Le maraîchage en Ile-de-France

Vous êtes ici : Accueil > Articles > Le maraîchage en Ile-de-France

mardi 8 juin 2010

Article publié dans la revue Paysans n° 321, mai juin 2010.

Maraîcher en Ile-de-France, métier du passé ou pour l’avenir ?

Dans le paysage agricole national le maraîchage est de peu de poids. Et quand les maraîchers se trouvent en Ile-de-France, et de surcroit dans la couronne d’urbanisation intensive, leur avenir semble des plus compromis. Toutefois, un exemple local est souvent fort utile pour comprendre les enjeux d’un métier ; c’est le cas des maraîchers de la plaine de Montesson. Cette plaine, d’une superficie de 450 hectares, est située à moins de 10 kilomètres de la Défense, et à quelques minutes en voiture et en train des tours du pôle économique. Elle est insérée dans une commune des Yvelines –Montesson- qui totalise presque 17 000 habitants. Autant dire qu’elle aiguise les appétits de nombreux promoteurs, qui ne rêvent que d’urbanisation et de construction de logements. L’activité agricole semble donc condamnée, et cette plaine, avec ses salades et ses radis sur fond d’Arche de la Défense et de Tour Eiffel, parait être complètement anachronique. D’ailleurs les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon les recensements agricoles le nombre d’exploitation est passé de 75 en 1979 à 12 en 2000, et la surface agricole utilisée de 275 ha à 126 ha. Autant de chiffres qui font prédire à beaucoup la fin du maraîchage, tant il est vrai que l’évolution des transports ne rend plus nécessaire la présence d’une zone de production légumière à proximité des grandes villes.

D’aucuns s’étonneront d’ailleurs que cette plaine existe encore. Ici un bref historique s’impose. Jusqu’au XIXe siècle la périphérie ouest de Paris est essentiellement agricole, on y cultive des légumes et on y fait du vin. Les asperges d’Argenteuil, les salades du Pecq, le petit bleu de Suresnes sont alors renommés. Mais quand la ville s’étend cela se fait au détriment des champs, d’autant que la révolution des transports permet de s’approvisionner en alimentation dans un périmètre qui va toujours croissant. Avec le train les fruits peuvent facilement venir de la vallée du Rhône, et les légumes de Bretagne ou du Sud-Ouest. Le vivier maraîcher n’est donc plus une nécessité. Lorsqu’en 1837 le roi Louis-Philippe ouvre la première ligne ferroviaire française de voyageurs celle-ci part de la gare Saint Lazare [1] et arrive au Vésinet - Le Pecq, c’est-à-dire qu’elle traverse le sud de la plaine de Montesson. Plus tard une autre ligne passe au nord de la plaine, vers Argenteuil. Autour de ces lignes l’urbanisation se déploie et seul subsiste le centre de la plaine, autour des communes de Montesson, de Carrières-sur-Seine et de Chatou. Si la plaine demeure c’est donc parce que Montesson est enclavé et que la population ne songe pas à venir y habiter. Au début du XXe siècle la plaine est un élément répulsif, un indicateur d’un sous-développement économique et urbain ; cela dure jusque dans les années 1960-1970.

C’est à ce moment là qu’un tournant historique s’opère. Avec l’ouverture du Réseau Express Régional (RER A) [2] , la monté des prix de l’immobilier, le manque de place dans le centre de Paris, la population cherche des lieux d’habitation qui soit moins onéreux, plus spacieux, et qui sont donc plus loin du centre. La pression immobilière est telle que le foncier change d’affectation, et les hectares de plaine maraîchère deviennent des terrains à bâtir. Montesson voit ainsi sa population s’accroître rapidement, passant d’un peu plus de 10 000 habitants en 1970 à presque 17 000 en 2010, soit 70% d’augmentation en 40 ans. La plaine est alors un réservoir foncier inestimable que les autorités publiques envisagent de construire. Nous assistons là à un basculement historique : la plaine n’est plus un espace répulsif mais attractif, le maraîchage n’est plus une permanence anachronique mais une activité qui se cherche un avenir. La plaine maraîchère attire la population, qui grâce à elle trouve un cadre de vie agréable, elle donne une spécificité et une unité à la commune. Cette survivance devient donc dynamique et s’ouvre vers un avenir qui reste à dessiner.

