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dimanche 16 juin 2019
Victor Fouquet, mon co-auteur de La révolte fiscale, est interrogé par le magazine Capital sur la réforme de l’impôt sur le revenu.
Capital : Comment avez-vous perçu la crise des Gilets jaunes ?
Victor Fouquet : Il est révélateur que la crise se soit déclenchée après une hausse de la taxe sur les carburants. Cela vient renforcer l’analyse que nous portons avec Jean-Baptiste Noé. On assigne désormais à l’impôt des fonctions qui ne devraient pas être les siennes. Au fil de l’histoire, il y a eu une mutation du rôle de l’impôt. Il était initialement un instrument de financement des missions régaliennes de l’Etat. Puis, peu à peu, à partir de la fin du 19e siècle et de l’introduction de l’impôt sur le revenu – au début au 20e – par Joseph Caillaux, il est devenu un outil de redistribution. À cela s’ajoute désormais un objectif comportemental. L’Etat instrumentalise l’impôt pour éradiquer les comportements à “vices” et rendre les contribuables vertueux. La fiscalité sur le carburant fournit un exemple éclatant. Sous couvert de diminuer l’utilisation de véhicules polluants, on en profite pour alourdir la fiscalité. Et ces prélèvements rapportent d’importantes recettes à l’Etat... N’est-ce pas la preuve qu’ils sont inefficaces pour corriger les comportements ?
Capital : Vous déplorez l’approche “redistributive” de la fiscalité par le personnel politique...
Victor Fouquet : En France, on envisage les réformes fiscales uniquement à travers le prisme de la redistribution. À écouter les hommes politiques, chaque réforme fiscale devrait réparer des injustices et restaurer une équité que le système en vigueur aurait supposément mis à mal. Cette approche est dangereuse économiquement et moralement. Quand le pouvoir de lever l’impôt et de redistribuer procède du suffrage universel, il y a toujours un intérêt pour qu’une majorité des électeurs se coalise afin de taxer fortement la minorité à son profit. Et la réforme de l’impôt sur le revenu confirmée cette semaine à l’Assemblée nationale par Edouard Philippe dans son discours de politique générale le démontre. Au nom de la justice fiscale, on prévoit une baisse de l’impôt pour 95 % des foyers fiscaux, mais on s’empresse aussitôt d’en exclure les 5 % des Français les plus riches. En filigrane, réapparaît l’antienne pauvrement démagogique qui consiste à vouloir “faire payer les riches”.
Capital : On entend partout qu’il faut sauver l’Etat-Providence, mais vous pensez au contraire que celui-ci est une des raisons du mal économique français.
Victor Fouquet : Le problème de l’Etat-Providence est que chacun s’imagine qu’il suffit de faire payer son voisin, de puiser dans une sorte de trésor caché, pour régler les problèmes à mesure qu’ils se présentent. C’est ainsi que s’enclenche la spirale infernale : dépenses, déficits et dette publics. La combinaison de politiques fiscale et budgétaire toutes deux redistributives est en fait particulièrement pénalisante pour les classes moyennes. Ces dernières se retrouvent à devoir financer les aides sociales sans pouvoir prétendre en toucher les bénéfices. Par ailleurs, le niveau de la dépense publique ne garantit en rien la qualité des services publics. Les exemples de nos voisins, l’Allemagne ou encore la Suisse, prouvent qu’avec une pression fiscale moindre, on pourrait avoir des services publics de meilleure qualité.
Capital : Dans votre ouvrage, vous condamnez la progressivité de l’impôt sur le revenu. Alors que l’idée de rendre l’impôt encore plus progressif est largement répandue dans la sphère politique. Pourquoi ?
Victor Fouquet : En réalité, une trop grande progressivité pénalise très fortement – et c’est très sensible en France – le travail qualifié. La combinaison de l’IR, de divers prélèvements assis sur le travail et des cotisations sociales peut propulser le taux marginal d’imposition à 70%, ce qui a des effets désincitatifs considérables qui nuisent à la prospérité de l’Hexagone. C’est dommageable à l’heure où le pays a besoin d’attirer et de conserver les cerveaux capables d’accompagner les profondes mutations de l’économie. La priorité n’est donc pas d’augmenter la progressivité mais de l’atténuer drastiquement. Et puis l’impôt sur le revenu recèle une vraie hypocrisie… Le législateur est conscient de la nocivité d’un barème progressif trop agressif, qu’il contrebalance en démultipliant les mécanismes dérogatoires – les fameuses “niches fiscales”. On en compte près de 190 pour le seul impôt sur le revenu, pour un montant total supérieur à 33 milliards d’euros, soit près de la moitié de la recette nette de cet impôt. Mieux vaudrait élargir l’assiette et abaisser les taux.
