Totalitarisme et religion

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lundi 1er avril 2013

Les relations entre les régimes totalitaires et le christianisme demeurent une des grandes questions du XXe siècle. Ces régimes sont nés dans des pays chrétiens, et fortement christianisés. Ils reprennent des éléments du discours ou de la forme chrétienne, et ils ont cherché à enrôler l’Église dans leur mouvement. Pour autant, ils sont fondamentalement antichrétiens et l’Église les a combattus, avec une force variable selon la période. Ce sont ces relations complexes et délicates qu’Emilio Gentile aborde dans son dernier ouvrage, Pour ou contre César ? Les religions chrétiennes face aux totalitarismes, publié en France aux éditions Aubier.

J’ai déjà évoqué précédemment le travail d’Emilio Gentile, spécialiste du fascisme et du mouvement des idées au début du XXe siècle. Son esprit et ses analyses sont toujours fortement percutants. Son livre est un vrai livre d’histoire, avec des références nombreuses et bien choisies, une structure de raisonnement qui analyse le sujet jusqu’au bout. Le thème abordé est essentiel pour comprendre la vie politique et sociale du dernier siècle. Il pose un certain nombre de problématiques cruciales. Comment s’accommoder d’un régime ouvertement liberticide, en essayant de sauvegarder ses acquis, sans provoquer de répression trop brutale, mais tout en le combattant. Comment combattre un régime qui a l’assentiment du peuple et l’usage exclusif de la violence et de la force. Est-il possible de trouver un point d’entente, une conciliation.

C’est cette question de la conciliation, avec le communisme, le fascisme ou le nazisme qui est la grande question. Ceux qui l’ont prônée ce sont trompés, et les régimes totalitaires les ont ensuite violemment combattue. Mais étaient-ils vraiment possible de faire autrement ?

La relation entre les totalitarismes et le christianisme varie en fonction du régime et du pays. En URSS, les églises orthodoxes, après s’être opposées au communisme, l’ont soutenu. C’était pour elle la seule façon de survie ; les communistes ayant déjà largement déportés les prêtres et détruits les églises. En Allemagne ou en Italie, Hitler comme Mussolini ont dû mener un combat insidieux, en faisant croire à une possible conciliation, tout en programmant la destruction du christianisme. On trouvera dans ce livre des témoignages de personnes lucides, ou au contraire totalement trompées par ces régimes.

Ce livre apporte à mon sens deux idées essentielles, qui ne sont pas évidentes pour tous les historiens et qui sont même combattues par certains.

1/ Les trois régimes totalitaires ont une structure commune. Emilio Gentile les associe dans son livre, reprenant en cela l’analyse menée par Ernst Nolte dans la Guerre civile européenne. Lorsque l’historien allemand fit paraître ce maître ouvrage en 1989, cela lui valut une trombe de critiques, car il avait osé associer nazisme et communisme. Le parallèle était rejeté, même après la chute du mur de Berlin. Emilio Gentile reprend à son compte ce parallèle, qui est par ailleurs désormais évident, mais pour des raisons différentes de Nolte. Il étudie les totalitarismes ensemble, en marquant leur spécificité, mais en montrant aussi ce qu’ils ont de commun.

2/ Cette partie commune, c’est la religion. Les totalitarismes ne sont pas des régimes athées, ce sont des idéologies profondément religieuses. Ou plus exactement, leur athéisme est religieux, car l’athéisme lui-même est une religion. On connaît la célèbre formule de Léon XIII : « L’athéisme, c’est le culte de l’État ». Formulée dans les années 1880, elle illustre parfaitement la logique totalitaire.

Les totalitarismes empruntent fortement au christianisme. Leurs rites, leurs symboles, leur vision du monde, leur volonté de transformer l’homme, s’inscrivant en cela dans un messianisme apocalyptique, sont une forme dévoyée et détournée du christianisme.

Cet aspect éminemment religieux des régimes totalitaires me semble indispensable à comprendre si l’on veut avoir une intelligence un peu fine de ces idéologies. Je ne suis pas certain que la race ou la classe soit l’élément moteur du nazisme et du communisme. J’ai tendance à penser que ce ne sont que des prétextes secondaires à une religion de l’État qui, elle, est première. Le Führer ou le petit père des peuples passent avant la lutte contre l’ennemi désigné.

Dernier élément de l’ouvrage, sa lecture nous fait entrer dans un monde étouffant et angoissant. Nous sommes comme dans une pièce murée et sans porte. L’étude de ces régimes et de leur système de fonctionnement montre à quel point ils ont paralysé toute vie et empêché tout élément de liberté. Que l’Europe ait connu une telle période est proprement angoissant. Que nous en soyons sortis est miraculeux. Cela aide aussi à nous rendre compte que nous vivons aujourd’hui à une époque heureuse. Finalement, pourquoi ces régimes ont failli ? Parce que dans leur lutte religieuse engagée contre la religion chrétienne, c’est eux qui ont perdu. Le christianisme qu’ils ont voulu détruire est ce qui les a fait trébucher et mourir.

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