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samedi 24 novembre 2018
L’Europe n’est pas en paix. Une guerre se déroule depuis 2014 à l’est de l’Ukraine, au Donbass, où périssent de nombreux civils. En dépit des interventions de la France et de l’Allemagne, la paix n’est pas revenue. Retour sur ces événements tragiques qui se déroulent sur notre continent.
Entretien avec Nikola Mirkovic, observateur des élections tenues au Donbass. Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé
Des élections législatives et présidentielles se sont tenues au Donbass le 11 novembre 2018. Ces élections n’étant pas reconnues par Kiev ni par la communauté internationale pour quelles raisons ont-elles eu lieu et qu’elles peuvent être leurs conséquences ?
Il faut tout d’abord rappeler le contexte pour comprendre la situation actuelle. À la suite du coup d’État à Kiev en février 2014, qui a chassé le président légitimement élu pour le remplacer par la violence par un chef choisi par Washington (écouter à ce sujet la conversation enregistrée à leur insu entre Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État US et Geoffrey Pyatt, ambassadeur des US en Ukraine), l’est du pays, russophone, a pris peur. La population a craint les extrémistes anti-russophones, dont la première demande était d’interdire l’usage de la langue russe. En réaction, les Russophones de l’est ont pris les armes et se sont soulevés pour prendre leur destin en main. Depuis le coup d’État de février 2014, il y a donc une guerre civile dans l’est du pays.
De cette révolte à l’est sont nées deux républiques : la République populaire de Donetsk (RPD) et la République populaire de Lougansk (RPL). Ces deux républiques ont déclaré leur indépendance, ont écrit leur constitution et vivent depuis 2014 en dehors du contrôle de Kiev dans des régimes de démocratie républicaine. Le président de l’une de ces deux républiques a été assassiné en août dernier et les deux républiques sont reparties aux urnes pour élire leurs nouveaux présidents et représentants au parlement (dans la RPL, un nouveau président a dû être élu, car l’ancien avait démissionné et était remplacé par un président par intérim).
Kiev ne reconnaît pas ces deux républiques qui sont pour elle l’œuvre de séparatistes. Les deux républiques, quant à elles, ne reconnaissent pas le gouvernement de Kiev. Les dernières élections sont très importantes, car elles pérennisent la situation des républiques qui s’éloignent ostensiblement de Kiev. Les États-Unis et l’Union européenne ont condamné ces élections. Kiev et les atlantistes disent que ces élections mettent en péril le processus de paix Minsk II signé entre les belligérants en février 2015 et contresigné par la France, la Russie et l’Allemagne. Mais cet accord n’a pas permis le retour à la paix et le cessez-le-feu n’est pas respecté. Même si elles ne sont pas reconnues par les pays de l’Union européenne, ces deux républiques existent de fait : elles ont leurs constitutions, leurs élus, leurs administrations, leurs armées et le soutien de la population locale. Pour ces républiques, il est nécessaire d’avoir des représentants afin de pouvoir négocier avec Kiev. Kiev avait d’ailleurs signé ces accords avec les anciens représentants, le choix des nouveaux présidents ne devrait donc pas mettre en péril les discussions.
Vous étiez observateur lors de ces élections, avec d’anciens députés et ministres français. En quoi a consisté votre rôle d’observateur ? Comment avez-vous été choisi pour assurer l’observation de ces élections ?
J’ai été choisi pour cette mission d’observation en tant que président de l’association Ouest-Estdont l’objectif est de militer pour la paix en Europe et de rapprocher les Européens de l’Ouest et de l’Est. Nous avons été renseignés sur le code électoral de la République populaire de Donetsk et nous avons ensuite visité différents bureaux de vote pour nous assurer du déroulement démocratique du processus électoral. Nous pouvions poser toutes les questions que nous voulions, nous avons eu accès aux fichiers électoraux et inspecté tous les bureaux. Pour m’accompagner, j’ai emmené plusieurs hommes politiques français, dont l’ancien ministre Thierry Mariani qui a une longue expérience dans l’observation de scrutins électoraux ainsi que l’ancien député Michel Voisin qui a longtemps été Président de la délégation française auprès de l’assemblée parlementaire de l’OSCE et qui a mené des dizaines de missions d’observations par le monde.