Capital : L’impôt sur le revenu est justement très concentré sur un faible nombre de Français…
Victor Fouquet : Absolument. La progressivité de l’impôt entraîne une hyper-concentration de la charge fiscale. En France, près de 60 % des contribuables potentiels ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu. Et parmi ceux qui le paient, une importante fraction ne règle qu’un écot symbolique. Outre les effets désastreux sur le plan économique, on peut s’interroger sur les dangers d’une telle concentration en fait de citoyenneté et de consentement à l’impôt. Il faudrait réformer en profondeur l’impôt sur le revenu. La progressivité et la concentration ont pris un tour caricatural sous la présidence de François Hollande. Celui-ci, par démagogie et clientélisme, a sorti près de 3 millions de contribuables qui étaient dans le bas du barème de l’impôt sur le revenu. Et ce après avoir intégré l’ensemble des “revenus” du capital, déjà taxés une première fois, au barème progressif…
Capital : Faut-il dès lors remplacer l’impôt progressif par un impôt proportionnel ?
Victor Fouquet : La Déclaration de 1789 a inscrit à l’article 13 le principe de proportionnalité de l’impôt. Il ne faut pas oublier que la progressivité n’a émergé dans les débats qu’à la fin du 19e siècle, à l’initiative des théoriciens marginalistes. Aujourd’hui, sur l’ensemble de l’échiquier politique, on ne raisonne qu’en termes de progressivité, mais pendant longtemps la “justice fiscale” appelait un impôt proportionnel. Les “quatre vieilles” mis en place à la Révolution française étaient d’ailleurs toutes des impôts proportionnels, au nom précisément de l’égalité devant l’impôt. Un impôt à taux proportionnel a le mérite de fournir une règle générale, égale pour tous, qui ne laisse aucune place à l’arbitraire. La meilleure répartition de la charge de l’impôt permet du même coup l’application de taux plus bas, favorables au dynamisme de l’économie et à la création de richesses.
Capital : Le think-tank Terra Nova suggérait il y a quelques mois d’augmenter les droits de succession pour réduire les inégalités. Dans votre livre, vous proposez au contraire de les baisser. Pourquoi ?
Victor Fouquet : L’erreur d’un think-tank comme Terra Nova et de la gauche de manière générale est de toujours se positionner du côté de l’héritier et jamais du testateur. En 2018, le groupe centriste au Sénat a réalisé un sondage qui a montré qu’une écrasante majorité de Français, quelle que soit leur proximité partisane, était opposée au principe même des droits de succession. Pourquoi ? Parce que tout au long de leur vie, les contribuables ont fait des efforts et consenti des sacrifices en épargnant plutôt qu’en consommant, afin de pouvoir léguer à leurs enfants un capital lentement accumulé et, au passage, déjà fortement taxé. Une vingtaine de pays de l’OCDE ne perçoivent aucun “impôt sur la mort”, parmi lesquels le Portugal, chez qui se réfugient de plus en plus de Français, au préjudice de l’économie de notre pays et de ses finances publiques.
Capital : On parle souvent d’harmoniser la fiscalité au niveau européen. Qu’en pensez-vous ?
Victor Fouquet : Toute la classe politique milite pour une harmonisation de la fiscalité à l’échelle du continent. À gauche comme à droite, nos représentants rêvent d’exporter le modèle “providentiel” français. Mais aucun de nos partenaires – mais néanmoins concurrents – ne veut de notre système. On peut reprocher à l’Irlande son taux d’imposition sur les sociétés à 12,5 %. Mais, est-ce l’Irlande qui est un paradis fiscal déloyal à l’égard de ses voisins européens ou est-ce la France qui, avec un taux près de dix points supérieurs à la moyenne européenne, est fautive ? La question mérite d’être posée.
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