Ce que cache le numérique à l’école 2/2

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mercredi 7 janvier 2015

Un enjeu pédagogiste

Le rapport du député Jean-Michel Fourgous avait montré l’échec de l’utilisation du numérique à l’école : « En effet, même s’ils considèrent que la pédagogie active, par l’expérience, est l’avenir de l’enseignement, les enseignants ont tendance à utiliser les TICE afin d’être plus efficaces dans leurs pratiques actuelles, traditionnelles, transmissives ». (1) Dans une version synthétique du rapport, la mission parlementaire écrit ceci : « Le recrutement et la formation des formateurs d’enseignants devraient également être repensés : 34% d’entre eux considèrent que les TICE sont un « plus » dans le développement de l’esprit d’analyse ou de la créativité, 17% dans le développement de la confiance en soi. Cette faible conviction se répercute chez les futurs enseignants, dont moins d’un tiers estime que les outils numériques peuvent être un support pertinent pour aider les élèves rencontrant des difficultés » (2)

Les professeurs sont dubitatifs quant à l’utilité réelle du numérique à l’école. Mais des intervenants extérieurs sont bien décidés à les convaincre, y compris par la coercition. Pourquoi ? Parce que le numérique doit permettre de changer la pédagogie et de changer l’école : « Afin de développer cette compétence [la motivation], il serait nécessaire d’instaurer plus d’évaluation formative positive et moins d’évaluation sommative-sanction ». (p. 8) ou, page 10, « L’important n’est plus de transmettre un savoir formaté. Il faut apprendre à collaborer pour mieux innover et être plus efficace dans ce monde qui s’accélère » et page 14 : « Internet fait évoluer le métier. Il décharge l’enseignant de ses fonctions de « répétiteurs ». Au XXIe siècle, l’enseignant-leader-manager guide, coache, manage et anime des communautés d’apprentissage. Le webtutorat est une réponse à un besoin de société. Les TICE permettent à l’enseignant de passer du rôle d’acteur aux rôles de metteur en scène, d’auteur et de créateur de contenus. » (3)

Alors pourquoi pas le numérique à l’école, à condition que l’on dise la vérité. Que l’on dise clairement que la transmission des savoirs n’est plus de mise, que l’apprentissage de la lecture n’est plus la norme, que ce qui compte c’est l’accumulation des compétences.
Ainsi l’explique un délégué académique au numérique dans le magazine d’un département : « L’objectif est de modifier les pratiques au quotidien pour instaurer, à terme, ce que l’on appelle la pédagogie inversée et rapprochée : plutôt que d’apprendre toute la théorie en classe et faire les exercices à la maison, on inverse le processus pour qu’en classe, on puisse mieux travailler sur ce qui n’a pas été compris. » (4)

Le numérique doit permettre de mettre en place « la pédagogie inversée ». Pourquoi pas. Mais cela a-t-il été clairement expliqué aux parents et aux professeurs, aux élus locaux et aux contribuables ? Ailleurs, le même magazine explique le nouveau rôle du professeur : « [Le professeur] est passé du face-à-face au côte-à-côte, laissant l’explication première à la machine pour être plus à l’écoute des besoins individuels de chacun. (…) Le numérique apporte une toute autre approche de la pédagogie. Le professeur se transforme, en classe, en un médiateur entre l’élève et l’outil. » (5)

On comprend alors le goût amer que le numérique peut laisser dans la saveur des professeurs. Outre la débauche d’argent public pas toujours utilement dépensée, c’est aussi la réticence à voir son métier se transformer en si grande profondeur, d’autant que cette transformation est non seulement subie et imposée, mais aussi camouflée derrière des prétextes scolaires vertueux. Le numérique à l’école cache d’autres réalités, dont l’honnêteté voudrait qu’elles soient dévoilées par les acteurs qui les promeuvent.

Jean-Baptiste Noé, historien et professeur.

1/ Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, Apprendre autrement à l’ère numérique, février 2012, p. 124. Ce qui est important dans le titre, ce n’est pas numérique mais autrement.
2/ Synthèse du rapport de la mission parlementaire, p. 12.
3/ Citations extraites de la synthèse du rapport de la mission parlementaire aux pages indiquées.
4/ Yvelines, le magazine du conseil général des Yvelines, n°10, automne 2014, p.29.
5/ Yvelines, le magazine du conseil général des Yvelines, n°10, automne 2014, encadrés pages 28-29.
6/ Référence du rapport sur l’usage du numérique dans les collèges des Landes : http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2013/15-khaneboubi-reiah/Sticef_2013_NS_khaneboubi_15p.pdf
« Pas d’ordi à l’école pour les enfants des cadres de Google » : http://www.vousnousils.fr/2012/02/28/pas-dordi-a-lecole-pour-les-enfants-des-cadres-de-google-ou-debay-522349
« En tant que papa, Steve Jobs n’était pas fan de l’iPad » : http://www.slate.fr/story/92081/papa-steve-jobs-ipad

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