Un féminisme chrétien

Vous êtes ici : Accueil > Articles > Un féminisme chrétien

jeudi 3 juillet 2014

Un texte de Mgr Dominique Le Tourneau.

La tâche qui attend l’Église — et le monde entier — à l’approche du troisième millénaire de la Rédemption est confiée par Jean-Paul II à l’intercession de Marie, appelée à être pour les chrétiens « l’Étoile qui guidera leurs pas à la rencontre du Seigneur » . Marie est « l’Étoile de l’évangélisation » qui doit guider les jeunes afin qu’ils parcourent « les étapes de l’histoire en témoins mûrs et convaincants » . C’est vers une femme que l’Église se tourne continuellement. Vers la Femme, par excellence, la seule créature humaine à n’avoir pas été marquée par le péché originel, en raison du choix que Dieu avait fait d’Elle pour être la Mère de son Fils, notre Rédempteur. La Femme, sans laquelle les chrétiens ne seraient rien, car elle nous a vraiment engendrés à la vie surnaturelle et aussi parce que Dieu l’a instituée médiatrice de toutes les grâces : aucun secours divin, aucune aide spirituelle ne nous est accordé indépendamment d’Elle.

Aucun féminisme ne va aussi loi. Aucun féminisme ne peut même envisager un tel radicalisme. Ce qui fait que la religion catholique est l’archétype d’un sain féminisme, dépourvu de toute revendication étriquée et tout entier orienté vers la finalité ultime de l’homme, qui consiste à reconnaître et aimer Dieu, à le servir et le glorifier pour les siècles sans fin. Marie est appelée en toute propriété la pleine de grâces (Lc 1, 28) et la Mère de Dieu . « Cette plénitude de grâces, concédée à la Vierge de Nazareth en vue de devenir la Theotokos, signifie en même temps la plénitude de la perfection de ce qui est caractéristique de la femme, de ce qui est féminin » .

C’est pourquoi nous pouvons à bon droit parler de « féminisme chrétien ». Il a, en quelque sorte, reçu ses lettres de noblesse avec l’exhortation apostolique Mulieris dignitatem de Jean-Paul II. Mais il ne date pas d’aujourd’hui. Pour être honnête, il faut même reconnaître qu’il remonte aussi loin dans le temps que la création. En effet, dès l’origine de l’humanité, « Dieu créa l’homme son image ; il le créa à l’image de Dieu : il les créa mâle et femelle » (Gn 1, 27), de sorte qu’ils possèdent l’un et l’autre une égale dignité devant Dieu : dans l’optique catholique, la femme n’est pas inférieure à l’homme ni moins appelée que lui à la sainteté. Ils sont « créés dans une parfaite égalité en tant que personnes humaines, d’une part, et d’autre part dans leur être respectif d’homme et de femme » . La femme possède, au même titre que l’homme et au même degré, la nature d’être rationnel et libre. C’est à l’un et l’autre que Dieu a assigné la fonction de soumettre la terre (cf. Gn 1, 28) et de travailler (cf. Gn 2, 15).

De plus, la créature humaine est la seule sur terre que Dieu « a voulue pour elle-même » . C’est encore cela qui cause la dignité de la femme et de l’homme, des êtres qui ont des rapports personnels avec Dieu (cf. Gn 3, 9-10). Autant dire que la femme ne tire pas sa dignité de l’homme, ne la reçoit pas de l’homme ni d’une éventuelle soumission à lui : elle la possède en elle-même, de par sa nature humaine, directement de Dieu, à l’égal de l’homme. Celui qui fait abstraction de ce récit de la création est dans l’impossibilité de pénétrer le sens profond de la personnalité de la femme, de ce qu’est sa féminité et du rôle qu’elle est appelée à jouer dans l’économie de la Rédemption, et donc dans la vie de l’humanité tout court.

La vocation de la femme n’est pas une vocation à la dépendance mais à l’altérité, à la complémentarité, dans l’égalité foncière. La personne-homme et la personne-femme ne peuvent s’accomplir qu’à travers un don désintéressé de soi, car être une personne « signifie tendre à la réalisation de soi », explique Jean-Paul II. Il précise que « le modèle d’une interprétation de la personne est Dieu même comme Trinité, comme communion de Personnes. Dire que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de ce Dieu, c’est dire aussi que l’homme est appelé à exister « pour » autrui, à devenir don ». Et cela est le fait de tout être humain, « femmes et hommes, qui le mettent en œuvre selon les particularités propre à chacune et à chacun » (MD 7), les « ressources personnelles de la féminité n’étant certainement pas moindres que les ressources de la masculinité, mais seulement différentes » (MD 10).

Une saine exaltation du rôle de la femme amène à reconnaître qu’elle est appelée « à donner à la famille, à la société civile, à l’Église, ce qui lui est caractéristique, ce qui lui est propre et qu’elle est seule à pouvoir donner : sa tendresse délicate, sa générosité infatigable, son amour du concret, sa finesse d’esprit, sa faculté d’intuition, sa piété profonde et simple, sa ténacité… La féminité n’est pas authentique, si la femme ne sait découvrir la beauté de cet apport irremplaçable et l’incorporer à sa propre vie » . La femme « est placée comme un autre moi » (MD 6) dans l’humanité commune à l’homme et à la femme. Appelés à ne plus faire qu’ « une seule chair » (Gn 2, 24), ils reproduisent entre eux d’une certaine façon l’unité dans la distinction qui existe au sein de la Sainte Trinité. Cette unité des deux, « qui correspond à la dignité de l’image et de la ressemblance de Dieu en chacun d’eux » (MD 10), est menacée par les conséquences du péché originel. « Le désir te portera vers ton mari, et lui dominera sur toi » (Gn 3, 16) marque une menace constante de rupture de l’unité, menace « plus grave pour la femme » dans la mesure où la « domination » s’oppose radicalement au don de soi désintéressé caractéristique de la personne. Cette domination « désigne la perturbation et la perte de stabilité de l’égalité fondamentale que possèdent l’homme et la femme dans « l’unité des deux » (MD 10).

