Ukraine : de l’euro de foot à la guerre civile

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jeudi 2 juin 2016

Donbass : une guerre civile en Europe qui ne se finit pas

Entretien avec Nikola Mirkovic, politologue et administrateur de l’association humanitaire Vostok France - Solidarité Donbass.

Il y a quatre ans, l’Ukraine organisait l’euro de foot. Certains matchs se sont joués à Donestk, la capitale de la République Populaire de Donetsk. Quatre ans plus tard, la région est plongée dans une guerre civile qui a déjà fait 9 000 morts et provoquée le départ de 1,2 million de réfugiés (chiffres du UNHCR).

Quelles sont les origines des combats dans le Donbass ?

Cela débute avec la révolution de la place Maïdan en 2013, qui est une révolte contre le président Ianoukouvitch. À l’origine pacifiques, les manifestations deviennent vite très violentes. Le gouvernement légitimement élu est renversé en février 2014 et le nouveau gouvernement se montre très hostile à la population russe. Un projet de loi est ainsi déposé pour interdire la langue russe comme langue officielle, alors que c’est une langue très parlée en Ukraine et qu’une grande partie de la population est russophone. Cette proposition a beaucoup choqué, notamment dans les régions de l’Est. Les populations ont alors pris peur, notamment dans le Donbass, et ont souhaité demander leur indépendance.

Cette séparation tient à la nature même de l’Ukraine qui est culturellement divisée en deux, avec des populations de l’Est favorables à la Russie et des populations de l’Ouest opposées à elle. L’Ukraine demeure une construction politique récente et ne forme pas véritablement de nation.
La Crimée est la première région à réagir. Elle organise un référendum pour l’autonomie et la réunification à la Russie (16 mars 2014) où plus de 96% de la population vote favorablement pour la réunification. Ce résultat n’est pas surprenant puisque la Crimée a toujours été russe.

Le reste de l’Ukraine russophone veut suivre le même processus. Des oblats du Donbass organisent des référendums pour demander eux aussi leur indépendance. Ils estiment que la constitution n’étant plus respectée ils peuvent s’affranchir de l’Ukraine. Les élections sont favorables à l’indépendance (11 mai 2014). Ce sont des républiques autonomes, avec leur président, leur assemblée et leur fonctionnement indépendant.

Quelle est la réaction de Kiev face à ces indépendances ?

Face à cela, Kiev envoie l’armée pour éviter le détachement du Donbass. Les populations civiles s’arment et reçoivent l’aide de populations russophones extérieures. C’est le début de la guerre civile.

Moscou refuse que les États-Unis mettent la main sur l’Ukraine. Pour la Russie, c’est une atteinte à sa souveraineté et un danger pour ses intérêts. Le gouvernement américain a reconnu être intervenu pour faciliter et structurer la révolte de Maïdan (il a versé 5 milliards de dollars aux mouvements qui ont encadré les insurgés). Cela correspond au plan géopolitique américain de détachement de l’Ukraine du giron russe et d’encerclement de la Russie par des alliés américains. On peut comprendre que Moscou ne voit pas d’un bon œil l’organisation de ces plans.

Y a-t-il une intervention de l’armée russe dans le Donbass ?

Dans le Donbass non, il n’y a pas d’intervention de l’armée russe, même si des militaires russes ont pu rejoindre les insurgés pour les aider. En Crimée il y a des militaires russes parce qu’il y a la présence de la base navale de Sébastopol. Les Russes y sont présents au titre d’accords internationaux entre Kiev et Moscou. En revanche, il n’y a pas de bases militaires russes dans le Donbass.

Il est certain qu’il y a des militaires russes qui prennent sur leur temps de repos pour passer la frontière et aider leurs frères russes du Donbass, mais ce n’est pas une intervention officielle. Le Général américain Breedlove a dit que l’armée russe était présente au Donbass mais il a été démenti par le Général ukrainien Muzenko qui a avoué que cela n’était pas le cas. C’est d’ailleurs un regret de certains habitants qui aimeraient que l’armée russe intervienne. Mais pour Moscou une telle intervention est beaucoup trop dangereuse et ne correspond pas forcément à ses intérêts.

Comment est organisé le front ?

Depuis février 2015 il y a les accords de Minsk 2 signés par l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne la et la France. Ces accords organisent une trêve pour tenter de pacifier la région : organisation d’un cessez-le-feu, échanges de prisonniers, retrait des armes qui sont sur la ligne de front.

Mais le cessez-le-feu n’est pas respecté. Il y a des bombardements quotidiens dans le Donbass, y compris contre des villages. Ce n’est plus une guerre ouverte, mais des bombardements réguliers et une série d’escarmouches. C’est une guerre de position où l’on tire sur le camp d’en face.

Comment ce conflit pourrait-il se terminer ?

Les positions des uns et des autres sont irréconciliables. Les morts et les destructions rendent très difficile la réconciliation. Les Ukrainiens anti-russes ont été très vindicatifs et ont attaqué verbalement les populations. La rupture entre les deux groupes est forte.

Il n’est pas certain que ces républiques soient viables. D’un point de vue juridique, elles ne sont pas reconnues par le droit international. Sur le plan économique, elles ont les moyens de survivre. Le Donbass possède de nombreuses mines de charbon et il dispose d’une industrie solide, même si celle-ci est à reconstruire. La monnaie ukrainienne ne circule plus dans la région puisque c’est le rouble qui est utilisé pour les échanges.

Quant à la Russie, elle n’est pas vraiment favorable à un rattachement à court terme, car cela serait pour elle difficile à digérer et à intégrer et cela donnerait d’elle une image d’envahisseur. Les populations du Donbass sont en revanche très favorables au rattachement.

La communauté internationale s’y oppose, ce qui n’est pas sans contradiction avec le droit revendiqué de l’autodétermination des peuples.

Alors même que le conflit se déroule chez elle, l’Europe semble absente et incapable de résoudre ce dossier.

L’Europe est prise à son propre piège. En reconnaissant l’indépendance du Kosovo, elle a ouvert une boîte de Pandore qui se répand sur tout le continent. Pourquoi y aurait-il une légitimité pour le Kosovo à demander son indépendance et pas pour le Donbass ? De même, on voit que de nombreuses régions veulent organiser des référendums sur leur indépendance, comme l’Écosse et la Catalogne. Si l’Europe le permet là, comment pourrait-elle l’interdire ailleurs, et notamment en Ukraine ? Cette guerre civile du Donbass révèle les failles et les incohérences de la politique des peuples de l’Union européenne.

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