De l’utilité du Sénat

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mercredi 1er octobre 2014

Ce dimanche 28 septembre se tenaient les élections sénatoriales, le Sénat étant renouvelé par moitié tous les trois ans. Bien évidemment, les commentaires ont fusé : le Sénat ne sert à rien, c’est une Chambre qu’il faut supprimer. On peut comprendre ce jugement de la part de personnes qui ne sont pas très au fait du fonctionnement de la constitution française et du rôle de chaque assemblée. Ces élections sont donc l’occasion de rappeler l’importance extrême du Sénat dans notre République.

Le Parlement est composé de deux chambres : l’Assemblée nationale, dont les députés sont élus par l’ensemble des électeurs, et le Sénat, élu par les grands électeurs, c’est-à-dire les citoyens déjà élus, et donc de nombreux conseillers municipaux. Le Sénat représente les territoires, il est la chambre des communes et des départements. Il ne représente pas des individus, comme l’Assemblée nationale, mais une organisation territoriale. Il n’est donc pas une Assemblée nationale bis, mais une autre chambre. Le fait que les sénateurs soient élus par les grands électeurs rend le Sénat beaucoup moins sujet à la démagogie et à l’amateurisme. S’il est facile de berner les électeurs en faisant des promesses intenables sur les marchés ou en tenant des propos fallacieux, il est beaucoup plus difficile de mentir à des élus locaux, plus au fait des réalités politiques.

Le quinquennat a bouleversé l’équilibre des institutions et il a, par contrecoup, rendu plus nécessaire encore l’existence du Sénat. En effet, élus dans la foulée des présidentielles, les députés sont amenés à être de plus en plus caporalisés. Ils savent qu’ils doivent leur poste au Président en place, et que si le courant politique du président change, ils risquent fort de perdre leur siège. Ce n’est pas le cas des sénateurs, qui sont beaucoup plus indépendants et libres dans leur travail et dans leur vote. À cet égard, le passage de 9 ans à 6 ans du mandat sénatorial a été un coup porté à la démocratie. Si cela a pu satisfaire les instincts démagogiques du café du commerce, cela a rendu les sénateurs plus vulnérables aux pressions et aux influences. Avec un mandat de 9 ans, l’ancien sénateur était en dehors du temps présidentiel, ce qui lui assurait une plus grande indépendance d’esprit. Malgré tout, le Sénat demeure cette chambre où les dossiers peuvent être travaillés à fond, à l’écart des pressions médiatiques. Les appareils politiques pèsent moins. On l’a vu ces trois dernières années où le Sénat avait une majorité de gauche. Cela n’a pas empêché les sénateurs de voter à plusieurs reprises contre les textes du gouvernement, y compris des sénateurs socialistes. Ils pouvaient se permettre de voter selon leur jugement, n’étant pas complètement tributaires du temps gouvernemental.

Faut-il réformer le Sénat ? Peut-être, mais surement pas le supprimer. Le Sénat assure l’équilibre parlementaire. Dans l’histoire de la République, à chaque fois que celle-ci a été monocamérale elle s’est transformée en dictature. À l’époque de la Restauration, la chambre des Pairs comptait des membres à vie. Cet état choque nécessairement les partisans d’une démocratie débridée, alors même que ces pairs à vie ont été les plus grands opposants du gouvernement : ils pouvaient se permettre de faire toutes les critiques qu’ils souhaitent n’ayant absolument pas à craindre pour le renouvellement de leur siège. Si l’on veut renforcer la démocratie, il ne faut pas restreindre le mandant de sénateur, mais au contraire l’accroître.

Le Général de Gaulle n’a jamais voulu supprimer le Sénat, comme on l’entend ici et là, mais il a proposé une réforme en 1969, que les Français ont rejetée par référendum, amenant la démission de ce dernier. L’objet principal de cette réforme était la fusion du Sénat et du Conseil Economique et Social. La Chambre Haute devait ainsi être composée de sénateurs élus dans les territoires et d’autres nommés dans des associations désignées comme représentatives. L’idée d’introduire des membres de la société civile au Sénat était en soi une bonne chose, le problème restant à définir sur quel critère l’on pouvait désigner ces associations et surtout comment les changer ? Le projet prévoyait ainsi que 30 sénateurs soient issus du monde agricole. Si cela pouvait se tenir en 1969, on peut estimer que cela a moins de sens en 2014.

C’est ce rôle de représentant des territoires qu’il faut expliciter auprès des Français pour mieux leur faire comprendre l’utilité du Sénat, qui n’est pas une deuxième assemblée nationale, et qui n’a pas occasion ou intérêt à l’être. Ce n’est pas non plus une simple chambre consultative, ayant un réel poids dans la constitution législative de nos textes.

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