Boire chaud, boire froid

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vendredi 13 avril 2012

Boire chaud ou boire froid

Boire chaud pour se réchauffer et boire froid pour se rafraîchir, telle semble être l’explication aux variations de température des boissons. On sait qu’il est plus facile de produire du chaud que du froid. Les Grecs, aussi bien que les Romains, ont réussi à dompter la technique des glacières, qui permettait de conserver des boissons aux frais. En mettant des boissons dans des caves, ou à proximité des sources fraîches, il est aussi possible de les rafraîchir. Boire à température ambiante, c’est déjà refuser de boire chaud.

Que l’on réfléchisse pourtant à nos habitudes alimentaires. Le vin se boit frais, jamais chaud. Le vin chaud n’a que peu de rapport avec le produit initial. C’est souvent un vin de basse qualité, agrémenté d’épices et de poivre. Cette boisson a beau être sympathique, elle n’a pas la renommée du vrai vin. La bière aussi se boit fraîche. Il n’y a guère que dans Astérix chez les Bretons que l’on consomme de la cervoise tiède. Le chocolat, en revanche, se consomme chaud. De même pour le café et pour le thé. On voit ici que cela n’a aucun rapport avec le rafraîchissement du corps. En Afrique du Nord le thé se boit très chaud, alors même que les températures inciteraient à le consommer frais. Le thé glacé est une version froide du vin chaud. C’est lui aussi un thé de basse qualité, sucré et agrémenté de citron ; un thé dépravé en somme.
Le café se boit également chaud, y compris l’été en Italie où il n’est nul besoin de se réchauffer. Les Grecs ont une version froide du café, souvent accompagnée de sucre et de crème. Le café est alors allongé d’eau fraîche, ce qui est fort désaltérant.

Boire chaud ou boire froid relève donc davantage de l’habitus et de la pratique culturelle que de la technique ou de la nécessité. Une des rares boissons à se consommer aussi bien chaud que froid est le saké. La façon dont il va être consommé dispose à la façon dont il est fabriqué. On ne fait pas chauffer n’importe quels sakés, mais seulement ceux qui sont vinifiés en ce sens. C’est là une pratique culturelle qui rejoint la distinction entre le cru et le cuit, entre le saignant et le bouilli. Voici ce qu’avance Nicolas Baumert, dans son ouvrage Le saké, une exception japonaise :

« Dans son essai L’eau de neige, Xavier de Planhol a bien mis en évidence que selon les civilisations, le fait de boire chaud ou froid correspond à une vision culturelle du monde. Les sociétés qui boivent froid auraient une vision prométhéenne de la nature, tandis que celles qui boivent chaud ou tiède recherchent l’harmonie avec leur environnement. Son étude montre qu’il n’y avait dans les habitudes traditionnelles que peu de contraintes d’origine technique. Tant le Japon que la Chine maîtrisaient parfaitement la technique des glacières et utilisaient la place pour la conservation des aliments, mais elle n’était pas employée pour rafraîchir les boissons. Les habitudes du boire chaud ou froid distinguent ainsi, au niveau d’une certaine appréciation de la relation entre l’homme et son milieu, la civilisation européenne des civilisations de l’Extrême Orient dont fait partie le Japon. » (p. 98-99).

Le chaud et le froid relèvent donc de la culture. Et c’est encore une fois l’alimentation qui nous permet de comprendre la matrice et la grammaire des hommes. L’explication de Xavier de Planhol permet de comprendre pourquoi certains peuples préfèrent le chaud au froid, à défaut de savoir pourquoi ceux-ci sont plus froids que tièdes. Là encore, l’alimentation et les pratiques culinaires ont beaucoup à nous apprendre sur la façon dont vivent les hommes.

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