La basilique de Saint Denis

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dimanche 22 juin 2014

Pourquoi la basilique de Saint-Denis est-elle la nécropole des rois de France ?

La basilique de Saint-Denis est le lieu d’inhumation des rois de France. On pense souvent que cet état remonte aux origines du royaume. « Cimetière aus rois » disait un chroniqueur du 13ème siècle. C’est vrai, mais après une longue histoire.

I – Les Mérovingiens

À Saint-Denis, il existait un cimetière gallo-romain, encore utilisé à l’époque mérovingienne. C’est dans ce cimetière que Denis, premier évêque de Paris, a été enterré, après avoir été décapité, vers 250, sous l’empereur Dèce. Le culte de Denis prenant de l’ampleur, une première basilique est consacrée vers 475. Celle-ci n’est pas le lieu habituel de l’inhumation des rois Mérovingiens, car, au début du VIe siècle, les nécropoles royales sont la basilique des Saints-Apôtres, et la basilique Saint-Vincent et Sainte-Croix. Clovis est enterré dans la première, qu’il a fondée sur la montagne Sainte-Geneviève. Elle est devenue ensuite la basilique Sainte-Geneviève, dont il ne reste que le clocher et le cloître, dans l’enceinte du lycée Henri IV. Childebert 1er, un des quatre fils de Clovis, est enterré dans la seconde, qu’il a fondée sur la rive gauche pour y accueillir la tunique de Saint Vincent, rapportée d’Espagne. Après moult transformations, elle est devenue l’église de Saint-Germain-des-Prés que nous connaissons actuellement. A cette époque, rien ne prédispose donc Saint-Denis à être une nécropole royale. Pourtant, les Mérovingiens manifestent assez tôt une prédilection pour cette basilique : la reine Arnegonde, seconde femme de Clotaire 1er, donc belle-fille de Clovis, est le premier personnage royal à y est enterré, sans qu’on en connaisse la raison. En 580, Dagobert, petit-fils de Clotaire 1er et d’Arnegonde, est enterré à Saint-Denis. En 639, Dagobert II, qui a fait beaucoup de donations en faveur de la basilique, y est inhumé. Sa femme Nanthilde, décédée en 642, et leur fils Clovis II, mort en 654, y reposent aussi. Ce dernier est pourtant le dernier Mérovingien à y être enterré, la basilique Saint-Vincent reprenant ses droits.

II – Les Carolingiens

Nouvelle dynastie signifie nouveaux lieux d’inhumation : les deux principales nécropoles mérovingiennes ne sont plus utilisées. Charles Martel, Maire du palais, choisit pourtant l’abbaye de Saint-Denis, à laquelle il témoignait une dévotion très forte, comme lieu de sépulture, sans que l’on sache pourquoi. Peut-être par fidélité, parce qu’il avait confié l’éducation de ses fils aux moines de l’abbaye. Choix curieux quand même, car son père, Pépin II, comme beaucoup de Carolingiens, est inhumé à Metz, lieu de la sépulture de l’ancêtre de la dynastie, Saint Arnoul, évêque de Metz, décédé en 641. En 751, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, est élu rois des Francs, à Soissons, et est sacré. En 754, il est sacré une nouvelle fois, par le pape Etienne II. La cérémonie a lieu à Saint-Denis. Les relations déjà nouées entre Charles Martel et Saint-Denis semblent renforcées par cet événement, et le sort de la basilique paraît désormais lié à celui des Carolingiens. De plus, en 768, Pépin le Bref, par respect pour son père, est enterré à Saint-Denis, à l’extérieur de l’édifice, par humilité, et, paraît-il, face contre terre. De même, la femme de Pépin le Bref, la très fameuse Berthe aux grands pieds, y est inhumée en 783. Les liens Carolingiens – Saint-Denis semblent noués pour longtemps. Pourtant, Berthe est le dernier personnage royal à être enterré là, pour un siècle. Tout change en effet avec Charlemagne. Il avait fait vœu, en 769, à l’âge de 21 ans, d’être enterré à Saint-Denis, vœu qu’il n’a pas renouvelé. En 814, quand il disparaît, ses familiers décident de l’inhumer, le jour même de son décès, à Aix-la-Chapelle, où il est mort. Il est probable qu’ils ne tenaient pas à ce qu’il repose ailleurs que dans la capitale de l’empire. Que Charlemagne soit enterré ailleurs qu’à Saint-Denis ne plaide pas en faveur de la basilique pour les futures inhumations, d’autant plus que le centre névralgique de l’empire n’est pas Lutèce, mais se situe nettement plus à l’est. Mais un nouvel événement survient et va encore changer les choses : en 843, c’est le partage de Verdun, entre les trois petits-fils de Charlemagne. A Charles le Chauve est attribuée la Francie occidentale, ce territoire à l’ouest de quatre cours d’eau : l’Escaut, la Meuse, la Saône, et le Rhône. Le centre du royaume se retrouve tout naturellement plus à l’ouest, ce qui, a priori, plaide à nouveau en faveur de Saint-Denis, même si Charles le Chauve se méfie de Lutèce, et qu’il réside dans les vallées de l’Oise et de l’Aisne. Pourtant, le roi manifeste la volonté d’être inhumé à Saint-Denis. L’abbaye est une puissance financière, et, en 867, il se réserve le titre d’abbé de Saint-Denis. Ses liens avec l’abbaye sont donc forts, et il y est enterré en 884, sept ans après sa mort, et 101 après l’inhumation de Berthe aux grands pieds. Les deux petits-fils de Charles le Chauve y sont également enterrés : Louis III, en 882, et Carloman, en 884, derniers Carolingiens à être inhumés là.

