Waterloo

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lundi 19 août 2013

Waterloo, Waterloo, Waterloo, morne plaine,
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait ses sombres bataillons.

La poésie, surtout celle de Victor Hugo, a le pouvoir de sublimer le réel, et d’en inventer un qui soit plus beau que le réel lui-même. À Waterloo il n’y a ni coteaux ni vallons, seulement une morne plaine, que viennent briser ici et là les constructions récentes. A Waterloo ne gémissent plus les morts, ne râlent plus les chevaux. Finalement, la bataille fut brève, et le sort de l’Europe scellée en un instant. Les Français continuent de croire que Waterloo fut une défaite, alors qu’en ce 18 juin 1815 ce qui s’est joué c’est bien la fin du régime de Napoléon, une affreuse dictature, un régime policier et répressif. Les Français avaient beaucoup plus de liberté sous Louis XVI et sous Louis XVIII que sous Napoléon. Ils devraient remercier les Anglais et les Prussiens de s’être donné tant de mal à les en délivrer.
Waterloo a initié une longue période de paix pour la France : 55 ans, jusqu’en 1870, sans invasion, sans combat sur le sol national. Après les 23 ans de guerres révolutionnaires, ce n’était pas du luxe. 55 ans de paix c’est une des plus longues périodes de l’histoire française. Il a ensuite fallu attendre l’an 2000 pour connaître la même chose : 55 ans de paix entre 1945 et 2000. Sauf qu’entre temps nous avons eu les 75 ans de guerre franco-allemande.

Quelques plaques commémoratives, quelques mémoriaux, rappellent au passant que la bataille a eu lieu. On y voit des auberges dont on veut nous faire croire qu’elles sont d’époque. On y a construit une grande butte en forme de cône au-dessus de laquelle trône un lion posant sa patte sur un globe. Sont-ce les Prussiens, les Belges ou les Anglais que représente ce lion ?
La terre est dure. Le labourage est récent. Les marques des pneus de tracteur sont autant de rigoles pour capter l’eau. Voici la terre qui s’est imbibée du sang de ces soldats. Voici la terre où on courut les chevaux au galop, où les ordres de Napoléon on résonné avant d’être transmis à qui de droit. Ici c’est joué l’Europe, et c’est plus mythique, plus romantique et plus tragique que dans les couloirs feutrés de Bruxelles. Les politiques regrettent de ne pas pouvoir jouer leur tête à chaque décision, de ne pas pouvoir tirer l’épée et affronter en duel leurs adversaires. Pourtant cela aurait bien plus de panache, et offrirait quelques distractions, comme au temps de Jaurès et de Maurras. Grâce à Waterloo nous avons, outre les vers d’Hugo la réflexion politicophilosophique de Chateaubriand, la narration dérisoire de Stendhal, et la formation d’une génération de romantiques qui est, à ses débuts, monarchistes et antirépublicains. Pendant que le vieux roi était réfugié à Gand sa jeune garde fourbissait ses armes et était prête à prendre le chemin du retour, elle qui était sans complexe pour exister qu’elle n’aurait jamais dû prendre celui de l’aller.

Des drapeaux internationaux, des accents anglais et japonais, des cars aux plaques minéralogiques variées, des semblants de distractions vraiment inutiles, voilà ce qu’il reste de Waterloo, ainsi que des passionnés qui refont la bataille tous les ans. Qu’ils semblent loin les morts, les réflexions stratégiques et les charges de Wellington. Notre monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans la victoire de Waterloo, et les voitures roulent sans s’arrêter.

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