Vichy inventeur de la Sécurité sociale ?

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lundi 3 avril 2017

Un article paru sur Contrepoints.

C’est un lieu commun d’affirmer que le Conseil National de la Résistance a sorti la France de l’obscurantisme social en inventant la Sécurité sociale, et c’est peut-être le lieu commun le plus répandu aujourd’hui sur l’œuvre du Conseil. Dans l’historiographie courante, cette idée est assénée sans relâche au point qu’elle s’impose comme une évidence indiscutable, volontiers nourrie par un acteur du système comme Pierre Laroque fortement médiatisé et sollicité après 1945 sur cette question.

Cette assertion a permis de construire un « storytelling » (comme on dit aujourd’hui) empli de sous-entendus extrêmement pratiques et très bien rentabilisés par les idéologues de la Sécurité sociale. J’en veux pour exemple l’interview de Jean-Luc Mélenchon dans le film de Gilles Perret Les Jours Heureux où le spectateur assiste à un véritable feu d’artifice d’images complètement fabriquées sur la Libération.

Pour Mélenchon, les conquêtes du Conseil National de la Résistance sont d’essence révolutionnaire, réalisées « les armes à la main » face aux privilégiés, aux possédants, aux intérêts particuliers. Lorsque le Conseil National de la Résistance impose la Sécurité sociale, il arrache donc aux suppôts de Vichy des gains obtenus par une Révolution menée dans la clandestinité au péril de nombreuses vies. L’exercice est habile : il permet de graver dans le marbre des risques (tout à fait réels) pris par les résistants les décisions politiques plus ou moins imposées en 1945 sur la base d’un programme que très peu de Français (et de résistants) avaient effectivement lu. Mais dans la geste qui est ainsi fabriquée, il devient évident et indiscutable que les jeunes Français qui recoururent aux armes pour libérer le territoire national ne combattaient pas (ou pas seulement) l’occupant allemand, mais plutôt défendaient l’idéal social qui fut défini par quelques idéologues et quelques technocrates chargés de préparer l’après-guerre et qu’une importante fraction des forces politiques d’aujourd’hui veut immortaliser.

On voit bien comment cette narration construite après-coup permet de « sanctuariser » la Sécurité sociale. D’abord, personne ne peut admettre que de jeunes Français aient donné en vain leur sang pour une aussi grande conquête que la Sécurité sociale. Comment, dès lors, pourrait-on remettre en cause les fondements de la protection sociale telle qu’elle fut conçue en 1945, sauf à vouloir que ces jeunes gens partis dans le maquis et tombés au champ d’honneur soient morts pour rien ?

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