Benoît XVI et la paix liturgique

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mardi 30 juillet 2013

Je publie ici la recension du livre faite par un ami. Le livre est de Christophe Geffroy, le directeur fondateur de La Nef, et le livre s’intitule Benoît XVI et la paix liturgique.

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Tel un rendez-vous décennal , Christophe Geffroy revient, dans son nouvel ouvrage, sur la question de la réforme liturgique de Vatican II et de l’histoire continuée de l’Église depuis cette période. Il faut dire que l’année 2007 a vu la publication d’un second texte important issu des autorités vaticanes, le motu proprio Summorum pontificum , dont l’apport majeur consiste à fournir un cadre juridique précis qui légitime pleinement l’usage du Missel romain de Jean XXIII. Cette logique éditoriale est donc celle de l’histoire même, qui a vu se succéder textes et événements.

La position du problème est la suivante : si les changements ont été grands depuis les réformes liturgiques entreprises dans la période du concile, la question reste néanmoins toujours la même : ce texte tranche-t-il définitivement sur les querelles ? Est-il source d’apaisement ou de relances de polémiques ? Au-delà de cette problématique interne, s’est mis en place un questionnement plus externe, qui visait la personne même du nouveau pape : que souhaite-t-il ? Est-il un « crypto-tradi », attaché à un ordre ancien, auquel cas ce texte ne serait que le point de départ d’un vaste travail de remise en cause des acquis de Vatican II ? Ou bien relève-t-il d’un esprit de vérité et de paix, souhaitant avant tout œuvrer à la réconciliation de l’Église, et attaché à ce que tout un chacun puisse vivre pleinement sa foi selon sa sensibilité ? Y a-t-il cohérence entre les interrogations du jeune cardinal et celles du pape une fois élu ?

Il s’agit donc d’élucider la position de Benoît XVI sur la question : « L’objet de ce livre est de comprendre la genèse de ce motu proprio et ses raisons profondes . » La question sera mise en lumière par l’histoire de l’Église depuis Vatican II…

L’ouvrage débute par une étude sur le rapport du pape à la question liturgique, dont il est rappelé qu’elle constitua l’un des « trois axes » de son pontificat . Cet intérêt semble s’ancrer dans le premier passé du Cardinal Ratzinger, dont de larges extraits de ses mémoires sont reproduits ; de ces années de formation ressort une figure marquante, celle du théologien Romano Guardini, proche du mouvement liturgique . Les éléments relevés attestent d’une véritable préoccupation du cardinal Ratzinger pour cette question et, à titre de bilan, on peut retenir que du concile Vatican II, auquel il a assisté comme théologien déjà compétent, le cardinal retient tout uniment l’aspiration du siècle à une transformation de l’église et la mainmise de certains évêques « autoproclamés compétents » en matière de réforme liturgique. De ces analyses ressort ainsi une réalité : nonobstant un passage en revue de différents points problématiques de l’actuelle pratique liturgique (canon prononcé à voix haute, gestuelle et en particulier l’agenouillement,…), les réserves du pape ne concernent pas tant la nature intrinsèque de tel ou tel missel, mais une critique concernant le caractère « fabriqué » d’une liturgie ; les points qu’il est amené à évoquer ne concernent pas la nature de la liturgie, mais l’esprit dans lequel s’est faite la réforme.

Quoi qu’il en soit, toujours selon le cardinal Ratzinger, la « crise de l’Église » est bien une crise liturgique, une crise qui a ses causes dans la question liturgique. Mais en quoi consiste cette crise qu’a traversée l’Église depuis les années 70 ? Nombre d’intellectuels, au compte desquels on trouve de grandes « plumes » théologiques et jusqu’au pape Paul VI lui-même, avaient pourtant vu cette crise venir et avaient averti. Est-il nécessaire de rappeler les multiples effets de cette crise dans la liturgie, la catéchèse et, plus généralement, dans les mœurs : contestation du magistère, pénétration du marxisme dans cette porte ouverte,…, autant d’effets imputables à une certaine dynamique « moderniste » ?

Après avoir analysé la crise et sa double cause (interne et externe), il convient de revenir sur l’historique de la réforme liturgique en tant que telle. S’il faut, pour cela, revenir à Dom Guéranger et au mouvement liturgique dont s’inspire la réforme, on a tendance à oublier le contexte de l’époque qui a beaucoup joué . Cette histoire est jalonnée d’étapes : le mouvement liturgique, l’encyclique Mediator Dei, le concile Vatican II et la constitution du Consilium, dont il est rappelé qu’il fut dépassé par le problème des initiatives prises sans autorisation (en particulier, sur la question de la distribution de la communion). De surcroît, il mentionne en note que la question est difficile, la réforme ayant connu deux interprétations, l’une « progressiste » et l’autre, au contraire, « traditionaliste ». Au bilan, il apparaît que des « portes ouvertes » ont donné lieu à des initiatives de terrain souvent contestables mais difficilement rétroactives.