III – Les Robertiens

En 888, la situation est très mauvaise pour le pouvoir : le danger est grave face aux Vikings. Charles, le dernier fils, posthume, de Louis II le Bègue, a 8 ans. Il peut légitimement prétendre au trône, mais peut-on lui confier le pouvoir ? Les grands seigneurs du royaume disent que non : on ne confie pas le pouvoir à un enfant de 8 ans. Ils ne font donc pas roi Charles. Ce n’est pas une trahison mais une nécessité. Ils sont d’accord sur une chose : il faut un homme énergique, qui pourra débarrasser le royaume des envahisseurs. Ils élisent un des leurs, Eudes, sacré à Compiègne en février 888. Eudes est le fils de Robert le Fort. C’est donc une nouvelle dynastie qui monte sur le trône, ni mérovingienne, ni carolingienne, mais robertienne. Eudes décède en 898, et est enterré à Saint-Denis. Il ne devait sa légitimité qu’à son élection, et désirait renforcer son pouvoir aux yeux des Francs, en reprenant à son compte les vieilles traditions : des Mérovingiens et des Carolingiens sont inhumés à Saint-Denis, Eudes fait de même. Mais il est le seul Robertien à l’être. Pendant un siècle, jusqu’à la mort d’Hugues Capet, on n’y enterre plus personne.

Voilà donc la situation à Saint-Denis, à l’élection d’Hugues Capet, en 987 : des Mérovingiens, entre autres Arnegonde, et Dagobert II, y sont enterrés, de même que des Carolingiens, et non des moindres : Charles Martel, Pépin le Bref, Charles le Chauve… De là à en faire le « cimetière aus rois »…

