Comprendre le XXe siècle 5 et 6/11

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samedi 26 janvier 2013

II/ La rupture européenne

1/ Le recul de l’Europe ?

La Première Guerre mondiale fut le suicide de l’Europe. Ce suicide ne fut pas tant démographique que spirituel. Certes, le nombre de morts fut important, mais le creux démographique peut être complet par une natalité vigoureuse. Si cela ne fut pas le cas, c’est que les Européens, et surtout les Français, ne croyaient plus en l’avenir. On a des enfants car on regarde le futur. On a des enfants quand on est généreux, car les élever coûte beaucoup. Des couples qui restreignent volontairement le nombre d’enfants possible sont le symbole de personnes qui ne croient plus en l’avenir, ou qui manque de générosité, c’est-à-dire d’élan créateur. La véritable rupture démographique est présente dans le fait que les Européens ont un faible taux de natalité, non pas tant dans le fait qu’il y ait eu des pics de mortalité lors des guerres mondiales. C’est donc bien le suicide spirituel de l’Europe qui est patent. Ce suicide ne vient pas de l’extérieur, mais d’elle-même. Il est trop facile d’en rejeter la faute sur les États-Unis, dans un prétendu complot. Les États-Unis savent profiter de la faiblesse de l’Europe, mais ce n’est pas eux qui l’ont provoqué : ils ont exploité un état de fait.

La maladie de la repentance est un mal bien européen. On parlait autrefois du mal italien ou du mal français pour désigner la syphilis, on peut désormais évoquer le mal européen pour désigner la repentance. Le ressort principal de cette déformation de l’esprit est de relire l’histoire du monde à rebours, c’est-à-dire en ne partant pas des causes pour en comprendre les conséquences, mais en commençant par des conséquences supposées pour en découvrir des causes imaginaires. La repentance s’élabore à partir des mythes. Ce siècle qui fut celui du rejet de Dieu a ainsi créé une autre religion, séculière celle-là, qui est une religion de l’État et que ce dernier cherche à imposer à l’ensemble de la population. L’État fonde sa norme morale, qui repose sur des présupposés indispensables à la survie du régime. L’État quitte le domaine législatif pour engendrer sa propre vertu et sa propre morale. Comme les intérêts de l’État sont fluctuants, sa morale varie aussi, ce qui est bien évidemment contraire à toute morale. Il devient indispensable à l’État d’édifier sa propre intolérance face à la vérité de l’histoire et face à la brutalité des faits. L’État réécrie l’histoire, il change les faits, il interdit les publications qui vont à l’encontre de ses préceptes moraux. Jamais le métier d’historien n’aura été aussi dangereux ni aussi subversif, car son activité s’oppose directement au mythe que veut créer l’État. L’historien refuse l’analyse à rebours. Il refuse les simplismes, les raccourcis honteux. Il tolère l’interprétation des faits, la discussion, les échanges souvent passionnés. Face à lui, l’État publie la vérité dans des textes juridiques qui expliquent comment il faut penser. Avec les lois Gayssot et Taubira la régression intellectuelle et la restriction de la liberté ont atteint un degré rarement inégalé. Le politiquement correct attaque et détruit le subversif. Mais le subversif n’existe que parce que la morale d’État essaye de falsifier la vérité et d’imposer une vérité officielle.

Le drame, c’est que l’on explique à des générations d’enfants qu’ils sont responsables de la pauvreté dans le monde, de la traite négrière, des guerres, des souffrances. Ce faisant on ne peut que susciter la haine de soi chez cette jeunesse qui a heureusement honte de ces crimes, même si elle ne les a pas commis, et la haine de l’Europe parmi les peuples non européens, qui croient eux aussi aux sornettes racontées. Cette repentance sert de prétexte à dédouaner les responsables, et à transformer des innocents en coupables. En un siècle nous avons retourné le fardeau de l’homme blanc. Notre fardeau n’est plus de civiliser le monde, comme le croyait Kipling, mais de réparer nos dégâts, comme le croient les tenants de l’idéologie de la honte.
L’Europe s’endort elle-même. Elle se tue elle-même. Le débat sur l’euthanasie apparaît à ce propos hallucinant. Qu’il y ait des hommes politiques favorables à ce que la loi permette de tuer des malades, ou des personnes considérées comme telles, montre bien le refus de vivre présent dans nos mentalités. On n’envisage plus de guérir, de soulager, de soigner, d’accompagner. La mort apparaît comme l’unique horizon d’un état de faiblesse.

