritimes, comme le Bandol, et des vignobles montagneux, tels la Savoie et les vignes jurassiennes, notamment l’incroyable vin jaune.

Les Côtes du Rhône se sont construites entre les influences lyonnaises, papales (Avignon) et parisiennes ; et rien que pour les vins d’Alsace on ne regrette pas de s’être battu pour récupérer cette région. Chaque région viticole a son histoire particulière, intimement mêlée à l’histoire nationale. De l’ouvrier à l’aristocrate, en passant par l’homme des villes, tous boivent du vin ; et le repas gastronomique est l’unique ciment qui réunit tous les Français, fracturés par leurs divisions politiques. Les nouveaux conseillers départementaux seront bien avisés de commencer leur mandat par un vin d’honneur et autre verre de l’amitié, ils seront d’utiles traits d’union avant les luttes à venir.

À cette longue histoire brossée à grands traits il faut ajouter notre littérature. Baudelaire et l’âme du vin, Rabelais, Clochemerle, Balzac… vous pourrez compléter.
Cette campagne prohibitionniste est d’autant plus absurde que ce sont les régions viticoles qui comptent le moins d’alcooliques. L’éducation est le meilleur rempart aux dérives, non la prohibition, qui détruit l’histoire et les cœurs.

Chronique parue dans l’Opinion

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