Suit un long historique de l’opposition à la réforme liturgique, dont le premier acte suit immédiatement la publication du nouvel Ordo Missae. L’auteur rappelle que le climat de discussion est lié à l’interdiction pure et simple de l’ancienne messe. Puis il revient sur les événements qui ont conduit à la contestation lefebvriste et à la publication du motu proprio Ecclesia Dei . L’auteur s’arrête longuement sur les questions de « diplomatie vaticane » et des dialogues difficiles avec la Fraternité Saint-Pie X, puis salue la création de l’IBP , fondé par des dissidents. Le dernier acte est constitué par la publication du motu proprio Summorum Pontificum (2007), dont il s’agira de dégager le sens. En guise de conclusion des perspectives d’avenir sont avancées : tout en évoquant les actions positives émanant de fraternités acceptant le dialogue, le chapitre se conclue sur les blocages de la Fraternité Saint-Pie X, qui, au dire de l’auteur, n’ont guère fait avancer le débat.

L’auteur propose ensuite un balayage de la « galaxie Ecclesia Dei ». Le motu proprio a en effet permis à nombre de communautés d’accéder à la pratique du rite ancien, ce qui n’a pas été sans poser de difficultés, en particulier dans le rapport aux évêques. Contre une interprétation erronée du texte (considéré comme une « parenthèse » destinée à accompagner progressivement des « récalcitrants » au nouveau rite), il est rappelé que, dans l’esprit de Jean-Paul II, la diversité est considérée comme une richesse. La période suivant celle des Responsa (où la possibilité ouverte d’un bi-ritualisme a reçu un accueil mitigé dans les communautés traditionalistes) a été celle d’une ouverture et d’un intérêt des autorités ecclésiales pour le rite ancien ; la question du sens de la liturgie comme « sacrifice divin » a été au cœur des débats. Au cours d’une conférence prononcée pour les Journées liturgiques de Fontgombault , le cardinal Ratzinger a l’occasion d’exprimer clairement son opinion sur le sujet, plaidant en faveur de l’autorisation de l’usage de l’ancien missel, mais concluant sur le problème de la régulation de l’usage des deux rites à l’intérieur de la vie de l’Église. Dans la continuité de la réflexion du cardinal, l’auteur lui-même s’engage en note quant à la question de l’érection d’une « administration apostolique universelle pour le rite traditionnel », possibilité déjà évoquée et à laquelle il n’est pas favorable en ce qu’elle risque d’engendrer un particularisme au sein de l’institution ecclésiale.

Depuis 1988, les textes pontificaux ont fleuri. En décembre 1988, la lettre apostolique Vincesimus quintus annus revient sur ce qui est qualifié d’ « abus » dans l’innovation liturgique. Il s’agit de comprendre en quoi ce texte a préparé Summorum pontificum. L’évolution peut se voir dans les textes, et ce chapitre est consacré à la présentation des « six textes les plus importants de ces dix dernières années », lesquels, finement analysés, sont révélateurs de l’évolution d’une réalité. Ce qui apparaît nettement, c’est le fait que l’on semble quitter la logique d’ « herméneutique de la rupture » et revenir sur un certain nombre de points fondamentaux. Le dernier texte, émanant de Benoît XVI lui-même en 2007, est intéressant à plus d’un titre, en ce qu’il revient de façon précise sur des points problématiques et en propose des interprétations.

L’auteur conclut sur l’importance du dernier motu proprio, en ce qu’ « il est vraisemblable qu’il contribuera à réorienter la liturgie dans un sens plus conforme à sa tradition ». Une tendance semble se dessiner : la « réforme de la réforme » irait dans le sens d’une institutionnalisation des deux rites. L’ouvrage s’achève sur des propositions concrètes : en se tournant vers les rites orientaux, deux leçons sont à tirer : d’abord, la nécessité d’une souplesse dans la pratique des réformes ; ensuite, un respect pour la dimension esthétique, trop négligée voire méprisée au profit de la raison. Dans l’optique de « resacraliser la pratique liturgique dans la forme ordinaire du rite romain », plusieurs propositions sont avancées : amener progressivement à une prise de conscience du symbole de la messe face à Dieu, encourager l’utilisation du kyriale en latin chanté en grégorien ; inversement, il y a nécessité d’une insertion d’éléments nouveaux dans l’ancien missel. Enfin, il conviendrait de « désenclaver » la pratique du rite extraordinaire de la « mouvance traditionaliste », l’objectif le plus fondamental restant toujours le même : l’évangélisation.

L’ouvrage propose donc tout à la fois une étude historique synthétique accomplie dans l’optique définie par le projet du livre (compréhension de la dynamique de la réflexion liturgique de l’Église et du pape) et des analyses précises sur des points abordés dans les différents textes pontificaux (dans lesquelles l’auteur n’hésite pas à s’exprimer personnellement), pour s’achever sur des perspectives d’avenir qui donnent matière à réflexion.

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