Désinformation journalistique

Vous êtes ici : Accueil > Articles > Désinformation journalistique

lundi 25 avril 2011

Dans un article publié le 24 avril 2011 sur le site internet du Figaro, le journaliste titre « Le Pape exhorte l’Europe à « l’accueil » des réfugiés », faisant en cela référence à l’homélie prononcée par le Saint-Père lors de la messe du dimanche de Pâques. Le problème de ce titre, et de l’article qui suit, c’est que cela est complètement faux. C’est un exemple frappant de désinformation. Connaissant les méthodes de fonctionnement du monde journalistique, ce journaliste a dû reprendre une dépêche AFP et la recopier telle quelle, sans prendre la peine de lire le texte du Pape, pourtant en accès libre sur la plupart des sites catholiques d’information, comme l’agence de presse Zenit.

Je ne suis pas journaliste, je suis historien, et mon métier m’apprend à aller à la source des textes pour connaître la vérité. Voici donc l’extrait du discours du Pape, dont je suppose qu’il est à l’origine de l’article du Figaro :

« Aux nombreux exilés et aux réfugiés qui proviennent de différents pays africains et qui ont été contraints de laisser leurs affections les plus chères, que se manifeste la solidarité de tous ; que les hommes de bonne volonté soient éclairés pour ouvrir leur cœur à l’accueil, afin que de façon solidaire et concertée il soit possible de répondre aux nécessités pressantes de tant de frères ; qu’à tous ceux qui se dépensent en de généreux efforts et offrent des témoignages exemplaires en ce sens parviennent nos encouragements et notre appréciation. »

On le voit, on le lit, à aucun moment le Pape ne dit ce qui est écrit dans l’article. Le mot « Europe » n’est jamais prononcé, et il ne dit pas non plus qu’il faut « accueillir les réfugiés ». D’ailleurs, le journaliste ne met que le mot accueil entre guillemet, signifiant par là que seul ce terme est une citation, le reste n’étant que le fruit de sa propre invention. Derrière la malignité du texte demeure un reste de conscience professionnelle. Le discours du Pape est beaucoup plus nuancé que le réductionnisme journalistique voudrait le laisser croire. Notons qu’il dit surtout que les exilés sont dans une situation contrainte, qu’ils n’ont pas été libres de partir, cette migration étant due à une situation de guerre. Le fait de partir les a obligés à laisser « leurs affections les plus chères », signifiant par là à quel point l’immigration est d’abord un drame pour les pays de départ, et pour les migrants eux-mêmes ; avant que cela ne touche les pays d’arrivée.

Malheureusement on comprend l’intention cachée du journaliste : il s’agit de dire que le Pape a condamné la politique du Président de la République française, puisque celui-ci vient d’annoncer un aménagement des accords de Schengen pour limiter les migrations illégales. La même opération avait été menée à l’été 2010 quand on avait fait tenir au Pape des propos condamnant l’expulsion des Roms, alors même que le discours avait été rédigé début juillet, c’est-à-dire avant ces expulsions.

La complexe question migratoire est encore une fois instrumentalisée à des fins politiques, oubliant les drames humains qu’elle engendre. On pourrait rappeler ici la position de l’évêque de Tunis qui a exhorté les Tunisiens à ne pas partir afin de participer à la construction de leur pays. Les évêques du Moyen-Orient, notamment en Irak, font eux-aussi tout leur possible pour que les chrétiens restent chez eux, afin de ne pas dépeupler ces pays. Quant aux évêques d’Afrique noire ils sont les premiers à dénoncer l’émigration des jeunes vers les pays d’Europe, ce qui prive les pays d’Afrique des forces vives et intellectuelles nécessaire à leur développement. Que, pour des raisons transitoires et exceptionnelles, il faille accueillir des exilés, voilà qui est possible mais, comme le rappelle le Pape, cela doit se faire « de façon solidaire et concertée », ce qui est une attitude responsable bien éloignée des polémiques politiciennes. Cette position reprend les idées exprimées par le paragraphe 2241 du catéchisme de l’Eglise catholique :

« § 2241 : Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent.
Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. »

Le droit d’immigration est subordonné au bien commun. La promotion de l’émigration ne peut se faire au détriment du pays de départ ou du pays d’accueil, car cela contreviendrait alors aux principes élémentaires du bien commun. De même que la charité implique, pour les hommes politiques, de se préoccuper d’abord de leur peuple avant les autres peuples.

Cet article empli de grossiers mensonges ne fait pas honneur au journalisme, qui est pourtant un métier noble. Heureusement que l’interaction d’internet permet de combler les erreurs et de rappeler les faits.

Je terminerai, pour conclure, sur une anecdote survenue dimanche 17 avril 2011. J’étais à Rome, avec des amis, pour la messe des Rameaux. Celle-ci débutait à 9h30 place Saint-Pierre. Nous avons alors été abordés par une journaliste française qui s’est présentée comme étant une spécialiste des religions. Pour autant celle-ci a demandé à un de mes amis à quelle heure devait parler le Pape, faisant référence à l’homélie que devait prononcer le Saint-Père. Pour une spécialiste on remarquera l’approximation du vocabulaire. Il lui a été répondu que l’homélie devait intervenir vers 11h. La journaliste a alors paru dépitée car elle devait partir avant 11 heures et faire un article sur l’homélie. Elle a alors demandé à cet ami prêtre s’il savait ce qu’allait dire le Saint-Père. Comment aurait-il pu le savoir ! Ce dernier ne s’est pour autant pas démonté et a donné au journaliste quelques indications sur la fête liturgique des Rameaux, indications qui ont probablement servi à la rédaction de l’article. Voilà comment sont rédigés les articles de fond dans les rédactions par des personnes spécialistes d’un sujet.

Ce journal français n’est pas le seul à faire de la désinformation sur la grave question des migrations, question d’autant plus grave qu’elle a trait à la vision de l’humanité et de la culture. Une agence de presse catholique, Zenit, a elle aussi succombé à la désinformation, comme le prouve cet article du site Benoît et moi.
Ces actes répétés sont très dangereux pour la crédibilité du métier journalistique.

Pour une compréhension approfondie des migrations je conseille la lecture de cet article, traduit et publié sur le site Benoît et moi.

Thème(s) associés :

Par Thèmes