Une révolution sous nos yeux

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mercredi 9 novembre 2011

Publié en 2009 aux Etats-Unis, et désormais traduit en français, le livre de Christopher Caldwell, éditorialiste au Financial Times, est une analyse du moment historique qu’affronte l’Europe actuelle, à savoir la grande phase migratoire venue d’Afrique.

Disons-le d’emblée, ce livre n’est pas un pamphlet ou un réquisitoire, mais bien un livre d’analyse et d’étude. C’est un volume de plus de 500 pages, écrit par un diplômé de Harvard qui connaît parfaitement l’Europe, et les spécificités de chaque pays. Il est rarement dans les idées générales, mais bien dans l’étude et la compréhension du phénomène migratoire. Les nombreux exemples qu’il apporte sont précis et rigoureux. Ce livre est un vrai travail de recherche, écrit sans haine ni animosité, même si ses conclusions peuvent faire frémir.
Car plus que l’islam, ce dont il est question est bien l’attitude de l’Europe, face à elle-même, face à sa propre histoire, et face à son destin. Si l’auteur montre bien les changements structurels et culturels apportés par la grande vague migratoire, il en fait aussi très bien ressortir les causes, qui sont d’abord un problème moral et culturel des Européens.

Caldwell revient à plusieurs reprises sur le moment fondateur de la politique européenne actuelle, qui est la Seconde Guerre mondiale. Traumatisé par le conflit, et par le génocide juif, les Européens ont cherché à sortir de l’histoire pour ne pas revivre un tel chaos. Marqués aussi par le détournement du racisme au profit de l’idéologie nazie, ils ont voulu compenser leur mauvaise conscience de la guerre, par le développement d’une bonne conscience et d’une repentance exacerbée qui leur a fait accepter des politiques qu’ils n’auraient jamais acceptées antérieurement. Accueillir des immigrés en masse, au cours des années 1960-1970, et encore plus depuis les années 1980, étaient pour eux un moyen d’en finir avec le traumatisme de la guerre.

L’autre cause de la grande migration est l’asservissement de l’Europe aux États-Unis. Pour l’auteur, toujours dans le contexte de l’après-guerre, et surtout de la Guerre Froide, l’Europe a abdiqué sa souveraineté entre les mains des États-Unis, chargés de protéger le continent d’une éventuelle attaque de l’URSS. Cela a eu pour conséquence de bâtir une américanisation des esprits, ce qui passe notamment par l’édification d’une société multiethnique. Mais alors que cette société, aux États-Unis, est composée de migrants européens, en Europe, elle a été bâtie autour des migrations africaines. Par peur d’être étiquetée comme raciste, l’Europe a accepté un mouvement refusé par les peuples. L’entrée en masse des migrants sur le continent est parallèle à la perte de valeur démocratique de la structure européenne. Trop habituée à déléguer sa défense aux États-Unis, l’Europe n’a pas compris qu’elle devait aussi savoir se défendre elle-même, notamment contre les migrants. Nous aboutissons donc à un moment où le continent est le seul à refuser l’histoire qui est en train de s’écrire autour de lui.

Intégration impossible

Christopher Caldwell étudie longuement le principe d’intégration, sur lequel il revient à plusieurs reprises, notamment dans les chapitres 7 et 12. Il démontre très bien que les migrants n’ont qu’une faible volonté d’intégration, formant ainsi des colonies ethniques séparées du reste du pays, et que les enfants des migrants sont eux-mêmes étrangers dans le pays où ils sont nés. Ce refus d’intégration a deux causes : d’abord un refus net de renoncer à sa culture et à ses valeurs ; le refus d’abandonner sa langue et sa religion. Ensuite, le refus d’adhérer au projet culturel de l’Europe, parce que l’Europe n’a plus de projet culturel, et pratiquement plus de culture. Quel pourrait être le modèle de vie pour un étranger en Europe ? Une consommation effrénée dans des centres commerciaux ? Le matérialisme et l’individualisme à outrance ? L’Europe rejetant elle-même sa culture et son histoire, notamment par le développement de la repentance, comment un étranger pourrait-il s’approprier la culture européenne ? Les autres ne peuvent pas adhérer à ce que nous rejetons nous-mêmes. La perte de la foi en Europe, le rejet du christianisme, les attaques répétées contre l’Église et contre le pape, ont pour conséquence le développement de l’islam. Face au vide religieux, une autre religieux prend la place.