Cette altération de la dignité foncière de la femme affecte aussi l’homme : en dévalorisant la femme, l’homme se dévalorise lui-même, puisqu’il brise l’égalité, « qui est à la fois un don et un droit venant de Dieu » (MD 10). La femme ne saurait se retrouver pleinement elle-même en cherchant à « imiter l’homme », en voulant « s’approprier les caractéristiques masculines, au détriment de sa propre « originalité » féminine ». Si elle cédait à cette tentation, il y a fort à parier que, loin de s’épanouir, la femme « pourrait au contraire déformer et perdre ce qui constitue sa richesse essentielle » (MD 10). « Développement, maturité, émancipation de la femme, tout cela ne doit pas signifier une prétention d’égalité — d’uniformité — par rapport à l’homme, une imitation du comportement masculin. Ce ne serait point là un succès, mais bien plutôt un recul pour la femme : non pas parce qu’elle vaut plus ou moins que l’homme, mais parce qu’elle est différente. »

Une de ces différences essentielles, sur laquelle le Saint-Père s’étend longuement, est évidemment la maternité. C’est pourtant une dimension de la féminité fiévreusement combattue par certains groupes de pression qui se sont manifestés bruyamment à la Conférence des Nations-Unies sur la femme, qui s’est tenue à Pékin en 1996, et qui ont trouvé un renfort inattendu auprès de l’Union européenne. Le document final ne mentionne le mot « mère » que quinze fois seulement, treize de façon négative, deux de façon neutre et une seule de façon positive en rapport avec la maternité. Cette unique mention a suffi à bloquer les débats pendant deux jours, l’Union européenne refusant que le modèle de la maternité soit proposé aux jeunes filles comme une des fonctions qu’elles peuvent être amenées à assurer dans la société. Les pays africains, chez lesquels la maternité est à l’honneur, déclarèrent que si les pays européens avaient des problèmes avec les mères, c’était un problème régional, mais qu’il ne devait pas s’imposer au reste du monde. D’ailleurs, il est intéressant de noter l’affirmation suivante, relevée dans les travaux préparatoires de la Conférence des Nations-Unies sur la population : « Pour être efficaces à long terme, les programmes du planning familial ne devraient pas seulement viser à réduire la fertilité à partir des rôles existants des deux sexes, mais plutôt viser à changer ces rôles pour réduire la fertilité. »

Les enjeux sont de taille. Il est donc important de rappeler ce qui constitue la dignité et la spécificité de la femme. La maternité, écrit Jean-Paul II, est « le fruit de l’union matrimoniale de l’homme et de la femme » (MD 18). Elle n’est pas un simple processus physiologique, mais fait intervenir l’être de la femme dans son intimité la plus profonde et correspond à la structure psycho-physique de la féminité. Or, fait encore remarquer le Pontife romain, si l’homme et la femme — le père et la mère — sont tous deux les parents du nouvel être humain, de la nouvelle personne, auquel ils ont contribué à donner la vie, « la maternité de la femme constitue un « rôle » particulier dans leur rôle commun de parents, et même le rôle le plus exigeant » (MD 18). De ce fait l’homme contracte « une dette particulière envers la femme, dans leur fonction commune de parents » ; il est sujet d’obligations particulières envers son épouse. C’est pourquoi « aucun programme de parité des droits des femmes et des hommes n’est valide s’il ne tient pas compte de cela d’une façon tout à fait essentielle » (MD 18). AU le récit de la création de la femme, « il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je veux lui faire une aide qui lui soit assortie » (Gn 2, 18), le Pape apporte le commentaire suivant : « À la femme Dieu Créateur a confié l’homme. Assurément l’homme a été confié à tout homme, mais d’une façon particulière il a été confié à la femme, parce que précisément la femme, grâce à l’expérience spéciale de sa maternité, semble dotée d’une sensibilité spécifique pour l’homme et pour ce qui constitue son véritable bien, à commencer par la valeur fondamentale de la vie. » Et le Saint-Père de s’exclamer : « Quelles sont grandes les possibilités et les responsabilités de la femme en ce domaine, en un temps où le développement de la science et de la technique n’est pas toujours inspiré et mesuré selon la véritable Sagesse, avec le risque inévitable de « déshumaniser » la vie humaine, surtout quand elle exigerait un amour plus intense et un accueil plus généreux ! »

La doctrine de l’Église catholique réclame à cor et à cri que cessent les discriminations à l’encontre de la femme et militent avec constance contre la mentalité qui ne voit en elle qu’un « objet d’achat ou de vente, au service de l’intérêt égoïste et du seul plaisir ».

Elle le fait avec d’autant plus d’ardeur que, pour elle, « dans la hiérarchie de la sainteté, c’est justement la « femme », Marie de Nazareth, qui est « figure » de l’Église. Elle nous « précède » tous sur la voie de la sainteté ; en sa personne « l’Église atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride » (MD 27). C’est en Marie et par Marie que l’être humain — tout être humain — a accès à Dieu et, par lui, à la sainteté, c’est-à-dire peut se réaliser en plénitude.

Thème(s) associés :

Par Thèmes