Venezuela : pas de sortie de crise

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samedi 2 février 2019

Pour tous ceux qui suivent la situation au Venezuela, la proclamation de Juan Guaido comme président par intérim laissait enfin espérer la possibilité d’une sortie de crise. Ce pays qui fut l’un des plus prospères d’Amérique latine et qui bénéficie de conditions exceptionnelles (bassin des Caraïbes, pétrole, etc.) connait une décroissance terrible depuis la prise de pouvoir d’Hugo Chavez (1999) poursuivi par celle de son successeur Nicola Maduro (2013). Les opposants politiques sont arrêtés ou contraints à l’exil, la presse est bâillonnée, les libertés publiques sont suspendues. Près de 15% de la population a quitté le pays, se réfugiant principalement en Colombie ou en Espagne. La pauvreté atteint des sommets. Tout manque, y compris les produits d’hygiène de base : papier toilette, eau potable, nourriture… La mortalité infantile grimpe, au même titre que l’inflation, qui ruine la population.

Cette terrible situation sanitaire et sociale n’empêche pas le maintien au pouvoir de Maduro. Celui-ci bénéficie du soutien sans faille de l’armée, dont les membres vivent de la corruption et du détournement de l’argent public. Les forces de police sont prises en charge par Cuba, qui déploie au Venezuela le système de contrôle et de terreur expérimenté sur l’île depuis 1959. À cela s’ajoutent les divisions de l’opposition, qui ne parle pas d’une seule voie et qui partage des vues différentes sur la façon de combattre Maduro et sur la gestion du pays. Le Venezuela illustre un cas d’école de la science politique : les dictateurs sont rarement renversés par la population. C’est l’élite intellectuelle qui provoque la chute de ces régimes, comme l’a illustré la fin de l’URSS. Or une très grande partie de cette élite est partie, pour échapper à la mort.

Le temps joue en faveur de Maduro. Plus les jours passent, plus il devient difficile pour Juan Guaido et l’opposition de le renverser et d’assurer une transition politique. Hugo Chavez a lui aussi affronté des tentatives de renversement, qui ont toujours échoué. Tant que l’armée reste fidèle au régime, Maduro ne pourra pas être renversé. Or celle-ci lui est fidèle autant par intérêt matériel que par idéologie : elle adhère à l’idée de sauver le socialisme bolivarien.

L’aveuglement de l’Europe

Encore une fois, comme pour la crise syrienne ou le dossier ukrainien, les Européens témoignent de leur inconséquence. Certes, plusieurs gouvernements ont soutenu Guaido, mais c’est davantage de façon formelle que de façon forte. L’Union européenne pose un postulat : il faut organiser des élections. C’est le mantra de la démocratie, supposée régler tous les problèmes. En l’état actuel des choses, il est impossible d’organiser des élections. Cela suppose le retour d’exil des opposants, la libération des prisonniers politiques, l’établissement d’une presse libre et l’amélioration des conditions de vie. La population subit une disette ; elle veut d’abord manger avant de pouvoir voter. Et comment régler aussi la question des millions de Vénézuéliens exilés : pourront-ils participer à ces élections ? Juan Guaido a d’ores et déjà prévenu qu’il faudrait plusieurs mois avant de pouvoir réunir les conditions matérielles de la tenue d’élections libres.

Le retour de la Guerre froide

La crise vénézuélienne montre que la Guerre froide n’est pas complètement terminée. Si les démocraties libérales ont d’emblé soutenu le Président de l’Assemblée nationale, États-Unis en tête, la coalition des dictatures reste fidèle à Maduro : Cuba, la Bolivie, la Turquie, la Chine ont réaffirmé leur soutien au leader bolivarien. La Russie également, obsédée par une ingérence américaine qu’elle craint et redoute alors qu’elle aurait pu trouver là un moyen de se rapprocher des Européens.

Le futur n’est pas gagné

Une semaine après la proclamation de Juan Guaido comme président par intérim la situation n’a pas beaucoup bougé. Maduro est toujours en place et il conserve le soutien de l’armée. De façon très habile, il s’est dit prêt à organiser de nouvelles élections, mais législatives et non pas présidentielles. Sachant que les soutiens de l’opposition sont moins nombreux puisqu’ils sont exilés au Brésil ou en Colombie, c’est une façon de se montrer ouvert tout en espérant reprendre le contrôle du Parlement.

Quand bien même Maduro serait renversé, le futur du pays n’est pas encore gagné. Il est illusoire de croire que l’on sort facilement de vingt années de dictature. Il faudra régler la question de la justice et de l’amnistie : que faire de tous les fonctionnaires et des forces de l’ordre qui ont collaboré avec le régime de Chavez et de Maduro, et donc participé à la survie de la dictature et à la répression ? Guaido a d’ores et déjà proposé une loi d’amnistie. C’est essentiel pour faire avancer le pays, mais on peut comprendre le refus de ceux qui ont souffert et qui demandent justice.

Le pays ne sera pas non plus facile à remettre sur pied. Le pétrole ne résoudra pas tous les problèmes. Outre que les infrastructures sont vieillies et qu’elles nécessitent un grand investissement pour les remettre d’aplomb, c’est tout le tissu économique et social du pays qu’il faut reconstruire et les mentalités qu’il faut changer. La Russie a mis près de quinze années avant de pouvoir émerger un peu de la situation laissée par le communisme. Le défi est tout aussi grand pour le Venezuela. Le risque est que la population soit déçue, pensant que leur sort s’améliorera d’un coup après la chute de Maduro. L’opposition n’est unie que dans sa volonté de mettre à bas le régime, mais elle ne partage pas la même conception de la conduite des affaires, notamment sur le plan économique. Cela laisse augurer des batailles et des affrontements à venir. Le vent d’espoir qui souffle sur le Venezuela n’est donc pas forcément annonciateur de lendemains qui chantent.

Article paru sur Aleteia.

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