IV – Les Capétiens

Les trois premiers Capétiens, Hugues Capet en 996, Robert II le Pieux en 1031, Henri 1er en 1060, sont enterrés à Saint-Denis. Mais Philippe 1er, le fils d’Henri 1er, choisit d’être inhumé dans la région d’Orléans. La raison officielle est qu’il y a déjà beaucoup de rois enterrés à Saint-Denis, et qu’il a un peu peur d’être oublié parmi eux. Ses véritables raisons sont sans doute autres :
 raison géopolitique : à cette époque, le domaine royal est plus étendu, notamment vers le sud après l’achat du vicomté de Bourges en 1101. Le centre du royaume n’est plus Paris, mais plutôt Orléans.
 raison morale : Philippe 1er a eu une liaison avec Bertrade de Montfort, la femme du comte d’Anjou. Il a été absout en 1104, mais peut-être pour faire pénitence, renonce à l’inhumation à Saint-Denis, et choisit une abbatiale dans l’Orléanais, où il est enterré en 1108 : Saint-Benoît-sur-Loire. C’est la première fois qu’un roi n’est pas enterré à Saint-Denis depuis un siècle. Cette décision déclenche la colère des moines de Saint-Denis, car Saint-Benoît-sur-Loire est une abbaye riche et puissante, une rivale de Saint-Denis en quelque sorte. Le ressentiment des moines de l’abbaye face au choix de Philippe 1er va durer plusieurs années, car, Suger, devenu abbé de Saint-Denis en 1122, soit 14 ans après la mort de ce roi, écrit que le cimetière des rois de France « se trouve comme de droit naturel en l’église de Saint-Denis ». Ce lobbying réussit parfaitement puisque le roi suivant, Louis VI, est inhumé à Saint-Denis en 1137. Il n’avait jamais manifesté son désir d’être enterré là, ou ailleurs, mais son corps a été promptement rapporté à Saint-Denis. Le mouvement est lancé, tous les rois suivants seront inhumés à Saint-Denis, sauf quelques exceptions :
 Louis VII, à l’abbaye cistercienne de Barbeau, qu’il avait fondée, en 1180. Ce choix n’a guère ému les moines de Saint-Denis : Barbeau n’était pas une rivale pour eux, et puis ils sentaient peut-être qu’ils avaient poussé le bouchon un peu loin vis-à-vis de Louis VI.
 Louis XI, en 1483, à Notre-Dame-de-Cléry, dans l’Orléanais. Il vouait en effet une dévotion particulière à la Vierge de Cléry, et il estimait qu’il lui devait la prise de Dieppe.
 Charles X, mort en exile en 1836, à Gorizia, en Slovénie, qui y est toujours enterré.
 Louis-Philippe 1er, en 1850, qui choisit comme lieu de sépulture la chapelle royale de Dreux.

V – Le rôle de Saint-Denis dans la monarchie française

Il y avait donc des liens entre la monarchie et l’abbaye, tissés depuis les Mérovingiens, qui ont abouti à faire de la basilique le « cimetière aus rois » au XIIe siècle. Mais pour que l’abbaye devienne incontournable, il fallait que ces liens soient plus forts encore, d’où une grande activité des abbés de Saint-Denis, dans cette direction, au XIIe siècle et au XIIIe siècle. Ceux-ci parviennent à obtenir, ce qui est assez peu connu, un droit de dépouille : le roi défunt devait laisser à l’abbatiale les insignes de son pouvoir. Ce n’était pas une nouveauté, les Carolingiens le faisant déjà. Plus tard, la veuve d’Hugues Capet envoya à Saint-Denis le manteau du roi. Cette coutume est donc connue, mais elle n’est pas institutionnalisée. Elle va le devenir en 1120. Cette année-là, en effet, sous l’abbé Adam, prédécesseur de Suger, Louis VI signe une charte dans laquelle il reconnaît que insignes du roi défunt doivent revenir à l’abbaye. Le père de Louis VI, Philippe 1er, ayant été enterré à Saint-Benoît-sur-Loire, et Saint-Denis n’ayant pas reçu ses regalia, Louis VI signe cette charte pour racheter la supposée faute de son père, et apporte à Saint-Denis la couronne de Philippe 1er. Même s’il n’est devenu abbé qu’en 1122, Suger a sûrement joué un rôle important dans cette histoire : il s’est d’ailleurs attribué la paternité de cette charte. Saint Louis montre aussi l’exemple, en apportant trois couronnes en mai 1261, apport accompagné d’une charte qui stipule que les couronnes doivent être prêtées lors des sacres : c’est là que se situe l’origine des regalia conservés à Saint-Denis, et apportés à Reims pour le sacre.

La politique d’intense lobbying de Suger fut donc une réussite.

Auteur : Pierre Baudin E-mail : baudin.pierre.choisy@orange.fr

Bibliographie :

Alain ERLANDE-BRANDENBURG, Le roi est mort, étude sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois de France jusqu’à la fin du XIIIe siècle, Droz, 1975.
Saint-Denis la basilique et le trésor, Dossiers d’archéologie n° 261, mars 2001.

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