Outre la pression foncière un autre élément qui joue en défaveur des maraîchers est le fait qu’ils ne soient pas propriétaire de leur terre. Sur les 450 hectares que compte la plaine de Montesson on recense plus de 3 000 parcelles et plus d’un millier de propriétaires différents. Le principal propriétaire foncier est la région Ile-de-France, qui possède 28% de la plaine, et l’AFTRP –l’Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne- qui est elle propriétaire de 20% des terres. Quant à la commune de Montesson elle n’en possède que 5%. Toutefois, le fait que ce soit des organismes d’Etat qui soient les principaux propriétaires peut être un élément de la stabilité agricole si l’Etat et la région décident de maintenir la plaine. D’autant que l’AFTRP a un droit de préemption sur les terres, et que les acquisitions se font au prix fixé par les domaines. A cet égard la politique de l’Etat a beaucoup fluctuée au cours des dernières décennies : d’abord favorable à l’urbanisation intensive, les pouvoirs publics semblent maintenant orientés vers une protection de l’agriculture urbaine, et un maintien du maraîchage, ce qui est de bon augure pour la poursuite des exploitations et pour le monde agricole.

En effet, cette plaine agraire en milieu urbain a une double utilité qui ne peut pas être oubliée si l’on veut comprendre les enjeux qui planent au-dessus d’elle. Utilité pour le monde urbain d’une part, utilité pour le monde agricole ensuite.

Pour le monde urbain la présence d’une activité agricole en son sein est la garantie d’un espace vert qui brise l’étalement de la ville et qui assure une qualité de vie confortable à ses habitants. Nombreux sont ceux qui ne connaissent rien au maraîchage mais qui apprécient de voir des champs de salades à la porte de leur maison, quand se détache, au loin, le paysage de la Défense et de la Tour Eiffel. Cette utilité ne doit pas être négligée, elle n’est pas folklorique, elle est la clef de la survie de la plaine. Aucune commune ne peut avoir les moyens d’entretenir un espace vert de plus de 400 hectares, cela est beaucoup trop couteux pour elle. La présence agricole est pour la municipalité l’assurance de l’entretien de la plaine, de sa propreté, et la garantie de la pérennité de l’espace naturel. Cela est valable sur les bords de Seine, en aval de Paris, mais c’est aussi valable dans bien d’autres communes de France. Quel village de montagne peut débourser l’argent nécessaire à l’entretien des prairies ou des coteaux ? Les agriculteurs n’ont pas uniquement pour fonction de produire des denrées alimentaires, ils participent pleinement aussi à l’aménagement du territoire et à la préservation des paysages naturels. C’est donc un gain économique pour la société qui n’est pas quantifiable, mais qui est néanmoins très important. Dire cela, c’est valoriser davantage encore le rôle des agriculteurs.

Le maraîchage ne peut pas se bâtir sans les habitants de la commune. C’est parce qu’ils veulent le maintien de la plaine, qui participe de leur confort de vie, que l’activité maraîchère peut se pérenniser. S’il n’y a pas d’adhésion de la population, il n’y aura jamais de soutien de la politique communale, et au final la plaine disparaitra. Urbains et paysans ne sont donc ni opposés ni antagonistes, leurs motivations peuvent être différentes, mais ils poursuivent le même but : le maintien de l’activité maraîchère.

Le maintien de cette activité est également utile pour le monde agricole dans son ensemble. On ne peut espérer emporter l’adhésion quand on vit coupé et éloigné de ceux que l’on sert. Les problèmes des éleveurs porcins, des producteurs de lait ou des pêcheurs peuvent bien émouvoir la population, si celle-ci vit sans contact avec des paysans elle ne pourra jamais les comprendre. En revanche, le fait de voir le métier de maraîcher évoluer, de pouvoir observer l’alternance des saisons dans la plaine : récolter les oignons en février, les poireaux en avril, les salades en mai, tout cela participe de la compréhension du monde rural. De même, certains maraîchers ont développé des activités de vente directe : des cabanes en bois dressée dans la plaine où ils vendent une partie de la récolte. Le succès de ces méthodes de vente est incontestable, d’une part en raison de la qualité des produits vendus, mais aussi en raison du prix pratiqué. Il est ainsi aisé de faire la comparaison des prix d’une salade vendue en direct, et d’une salade vendue chez le primeur ou au supermarché. Les notions de marge arrière et d’intermédiaires parlent alors davantage au consommateur. Le maraîchage en zone urbaine est une activité mineure par rapport au reste de la production agricole, mais il est une vitrine du monde agricole dont celui-ci aurait tort de se passer.

