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jeudi 5 novembre 2020
L’expansionnisme turc qui se manifeste en Libye, en mer Égée, en Syrie et dans le Haut-Karabakh est la traduction politique de son idéologie de néo-ottomanisme, mais également d’un concept moins connu, mais tout aussi important, celui de « patrie bleue ». La Turquie n’a jamais accepté le traité de Lausanne qui a mis un terme à l’Empire ottoman à l’issu de la Première Guerre mondiale. Même sous Mustapha Kemal, il y avait le désir de retrouver les territoires perdus afin de donner une nouvelle densité au pays. Pour des raisons tant conjoncturelles que de politique intérieure, cela n’était pas possible. La situation a changé, les hommes politiques aussi, et Erdogan se montre beaucoup plus velléitaire dans sa politique d’expansion. Il applique la pensée de néo-ottomanisme, mais aussi le concept de patrie bleue, qui conduit la Turquie à se tourner vers la mer, et notamment la mer Égée et Chypre, afin de contrôler les ZEE et les gisements de gaz.
Le regard maritime de la Turquie
Le concept de patrie bleue a été développé par l’amiral Cem Gürdeniz, aujourd’hui retraité de la marine turque. Il a souhaité montrer que la Turquie devait être tournée vers les océans et pas seulement vers le plateau anatolien et les plaines d’Eurasie. En marin, il a insisté sur le tropisme maritime de la Turquie et le nécessaire contrôle à ses yeux de la mer Égée. Sa doctrine, reprise aujourd’hui par Erdogan et son entourage, suppose le réarmement de la marine turque, le contrôle de certaines îles, dont Chypre, la contestation juridique de la notion de ZEE (zone économique exclusive) et de la délimitation des frontières maritimes. C’est en 2006 que l’amiral Gürdeniz a développé le concept de « Mavi Vatan » (patrie bleue) afin, d’abord, de définir les zones de juridiction maritime turque et de contester les eaux territoriales grecques. Le concept de Gürdeniz est aussi une réponse à la découverte de potentiels gisements gaziers dans les eaux territoriales chypriotes.
La Turquie contrôlant le nord de l’île depuis son invasion de 1974, Ankara souhaitait faire main basse sur les gisements découverts en évinçant Chypre du contrôle de la zone. En 2006, l’amiral a conduit l’opération « bouclier méditerranéen » qui menait une série de prospections géologiques afin de découvrir du gaz dans les eaux turques et de contester les zones maritimes chypriotes. La crise actuelle en Méditerranée orientale ne date donc pas d’aujourd’hui, mais trouve son origine dans les années 2006/2007. Gürdeniz a été arrêté en 2008 et a passé plusieurs années en prison dans le cadre d’une épuration des cadres militaires menées par les partisans de Fethullah Gülen. Cela lui a donné du temps pour écrire et pour développer son concept, qu’il a continué à défendre depuis sa cellule. Il publie notamment dans des quotidiens et des hebdomadaires dans lesquels il défend son concept de patrie bleue afin de sensibiliser les Turcs sur cette question. Libéré en 2014, Gürdeniz a continué à défendre son concept et ses thèses de contrôle de la mer Égée. En 2016, la Turquie a acheté plusieurs bateaux de recherches sismiques et de forages afin de poursuivre ses prospections. Il s’agit bien en mer Égée d’une guerre de frontières, de bataille pour le contrôle des ressources et de lutte pour la suprématie maritime.
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