Castelnau, le quatrième maréchal

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vendredi 21 décembre 2018

Castelnau, le quatrième maréchal par Benoît Chenu.

Bernard Giovanangeli édition, 2017, 25€.

Joffre, Foch, Castelnau et Pétain sont les quatre généraux majeurs de la Première Guerre mondiale, incarnant le haut commandement français lors du conflit. Pour des motifs politiques autant que religieux, Castelnau ne fut pas nommé maréchal, alors même que sa popularité était extrême et que l’opinion européenne était convaincue qu’il aurait son bâton. Ce refus a occulté la place de l’homme, aussi bien dans les combats militaires de la Grande Guerre que dans les combats politiques des années 1920-1930. Décédé en 1944 à l’âge de 93 ans, Castelnau, qui fut un opposant radical au maréchal Pétain et à l’État français dès la signature de l’armistice, n’eut droit à aucun honneur national et fut enterré dans une stricte intimité. Cela explique en partie le peu de reconnaissance dont il jouit aujourd’hui, à rebours de la gloire extrême qu’il eut après le conflit mondial.

Un Général dans la guerre

Catholique et issu d’une vieille famille aristocratique, Castelnau fut une des victimes de l’affaire des fiches qui vit les francs-maçons écarter les officiers catholiques des charges militaires. Castelnau ne put donc pas occuper des fonctions d’état-major, mais fut envoyé en garnison. De cette injustice naquit un bien : cela lui donna la compréhension des troupes et un sens tactique largement supérieur à Joffre. Ce dernier manqua cruellement d’expérience pratique de la guerre. S’il fut nommé général en chef de l’armée française, c’est plus par son adhésion à la République et son appartenance maçonnique qu’à ses qualités de commandant. Joffre se targua même de n’avoir jamais visité un hôpital militaire de tout le conflit, contrairement à Castelnau qui accorda toujours une grande importance aux hommes et aux soldats.

Les politiques comprenant que Joffre n’était pas capable de diriger l’armée française, ils lui adjoignirent Castelnau dès 1911, au moment de la montée des périls. C’est à lui que l’on doit la victoire de la trouée de Charmes aux premières semaines de la guerre. Cette victoire fut capitale, car, en fixant des divisions allemandes et en bloquant l’avancée de l’armée impériale, elle permit de sauver Paris et de préparer l’offensive de la Marne. C’est Castelnau également qui dirigea une grande partie des troupes à Verdun, méritant plus que Pétain le titre de vainqueur de Verdun. Lui-même considéra néanmoins que les authentiques vainqueurs de Verdun étaient les soldats français et que c’est à eux que l’on devait ce succès.

En novembre 1918, il préparait une vaste offensive contre l’Allemagne afin de pénétrer en territoire ennemi. Il considéra toujours que l’armistice était venu trop tôt et qu’il fallait que l’armée française foule le sol allemand, afin que le Reich soit réellement conscient de sa défaite et qu’il ne puisse pas dire qu’on lui avait volé la victoire. La suite des événements lui donna raison.

La Fédération nationale catholique

Après-guerre, il mena une carrière politique. Il fut élu député de la chambre bleu horizon en 1919. Battu par le Cartel des gauches en 1924, il fonda la Fédération nationale catholique afin de défendre les libertés publiques fondamentales. En effet, le chef du Cartel, Édouard Herriot, voulu reprendre l’ancienne politique de la IIIe République qui consistant à mener une virulente lutte anti-catholique afin de souder les partis de gauche. Herriot mena la lutte contre la liberté scolaire et il voulut expulser de nouveau les congrégations religieuses. Mais après cinq années de conflit, les Français aspiraient à la paix et à l’unité nationale. Redoutable orateur, Castelnau, en dépit de son âge, multiplia les réunions politiques et les manifestations de soutien. Il permet de faire reculer le Cartel et de mettre un terme à la politique de répression à l’égard des catholiques. Très virulent à l’égard du fascisme et du nazisme, il comprit dès 1933 qu’Hitler voulait la guerre, et surtout que la France n’était pas prête à soutenir un nouvel effort militaire.

Il plaida alors pour une modernisation de l’outil militaire français, et surtout pour une intransigeance à l’égard du nazisme. Après l’appel du 18 juin, il encouragea ses petits-fils à rejoindre Londres et la résistance. Il était partisan de poursuivre les combats à partir de l’Afrique du Nord et de ne pas signer d’armistice avec l’Allemagne. Lui-même trop âgé pour intervenir de façon directe dans la résistance, il signa plusieurs articles contre Pétain dans le journal qu’il avait fondé La France catholique, dont beaucoup furent censurés.

Après avoir perdu trois fils lors de la Première Guerre mondiale, il perdit trois petits-fils lors du second conflit. « Nos fils sont morts ; vivent nos fils » avait-il coutume de dire dans ses discours. Il s’éteignit dans son sommeil quelques mois avant la libération de la France. L’archevêque de Toulouse, Mgr Salièges, vint en personne célébrer ses obsèques dans son domaine du Rouergue. Vichy se garda bien de célébrer le héros qui venait de mourir alors que le régime vacillait sous l’action des Français libres.

Engagé à seize ans dans l’armée de la Loire contre les Prussiens, Castelnau a connu trois guerres contre les Allemands. Il a porté l’espoir de paix et la lutte résolue pour l’indépendance de la France contre l’impérialisme prussien. Grâce aux travaux de recherche menés par Benoît Chenu, l’un de ses petits-fils, nous disposons d’une biographie scientifique de haute qualité, qui n’a rien d’une hagiographie, mais qui est une véritable étude historique de cet homme hors du commun dont le destin personnel se mêle à celui de la France.

Si l’ouvrage se centre essentiellement sur le premier conflit mondial, il permet de comprendre la réalité des combats et le fonctionnement du GQG. Les parties consacrées à l’après-guerre sont une excellente analyse de la vie politique et intellectuelle durant ces vingt ans où la France républicaine a repris ses vieux démons de lutte et de divisions, se masquant les yeux face à la réalité du nazisme et des dangers européens.

Les destins croisés de Castelnau et de Pétain dressent le parcours de deux hommes de la même génération qui eurent pourtant des vus complètement différentes sur la façon de conduire les hommes et de tenir les armes, ainsi que sur la place de la France en Europe. Quand Pétain fit preuve d’un constant esprit de défaite, qui culmina avec l’armistice de 1940, Castelnau fut une volonté de victoire et d’ardeur, qui ne lui fit jamais perdre l’espérance de la grandeur et de la victoire.

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