D’après ce que vous avez vu, les élections se sont-elles déroulées normalement et sans ingérence extérieure ?
Nous n’avons rencontré aucune anomalie dans les bureaux que nous avons visités. Nous avons vu de très nombreuses personnes faire la queue pour voter dans une ambiance plutôt festive (des groupes folkloriques jouaient devant les bureaux) ce qui atteste du soutien populaire à la jeune république. Par ailleurs, j’ai de bons contacts ailleurs dans la république et je n’ai eu aucune remontée de tentative de fraude, de pression ou d’ingérence.
C’est Denis Pouchiline qui a été élu président de la République populaire de Donetsk. Pouvez-vous présenter cet homme et son programme ?
C’est le nouvel homme fort de la RPD qui était jusque-là président par intérim de la république depuis l’assassinat d’Aleksandar Zakhatchenko en août dernier. Il représente à la fois la continuité de son prédécesseur dont il était le bras droit et la transition, car il n’a pas du tout le même profil. Zakhartchenko était l’homme du peuple, mineur électricien monté au front, blessé de guerre qui incarnait la résistance et le combat pour la liberté des russophones du pays. Pouchiline, lui, représente un profil beaucoup plus lisse. Ingénieur, diplômé de l’Académie nationale du Donbass d’ingénierie et de génie civil, avant la guerre il avait eu des succès plus ou moins mitigés dans la finance et s’était déjà aventuré dans l’arène politique sans succès.
C’est la guerre qui va vraiment le révéler et le promouvoir aux avant-gardes de la nouvelle scène politique du Donbass où il devient successivement Président du Conseil suprême de la République populaire de Donetsk, Président du Conseil Populaire de la République, Premier ministre et enfin Président. Marié et père d’une fille, Pouchiline a axé sa campagne sur la lutte contre la corruption, l’intégration avec la Russie et le développement économique. Pour ce qui est de la poursuite des accords de paix de Minsk II, Pouchiline était déjà le négociateur en chef donc c’est un dossier qu’il connaît très bien. Il ne faut pas s’attendre à un changement radical de cap, il œuvrera dans la continuité.
Qu’en est-il de la situation militaire au Donbass ? Est-ce que des combats continuent à avoir lieu ?
Malgré les accords de Minsk II qui impose aux deux parties un cessez-le-feu total, celui-ci n’est observé par aucun des deux camps et la zone se retrouve dans une guerre de tranchées avec des tirs réguliers de part et d’autre de la ligne de front. Les accords de Minsk II imposent également un retrait de l’artillerie lourde à 50 km de la ligne de front, mais l’armée ukrainienne continue à pilonner le Donbass avec ce type d’armes comme des Howitzer de 152 mm. Il y a malheureusement des morts à déplorer quasiment chaque semaine.
L’Ukraine et la Russie n’ont pas du tout la même appréciation des événements du Donbass. Pensez-vous que la paix puisse être établie dans la région à courte échéance ? Selon vous, est-ce que le Donbass peut être réintégré à l’Ukraine ou bien la sécession est-elle l’avenir de ce territoire ?
Pour comprendre la situation, il est indispensable de connaître l’histoire de la région. L’Ukraine est une création récente et n’existe que depuis 1991. Elle était avant précédée par La République socialiste d’Ukraine en 1922, qui est une création bolchévique anti-russe. Au contraire cette terre, appelée aujourd’hui Ukraine a été très longtemps russe et de nombreux habitants de l’actuelle Ukraine se sentent très proches de la Russie pour ne pas dire carrément Russes. Ces habitants du Donbass ont été au cours de l’histoire beaucoup plus longtemps sous l’autorité des Russes que des Ukrainiens.
