Modernité et religion

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lundi 18 mars 2013

Je relis quelques passages du Choc des civilisations de Samuel Huntington, un livre profond et pertinent sur le mouvement des peuples et des Etats post guerre froide, très loin de la caricature que l’on en fait.
Suite à l’élection de Mgr Bergoglio à la papauté, le chapitre consacré à la situation du catholicisme en Amérique latine et du renouveau religieux mondial me semble pleinement pertinent pour comprendre la situation actuelle. J’en publie quelques extraits ci-dessous :

Progression du protestantisme en Amérique latine :
1960 : 7 millions (M)
1990 : 50 M

Pourquoi une telle progression ? L’Eglise catholique a elle-même reconnu sa lenteur à s’être adaptée à la technicité de la vie urbaine. Les prêtres s’adressaient surtout à une société rurale, celle qu’ils avaient connue au début du XXe siècle, mais cette société s’est fortement urbanisée à partir des années 1960, entraînant exode rural et déracinement. Les mouvements évangélistes ont apporté des réponses spirituelles à ces hommes déracinés.

« L’expansion du protestantisme parmi les pauvres d’Amérique latine ne signifie pas d’abord le remplacement d’une religion par une autre, mais plutôt une augmentation importante de l’engagement religieux et de la pratique, dans la mesure où de nombreux catholiques non pratiquants sont devenus des protestants actifs et convaincus. Au Brésil, au début des années 1990, 20% de la population se présentaient comme protestants et 73% comme catholiques. Cependant, le dimanche, 20 M de fidèles fréquentaient les temples et 12 M seulement les églises. Comme les autres religions du monde, le christianisme passe par un renouveau lié à la modernisation et, en Amérique latine, il a pris plutôt la forme du protestantisme que du catholicisme. » p. 137-138

Les pays du tiers monde ont adopté, tout au long du XXe siècle, des idées et des idéologies étrangères venues d’Occident. Ce fut par exemple le marxisme ou le nationalisme. Effondrement de ces idéologies. On a tenté de les remplacer par le libéralisme économique, avec la Banque mondiale et le FMI, mais échec aussi. Aujourd’hui ces pays ne veulent plus emprunter des idéologies à l’Occident mais veulent penser par leurs propres moyens. Décolonisation culturelle et intellectuelle des pays du tiers monde.

La thèse d’Huntington, qui me semble tout à fait valide, c’est que modernisation et occidentalisation ne sont pas liées. Les pays non occidentaux veulent se moderniser, mais sans renier leur culture, sans adopter la culture occidentale. Bien plus, ils rejettent l’occidentalisation afin de pouvoir se moderniser.

Les mouvements religieux rejettent l’occidentalisation. Ils acceptent la modernité, mais refusent le modernisme. Ils veulent la science et le développement économique et technologique mais ne veulent pas de la licence et du consumérisme.

Adoption de la modernité n’est pas adoption du modernisme.

« La religion n’est pas l’opium du peuple mais la vitamine du faible » Régis Debray.
« God and the political planet », New perspectives quaterly, printemps 1994, p. 15.

Qui sont ces nouveaux croyants ? Non pas des illettrés et des paysans bouseux, mais les élites intellectuelles et économiques. Ce sont les élites urbanisées et les immigrés qui sont le plus soumis au renouveau religieux.

« Chez les musulmans comme chez d’autres, le renouveau religieux est un phénomène urbain ; il séduit les gens qui sont orientés vers la modernité, ont un bon niveau d’études et une position dans les professions libérales, l’administration et le commerce. Parmi les musulmans, les jeunes sont religieux, et leurs parents sont laïcs. (…) Le renouveau des religions non occidentales est la manifestation la plus puissante de l’anti occidentalisme dans les sociétés non occidentales. Ce renouveau n’est pas un rejet de la modernité ; c’est un rejet de l’Occident et de la culture laïque, relativiste, dégénérée qui est associée à l’Occident. C’est un rejet de ce qu’on a appelé « l’Occidentoxication » des sociétés non occidentales. C’est une déclaration d’indépendance culturelle vis-à-vis de l’Occident, une affirmation fière : Nous serons modernes, mais nous ne serons pas vous. » p. 141-142

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