Utilité économique ?

Christopher Caldwell analyse l’autre thèse défendue par les partisans de l’immigration, celle de l’utilité économique. Pour eux, faire venir des migrants serait un moyen de régler la question du vieillissement démographique, de sauver les États providence, de faire faire à d’autres le travail que les Européens ne veulent pas. Là encore, cette thèse est balayée par l’analyse minutieuse de Caldwell. Il démontre que bien loin de sauver l’économie, les migrations lui nuisent. Les migrants sont en effet embauchés dans des industries vieillissantes, qui présentent des chutes de compétitivité. Si ces industries peuvent trouver dans un main d’œuvre peu chère, de quoi survivre un temps, cela les empêche de faire les ajustements structurels nécessaires, de se moderniser, de gagner en productivité, ce qui entraîne, à terme, leur chute. L’analyse qu’il porte sur les industries des années 1960-1970, emportées par les modernisations et les changements successifs, témoigne bien de ce phénomène. Il faudrait donc revoir le sens véritable de l’intérêt du phénomène migratoire.

Quelques citations :

« Si raisonnable ou si déraisonnable soit-il, le débat européen sur l’immigration trahit le sentiment de peur panique refoulée qu’inspire l’état de la civilisation européenne. Que l’Europe réussisse, pour la première fois de son histoire, l’adaptation des minorités non-européennes dépendra de la perception qu’auront de l’Europe les autochtones et les nouveaux arrivants — civilisation florissante ou civilisation décadente ? » (p. 45)

« Ces pénuries de main-d’œuvre que les immigrants étaient amenés à résoudre constituaient des crises aiguës, pas des problèmes chroniques. Beaucoup d’industries qu’ils vinrent soutenir étaient moribondes. Les filatures de lin du Nord de la France furent confiées à des Algériens seulement après qu’il fut devenu clair, au début des années 1960, que ces emplois seraient bientôt éliminés. Il en fut de même pour les usines textiles du Nord de l’Angleterre. Il fallut plusieurs décennies pour s’apercevoir que les planificateurs avaient exagéré les besoins de main-d’œuvre industrielle à long terme. Entre les années 1970 et le début du XXIe siècle, les usines européennes connurent les mêmes gains de productivité —et, en conséquence, les mêmes licenciements massifs— que le Rust Belt américain au cours de cette période. » (p. 65)

« L’immigration, c’est l’américanisation. Il existe deux faces du même système de relations économiques perturbatrices qui supplantent le schéma européen traditionnel. À l’ère de l’expiation publique et du dégoût rhétorique, il n’a souvent pas été possible de se lamenter sur ou de condamner l’immigration ou les politiques qui ont convoqué des immigrants en masse. Mais il est possible de dire que la décision de l’Europe d’accueillir des millions d’étrangers a été prise à une époque où elle n’était saine ni de corps ni d’esprit, dans un paysage politique dessiné par Hitler et Staline, où elle était le sujet sous tutelle d’un pays —les États-Unis— dont les intérêts coïncident moins avec ceux de l’Europe, maintenant que le temps de Hitler et Staline est révolu. » (p. 446)

« Il est courageux d’être un immigrant, d’abandonner ses anciennes références et ses anciennes certitudes et de se mettre en quête d’une vie meilleure. Mais beaucoup des autochtones européens d’aujourd’hui sont dans une position similaire. Ils vivent un exil à l’intérieur, coupés d’un monde qui devait être le leur par les changements économiques et culturels. D’un certain point de vue, ils sont dans une position pire encore que celles des immigrants puisqu’ils n’ont pas choisi cet exil. La crise économique qui a débuté en 2008 a rendu les pays européens encore plus méconnaissable aux yeux des natifs. » (p. 454)

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