Depuis le coup d’État de l’Euromaïdan, l’Ukraine est devenue un protectorat américain, c’est Washington qui décide de tout et qui n’hésite pas à inspecter et former les troupes de l’armée ukrainienne et nommer les ministres à la place du peuple ukrainien ! L’Ukraine est devenue le terrain d’affrontement entre les États-Unis et la Russie, dans cette nouvelle guerre froide que nous connaissons.
S’agissant de l’avenir du Donbass, il est évident qu’il est inenvisageable à court terme que les deux Républiques de l’est réintègrent l’Ukraine. L’armée ukrainienne et les milices néo-nazies y ont créé trop de dégâts. Trop de personnes ont été tuées et blessées, trop de familles ont souffert. Le retour à une vie antérieure comme si de rien n’était est illusoire. La réconciliation est impossible et les populations du Donbass n’ont aucune envie d’être intégrées à l’Ukraine. Au contraire, les habitants du Donbass veulent clairement être intégrés à la Fédération de Russie, il n’y a pas de doute là-dessus.
Le paradoxe est que cette situation est gênante pour Moscou qui est perçu comme le déstabilisateur de la région et qui tente de calmer les ardeurs des habitants du Donbass qui ne rêvent que du même avenir que leurs frères de Crimée qui ont été réunis à Moscou en 2014. La Russie subit des sanctions à cause de la réunification avec la Crimée et c’est pour cela que Moscou ne s’empresse pas de reconnaître les nouvelles Républiques qu’elle soutient pourtant officiellement.
Par ailleurs, tactiquement, il pourrait être dans l’intérêt de Moscou de laisser la situation perdurer ou d’envisager une fédération d’Ukraine intégrant ces régions qui obtiendraient une certaine autonomie, mais resteraient toujours hostiles à la main mise américaine sur Kiev et qui voteraient contre l’ancrage atlantiste et empêcheraient l’installation de bases et de missiles américains dans le pays.
L’Ukraine quant à elle est sens dessus dessous. Elle est devenue le pays le plus pauvre d’Europe et ne doit son salut qu’aux énormes emprunts au FMI. Pour masquer ses échecs politiques, le président Porochenko, à la veille de nouvelles élections présidentielles, pourrait être tenté de tout miser sur une offensive d’envergure contre le Donbass et de souffler sur les braises de l’ultra-nationalisme pour faire croître sa cote de popularité qui est au plus bas. Tout y est donc encore possible.
N’oublions pas que de très nombreux russophones n’habitent pas les républiques du Donbass et vivent encore en Ukraine. Ils vont peser aussi sur la situation.
Le règlement définitif du conflit n’est pas pour tout de suite. Ce conflit, compliqué, tactique et stratégique est parti pour durer.
Carte : Source AFP
Addendum 26 novembre 2018
Les tensions en mer d’Azov sont à suivre de près. La Russie joue un jeu trouble, en cherchant à assurer son contrôle de la Crimée et en empêchant la sortie des bateaux ukrainiens du port de Marioupol. C’est pour elle un moyen de prendre le contrôle de l’est de l’Ukraine.
Mais, paradoxalement, cette situation est aussi profitable au gouvernement. Le président actuel, Petro Porochenko, peut ainsi raviver le nationalisme ukrainien, chose toujours utile à l’approche des élections présidentielles. Nikola Mirkovic signalait d’ailleurs ce fait dans l’entretien. C’est un moyen d’assurer la cohésion nationale autour de lui afin de remporter les élections. Il souhaite par ailleurs établir la loi martiale, ce qui peut être une façon de se protéger des Russes, mais aussi de contrôler les oppositions intérieures puisque la loi martiale limite les libertés publiques. Le gouvernement ukrainien a donc tout autant, sinon plus, intérêt à cette situation tendue que le gouvernement russe.
Et cela au détriment des populations qui continuent de souffrir de la guerre.
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