L’armée et la franc-maçonnerie

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vendredi 8 février 2019

République, armée et franc-maçonnerie, André Bourachot

Disons-le d’emblée, ce livre n’est ni un brûlot ni un pamphlet, mais un véritable livre d’histoire sur les liens entre la franc-maçonnerie et l’armée. L’auteur est général de corps d’armée et auteur de plusieurs ouvrages d’histoire militaire. Il connaît donc son sujet à la fois de l’intérieur et par la fréquentation assidue des archives et des documents.

Le sujet est peu traité par les historiens, alors qu’il est essentiel pour comprendre la vie politique française. En effet, l’armée a été perçue comme l’arche sainte de la Troisième République. Depuis la Révolution française, la République a été belliciste, car elle pensait diffuser les idées de la Révolution à travers les armes. Ce sont les républicains qui poussent à la guerre en 1792, en 1870 et ensuite en 1914. Ils veulent récupérer la rive gauche du Rhin, puis l’Alsace Lorraine. Avec la Révolution, la guerre classique devient une guerre idéologique, cherchant non pas à conquérir des territoires, mais à diffuser des idées et une vision du monde. Nos guerres humanitaires organisées en Libye, en Syrie et en Irak sont les héritières de cette vision politique. Parce qu’elle est révolutionnaire, la guerre doit enrégimenter l’ensemble du peuple. D’où la naissance de l’idée du peuple en arme, qui se traduit par le service militaire national. La guerre n’est plus affaire de spécialistes et d’hommes de métier ; elle doit être pratiquée par l’ensemble de la population qui peut être appelée sous les drapeaux pour défendre la République.

La guerre est donc au cœur de la pensée républicaine dont elle est à la fois la condition et la survie. La franc-maçonnerie est le groupe intellectuel et humain qui porte la République et qui défend ses valeurs. La République en tant qu’idéologie politique, c’est l’institution politique qui représente les idéaux de la franc-maçonnerie. C’est pourquoi il est essentiel d’étudier les rapports entre l’armée et les loges.

Épuration des cadres

D’autant que l’histoire de l’armée a été ponctuée par l’épuration des cadres militaires qui n’étaient pas francs-maçons et qui n’avaient qu’un amour très modéré de la république. C’est le fichage systématique des officiers catholiques, afin de les écarter du commandement militaire. Les francs-maçons ont joué le rôle d’un lobby, prenant en main le haut commandement militaire. Or cela s’est révélé désastreux à deux reprises : en 1914 et en 1939. En 1914, les chefs compétents avaient été écartés et ce fut le frère Joffre qui fut choisi pour diriger l’armée française, alors qu’il n’avait pas les compétences humaines et techniques pour cela. Face au désastre, le corps politique a dû se contraindre à lui adjoindre le général de Castelnau, bien que catholique et non-frère, afin de redresser la barre de la défaite à venir. Plus tard, Joffre fut écarté au profit de Foch, quoique catholique et ayant un frère jésuite, congrégation religieuse honnie des républicains. Mais Clemenceau voulait surtout d’un homme compétent et non pas d’un militaire choisi parce que lié aux loges.

Le même processus fut appliqué durant l’entre-deux-guerres. Les officiers non maçons furent écartés au profit des maçons, dont la plupart manquaient de compétence. Ce qui est une des raisons du désastre de 1940. Les officiers qui rejoignirent le général de Gaulle à Londres étaient quasiment tous royalistes et en dehors du circuit des loges.

L’ouvrage se concentre essentiellement entre 1870 et 1944, l’influence maçonnique étant moindre dans l’armée après le second conflit mondial. Il montre que la politique anticléricale systématique, réalisée à des fins idéologiques, a nui à l’armée comme à la France, provoquant trois de ses défaites majeures : 1870, 1914 et 1940. Mais l’armée a quand même tenu, même si c’est d’elle qu’ont surgi les pires scandales de la IIIe République : l’affaire Boulanger, l’affaire Dreyfus et l’affaire des fiches. L’armée avait alors une place beaucoup plus importante qu’aujourd’hui dans la vie politique et sociale, du fait du contexte de la revanche et de l’idéologisation du régime qui passait par le contrôle de la chose militaire.

Les choses ont quelque peu changé. L’armée joue un rôle politique moindre et le combat idéologique s’est porté sur d’autres domaines, notamment l’éducation, la presse et la culture. L’ouvrage permet néanmoins de comprendre une époque majeure de l’histoire de France et de l’établissement de la République, où le combat idéologique faillit être fatal à la France.

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