L’étrange victoire

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lundi 7 mai 2012

Dans cette curieuse campagne l’étrange victoire a donc eu lieu. Pour la première fois un homme est élu président de la République sans qu’il n’y ait aucune adhésion ni à sa personne ni à son projet. L’adhésion aux valeurs et au projet était du côté de Nicolas Sarkozy, et c’est lui qui a perdu.

Deux préalables étaient nécessaires à la victoire de François Hollande : que la haine l’emporte et que les électeurs de Sarkozy soient persuadés de cette victoire. Ces deux facteurs se sont enclenchés et ont gagné.
Il faudra bien un jour analyser cette haine qui s’est déchaînée à l’encontre du Président. Certes le style a pu déplaire, mais qu’est-ce par rapport aux écoutes téléphoniques de l’Élysée, restées impunies, par rapport aux morts suspectes des années mitterrandiennes, par rapport aux tricheries avérées du Parti Socialiste lors des élections internes ou des systèmes mafieux instaurés dans les régions tenues ? La haine a fait gagner la passion sur la raison.

Les sondages ont eu aussi un rôle non négligeable. Reconnaissons, une fois encore, qu’ils se sont largement trompés. On annonçait Hollande victorieux à 53 voire 54%. À 18h15 dimanche la Sofrès donnait Hollande vainqueur avec 55% des suffrages. À 20h il avait autour de 52%-53%. Or il n’en n’est rien. Il fini avec un pénible 51.6%, qui est un des scores les plus bas de la Ve République. Tout occupé par leur victoire les socialistes ne veulent pas voir cela : Hollande est un président très mal élu. Avec 18 millions de suffrages il n’a que 1.2 millions de voix d’avance sur Sarkozy (48.3%). Pour un candidat qui a été sans cesse calomnié, invectivé, pour une campagne médiatique qui fut à sens unique, avec des journaux complaisamment favorable à Hollande, le score final est plus qu’honorable.

C’est une étrange victoire, car c’est une victoire sans éclat, sans panache. Il semblerait que seulement 51% des électeurs du FN aient voté pour Sarkozy. Si 75% d’entre eux avaient voté pour le Président, il aurait remporté l’élection. Les drapeaux bigarrés de la Bastille ne doivent pas masquer le fait que l’élection s’est jouée sur peu de chose, et dans un score beaucoup plus restreint qu’annoncé par les sondeurs.
À 20h08, au moment où les socialistes fêtaient allègrement la victoire, le décompte des voix donnait 8.8 millions pour Hollande et 8.5 millions pour Sarkozy, soit 50.83% contre 49.17%. L’élection aurait pu basculer et Sarkozy être réélu.

Étrange victoire qui n’est encore que partielle. Il reste les législatives à remporter et cela risque d’être difficile pour les socialistes. Jusqu’à présent les Français n’ont jamais désavoué le président élu, mais cette période électorale étant pleine d’incertitude une défaite au mois de juin n’est pas à exclure. En 1988, après la victoire confortable de Mitterrand pour son deuxième mandat (54.02% contre 45.98% à Chirac, 16.7 millions de voix contre 14.2 soit 2.5 millions de plus) les législatives de juin furent très étriquées pour le PS qui ne remporta, avec ses alliés communistes, que 52% des sièges. Avec un écart deux fois moindres en 2012 la majorité est donc loin d’être assurée. Reste à l’UMP à ne pas faire de systématiques barrages au FN et à préférer la victoire de députés FN plutôt que des socialistes, quand cela sera possible.

Étrange victoire car les Français sont beaucoup plus à droite que par le passé, et le pays est pourtant totalement contrôlé par la gauche. Ne reste que l’Assemblée Nationale, mais pour combien de temps ? Jamais la distinction entre pays réel et pays légal n’aura été aussi forte, jamais le peuple français n’aura été moins représenté par ses représentants. De là vient peut être une des origines de la crise morale traversée par le pays.

Quant aux institutions actuelles il n’est pas sûr qu’elles survivent au mandat de François Hollande. Homme de la IVe République il a explicitement dit qu’il ne voulait pas que le président gouverne, qu’il allait même renoncer à de nombreuses prérogatives. Effet d’annonce ou volonté réelle ? Si telle était le cas nous reviendrons 60 ans en arrière. L’élection du dimanche 6 mai n’est peut être pas celle de François Hollande mais de Vincent Auriol, l’avant dernier socialiste à avoir occupé l’Élysée. La France se cherche toujours des institutions et un mode de gouvernement politique, elle semble loin d’être sortie de cette ornière. Cette étrange victoire est peut être l’ultime défaite de son régime politique.

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