2/ L’émergence des États-Unis

L’Europe ne comprend pas les États-Unis. Depuis l’indépendance de 1773 il y a une divergence majeure entre les deux continents. Parce que les Américains viennent d’Europe, parce qu’ils parlent anglais, parce qu’ils ont une tradition commune, on a cru qu’ils étaient comme nous, et donc nous fumes surpris qu’ils ne réagissent pas comme nous eussions réagi.
C’est que les États-Unis ne se sont pas bâtis avec l’Europe, mais contre l’Europe. Le rêve des Pères fondateurs est de rejeter ce qui fait l’Europe, et notamment sa tradition aristocratique. Ce n’est plus l’honneur qui est recherché, mais le bonheur. L’effort et le travail ne visent plus à bâtir une société commune et un destin partagé, mais à fonder une réussite individuelle. On travaille pour soi, non pour son pays, c’est-à-dire pour sa famille. Cette distinction est cruciale dans la différence entre les deux pays.

L’autre élément que ne comprennent pas les Européens est l’esprit fondamentalement messianique des États-Unis. Cet esprit s’exprime très bien dans le livre de John O’Sullivan, La destiné manifeste, paru en 1845. Pour O’Sullivan, comme pour d’autres auteurs américains, le pays a été donné par Dieu au monde pour le changer. Les États-Unis sont le salut du monde, et ce dernier doit être remodelé à leur image. Wilson est dans cette idéologie, il veut refaire le monde de 1918 autour de la pensée américaine. Roosevelt et Truman le sont tout autant. Comme Staline et Jdanov ils ont une vision du monde qu’ils veulent imposer, même si celle-ci est différente. On se méprendrait à croire que seuls les Républicains sont des faucons impérialistes. Les Démocrates ne voient pas les choses autrement qu’eux. Derrière les discours et les gestes symboliques la politique étrangère américaine est relativement stable au long du siècle. C’est Kennedy puis Johnson qui sont intervenus au Vietnam, et Nixon qui a essayé de s’en tirer au mieux. C’est le démocrate Truman qui a ordonné de lancer la bombe atomique, ouvrant ainsi la Guerre Froide. Et ce sont Reagan et Bush père qui ont essayé de la refermer.

Les Américains ont une religion issue de l’Ancien Testament, c’est-à-dire une religion messianique, et non pas universaliste, où l’histoire marche derrière le peuple élu. Ce nouveau peuple élu, c’est les Américains, en substitution des Hébreux. Ils ont repris la doctrine de la prédestination politique que Cromwell a pensée pour son Angleterre. Les États-Unis revêtent donc un caractère divin, ils sont chargés d’une mission universelle qui est de faire le bonheur de l’humanité, et ce bonheur ne peut passer que par le modelage du monde sur le moule américain. Ils ne comprennent pas que d’autres voies puissent être possibles, que d’autres modèles, conformes aux peuples et à leur histoire, conformes au génie de chaque nation, puissent rendre les populations heureuses, sans que cela passe par le modèle démocratique.

Dans cette logique de la prédestination politique toute action est justifiée par le seul fait d’avoir été entreprise, toute brutalité et tout crime sont possibles s’il mène à la victoire. La Bible devient le texte sacré et imprègne toute la culture américaine. La république américaine est donc fondamentalement différente de la française : elle est biblique et religieuse, fondamentalement égalitaire, alors que la république française est laïque et conserve une vision monarchiste du pouvoir.

La prédestination politique fait que Wilson impose des régimes démocratiques à toute l’Europe, il veut abattre l’ancien monde, qui est le monde du mal, il veut diffuser l’américanisme en Europe. Dans son esprit le libéralisme économique va de pair avec le libéralisme politique. Il s’agit de fonder le monde sur le commerce et les échanges, seuls garants de la paix et du bonheur.

Alors que l’ordre de Westphalie a duré de 1648 à 1792, soit 144 ans, alors que l’ordre de Vienne a sauvegardé la paix de 1815 à 1914, soit un siècle, l’ordre wilsonien imposé au traité de Versailles a conduit à la guerre au bout de 20 ans. Moins même, si l’on considère que l’Allemagne a violé les points essentiels du traité de Versailles dès 1933, et cela sans violation aucune. 15 ans après 1918, les démocraties nouvellement installées ont toutes disparu. La prédestination politique américaine n’a pas permis de sauvegarder la paix en Europe. Pire, elle est un des facteurs essentiels de la guerre.

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