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samedi 23 août 2014

La liberté, entre la personne et l’Etat

En 2013, nous avons commémoré le 1700e anniversaire de l’édit de Milan (313), par lequel l’empereur Constantin a accordé la liberté de culte aux chrétiens. À cette occasion, l’archevêque de Milan, le cardinal Angelo Scola, a publié un livre de réflexion sur la signification de cet édit et, plus largement, sur le sens de la liberté religieuse dans une société pluraliste. Sa réflexion approfondie ainsi le concept de liberté et analyse la place de la personne face à l’État qui cherche toujours à restreindre ses prérogatives.

Le tournant de 313

Le cardinal Scola analyse d’abord la nouveauté introduite par l’édit de Milan. À la fin du IIIe siècle, l’Empire romain est régulièrement attaqué. Pour les empereurs, il s’agit de maintenir l’unité de l’Empire face aux attaques, et d’assurer la cohésion autour de sa personne. Deux visions politiques s’opposent alors : celle de Dioclétien et celle de Constantin. Dioclétien veut faire l’unité en affirmant la primauté de l’État. L’empire doit être célébré comme un dieu, et les Romains doivent offrir des sacrifices en son honneur. Ceux qui ne respectent pas la religion impériale, qui est une religion d’État, se placent de facto comme des dissidents et sont donc vertement attaqués par l’État. Parmi eux, on trouve les adeptes de Manès et les chrétiens, que Dioclétien ne cesse de persécuter. Les chrétiens subissent une des plus fortes persécutions de leur histoire, qui touche toutes les régions de l’Empire. La religion d’État prime sur les autres, la politique absorbe l’espace privé, l’espace religieux, en se faisant lui-même religion. La philosophie politique de Rome est alors un monisme. La personne n’existe pas, elle est au service du projet impérial.

La deuxième vision politique vient de Constantin et elle est le fruit de sa conversion au christianisme. Il accepte la liberté individuelle, et notamment la liberté de religion, en acceptant un État dualiste, c’est-à-dire un État où la sphère religieuse n’appartient pas à la sphère politique. C’est l’émergence de la laïcité, qui est un concept entièrement chrétien, et c’est la reconnaissance de la liberté de la personne, face à la toute-puissance de l’État.

« [Nous donnons] aux chrétiens comme à tous, la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix, afin que tout ce qu’il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice, à nous-mêmes et à tous ceux qui se trouvent sous notre autorité. » (Extrait de l’édit de Milan).

Cette nouveauté de Milan est en même temps une grande rupture : elle reconnaît la liberté de culte à l’ensemble des habitants de l’Empire, et elle ne fait plus de l’État un objet de religion. La personne est ainsi dégagée de la tutelle étatique.

L’histoire de la liberté religieuse connaît ensuite des vicissitudes et des contradictions au long des siècles, notamment à cause de la tension perpétuelle entre le pouvoir terrestre et le pouvoir céleste. Pour affermir leur autorité et leur domination des personnes, les rois et les empereurs sont régulièrement tentés de subjuguer l’espace religieux et de créer une religion d’État. Cela produit la lutte séculaire entre l’empereur et le pape, celle du sacerdoce et de l’Empire. Une nouvelle rupture est apportée avec la Révolution française, fruit de la réforme luthérienne, qui définit de nouveau une religion d’État, une religion du culte de l’État et qui, par conséquent, combat violemment le christianisme. Le culte de la nation, de la patrie, le culte du sang ou de la race, provient de cette déification de l’État et du rétablissement des régimes monistes.

Le combat actuel de la liberté

La réflexion actuelle sur la tolérance et la liberté religieuse porte sur la distinction entre l’erreur et la personne. L’erreur n’a pas de droit : aucune loi ne peut favoriser l’erreur, et une société doit obligatoirement être fondée sur la vérité, ou tout au moins sa recherche, sous peine de se dissoudre. En revanche, la personne peut se tromper, et elle a des droits, y compris le droit de se tromper. La tolérance ne vise donc pas à accepter ou à légitimer l’erreur, encore moins à lui donner un statut semblable à la vérité ; la tolérance c’est accepter que les personnes se trompent. Ce qui est légitimé, ce n’est pas l’erreur, mais la liberté de la personne à pouvoir errer, jusqu’à ce qu’elle trouve la vérité.

L’espace public doit être a-confessionnel, mais il ne peut pas être neutre. Un espace public neutre, c’est un espace qui refuse la religion, donc qui discrimine les croyants, au prétexte que ceux-ci se réfèrent à un système de pensée et de valeur qui n’est pas celui promu par l’État. Un espace public neutre, c’est-à-dire où la question religieuse est rejetée, c’est un espace où l’État est redevenu une religion, où le monisme l’a emporté sur le dualisme, où la laïcité a été emportée au profit d’une religion laïque ou d’un culte de l’État. Le refus de la liberté religieuse conduit nécessairement à la guerre sociale, tant c’est un choc d’une grande violence imposée par l’État aux personnes. Dans une société démocratique, le premier rôle appartient à la société civile, et non pas à l’État.

Le principe de communication

Dans une société pluraliste, ce que devraient être nos sociétés européennes, le principe de la communication est indispensable. C’est une mise en commun, un être ensemble fondamental. Pour communiquer, il faut accepter les idées de l’autre, qui peuvent être différentes des nôtres, et il faut accepter que l’espace public soit le lieu d’expression de ces idées. De la même façon, une société pluraliste exige une idée du bien sur laquelle tous les acteurs peuvent se retrouver. C’est le bien fondamental de l’être en commun. Pour communiquer, il faut reconnaître l’autre comme un interlocuteur de plein droit sans discriminer. Un espace public qui bannit la liberté des croyants n’est pas un espace public, c’est un espace privatisé par des personnes qui discriminent les autres, et c’est bien souvent un espace privatisé par l’État, qui cherche ainsi à imposer sa propre religion étatique. La neutralité n’existe pas, la neutralité n’est jamais neutre, c’est l’éviction d’un groupe par un autre groupe, qui essaye de s’approprier complètement un espace.

La nouveauté de Milan a ainsi introduit un espace de liberté majeur en Europe, celle de cette laïcité qui, par la mise en concurrence de l’État et de l’intimité, a assuré le développement économique, culturel et social du continent européen.

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