Turgot ou la réforme avortée

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samedi 21 mars 2015

L’échec de la réforme pacifique semble illustrer l’art de vivre à la française. Anne-Robert Turgot (1727-1781), intendant du Limousin puis contrôleur général des finances de Louis XVI, s’est essayé, sans réel succès, à une réforme audacieuse des finances et de la fiscalité du royaume. Face au déficit grandissant, sa politique tient en quelques points : pas de faillite, pas d’emprunt et pas d’augmentation des impôts. Le salut ne doit venir que d’une gestion plus rigoureuse des deniers de l’Etat. Les ministères sont soumis à une rude cure d’austérité ce qui, bien sûr, est loin de remporter l’adhésion des personnes contraintes. Le roi restreint les pensions accordées sans raison valable et tranche dans les dépenses superflues.

Turgot est aussi connu pour sa volonté de faciliter le commerce des grains, en supprimant les droits de douane et les octrois à l’intérieur du pays. On imagine mal aujourd’hui ce que pouvait représenter la politique des grains au XVIIIe siècle. Quand le pain est la nourriture quasi unique de la population, il est impératif de permettre aux grains de circuler, pour que les régions connaissant des difficultés frumentaires puissent être approvisionnées en grains venant d’autres parties du royaume. La moisson de 1774 étant mauvaise, les prix des céréales ont fortement augmenté durant l’hiver 1775, ce qui a causé la guerre des farines : des soulèvements armés dans plusieurs régions du pays. On a reproché au roi de ne plus contrôler les prix.

La rumeur véhiculée rapportait même que le roi et son ministre avaient conclu un pacte de famine pour affamer la population. Diffamation certes, mais le mal était réel. Turgot échoua dans sa réforme. Autre échec de Turgot : l’abolition de la corvée. Les Parlements se révoltent contre l’édit qui l’impose, arguant que cette abolition va contre la justice et est une tentative de renversement de l’ordre établi. Ils en appellent au peuple contre la tyrannie du roi qui tente d’imposer un édit injuste. Vaincu, Turgot doit reculer. Comme il échoue aussi à accroître l’assiette des impôts, et à faire payer la noblesse. Celle-ci argue qu’elle paye l’impôt du sang, c’est-à-dire qu’elle participe à l’effort de guerre dans la défense du royaume. Si c’était vrai au XIIIe siècle, cela l’est beaucoup moins dans les années 1770. Attaqué de toutes parts par les corporations et les privilégiés, Turgot n’est soutenu que par Louis XVI et quelques ministres amis, dont il finit par perdre la confiance. Il est finalement contraint à la démission en 1776. Son caractère impétueux et irascible a aussi joué contre lui. Avec un peu plus de souplesse et moins de dureté, il aurait pu réussir à faire passer quelques réformes.

C’est la Révolution qui parviendra à mettre en application les réformes portées par Louis XVI et son ministre. A l’été 1789, les nobles votent eux-mêmes la fin de leurs privilèges, et acceptent de payer l’impôt. Ils approuvent ainsi les changements voulus par Turgot, mais que ce dernier n’a pas vu aboutir. A bien des égards, comme l’a démontré Tocqueville, la Révolution française fait aboutir la révolution royale inachevée. Réformes fiscales et administratives, système métrique, ouverture du Louvre, ces projets portés par Louis XVI, et bloqués par la force des habitudes et des corporations, ont été mis en œuvre par la violence et la radicalité des révolutionnaires.

Chronique parue dans l’Opinion

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