Alors, bien sûr, la question que l’on peut se poser est celle de la viabilité d’une telle activité. Certes elle n’est pas très pourvoyeuse d’emploi, au plus 125 permanents au plus fort des récoltes, ce qui, pour la surface occupée, est assez faible. Comme le reste de l’agriculture le maraîchage est extrêmement mécanisé, et de la plantation à la récolte chaque étape à sa machine ; ce qui pèse en revanche sur les investissements et sur les charges de fonctionnement. Toutefois, avec sa centaine d’employés, l’agriculture est tout de même le troisième fournisseur d’emplois de la commune de Montesson, les deux premiers étant un centre commercial et un centre hospitalier.

Mais si les chiffres donnés en début de cet article pouvaient faire craindre le pire quant à la pérennité de l’activité, il en est d’autres qui sont des plus prometteurs. Quand on étudie le profil des exploitants, on constate que les moins de 30 ans sont passés de 7% de la population maraîchère en 1988 à 16.5% en 2000, quand les plus de 60 ans sont passés eux de 19% à 8.5%. Cet impressionnant rajeunissement est un motif d’espérance, tout comme l’est la constatation du changement du parc de tracteurs, où les vieux modèles ont été remplacés par des machines neuves. Cela prouve qu’il y a une relève, et que cette relève croit en son avenir. Cela légitime alors les efforts de la municipalité pour maintenir la plaine, efforts qui se sont concrétisés par l’obtention de baux à long terme -18 ans- et l’investissement dans le forage de puits. Et encore une fois la municipalité ne peut concéder de tels efforts que si elle sait que c’est la volonté de la population de la commune.

Ce renouvellement des générations se mesure aussi aux efforts d’investissements et de modernisation qui sont réalisés. Dans tous les domaines l’agriculture est devenue très technique, le maraichage n’y fait pas exception. La conquête du plastique a été le véritable changement des années 1980 / 2000. Les tunnels nantais [3] , apparus au cours des années 1960 ont été abandonné durant les années 2000 au profit du P 17. [4] Les grandes serres en PVC, de 60 à 100 mètres de long, ont aussi fait leur apparition. En revanche, à Montesson, les serres ne sont pas chauffées, contrairement à celles des grandes régions maraîchères.

Machine, plastique, la modernité est en marche dans la plaine, ce qui améliore la productivité et fait baisser les coûts des marchandises. Il est toutefois une évolution technique qui suscite l’inquiétude de la population, c’est celle de l’utilisation des engrais. Les engrais font entièrement parti du monde agricole, depuis toujours. Ce qui inquiète c’est surtout l’emploi des engrais chimiques, et les doses utilisées. La population de la plaine craint que ces engrais empoisonnent la nappe phréatique et empêchent une saine consommation de l’eau courante. Face à cette inquiétude la bonne attitude n’est pas de cacher mais d’expliquer. Expliquer quels sont les types d’engrais employés, à quelles doses, et leurs risques éventuels sur la santé. Le fait qu’une station de traitement de l’eau soit basée à la périphérie de la plaine est un gage de sûreté pour la population. D’ailleurs, à ce jour, la Lyonnaise des Eaux n’a décelé aucun taux d’atrazine [5] ou de nitrate dépassant les seuils minimaux recommandés. L’eau de la plaine est donc saine, l’activité maraîchère ne l’a pollue pas.

De tout cela, que retenir ? D’abord la profonde mutation de l’activité maraîchère périurbaine. Anachronique jusque dans les années 1970 elle est devenue un facteur de dynamisme et d’avenir pour la commune de Montesson, comme pour les communes attenantes à la plaine. [6] Le bienfait qu’en retirent les habitants est absolument nécessaire à la pérennité du maraîchage : la plaine existe parce que la population le veut. Par conséquent les urbains ne sont pas des ennemis du maraîchage, bien au contraire. Ensuite cette activité retrouve une légitimité dans le tissu économique de la région, la période d’urbanisation intensive semble finie, les dirigeants politiques paraissent avoir compris le grand intérêt qu’il y a à aider au maintien d’une telle activité. Si la diminution du nombre d’exploitations peut alors être un motif d’inquiétude, celui du rajeunissement considérable des exploitants ainsi que les efforts concédés pour la modernisation de l’activité, sont eux de profonds motifs d’espérance.

Thème(s) associés :

Par Thèmes