Un article dans Sud-Ouest

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mardi 1er novembre 2011

Interrogé par Sud-Ouest sur le rôle de l’Église dans le développement du vin, je réponds ici à quelques questions.

Jean-Baptiste Noé, historien, professeur d’histoire, diplômé en œnologie, s’est intéressé de très près aux fondements culturels du vin dans « Histoire du vin et de l’Église ».

« Sud Ouest ». Le vin a été pour l’Église un outil de développement et de pouvoir ?

Jean-Baptiste Noé. Il a d’abord été une source très importante de financement. En Champagne par exemple, Dom Pérignon fait du vin de meilleure qualité qui, plus tard, deviendra le champagne. Ce qui permet des rentrées d’argent qui assurent le confort de la communauté, mais aussi la restauration des bâtiments.

L’Église a également la volonté d’avoir de très grands vins pour rivaliser avec d’autres crus et impressionner les invités de prestige. Outil économique, le vin est un instrument politique, de pouvoir et de diplomatie.

En quoi le vin de messe a-t-il joué un rôle dans la viticulture mondiale ?

Le vin s’est étendu avec l’expansion du christianisme. Partout où se posaient missionnaires et hommes d’Église, il fallait une vigne pour assurer la permanence de la messe. C’est très net en Europe. Le vin progresse vers l’est en même temps que l’évangélisation.

Des vignobles naissent en Autriche, Lituanie, Angleterre, Pologne, pas forcément sous les meilleurs climats. Les Dominicains et les Jésuites importent la vigne en Amérique latine au XVIe siècle. Le cépage le plus important en termes de quantité est le « Mission », la mission.

Les religieux ont toujours insufflé le mouvement. C’est vrai également en Asie, en Afrique du Sud ou en Australie. Principaux producteurs, ils tenaient aussi en partie les systèmes de commercialisation. Quand le vin est devenu une affaire plus rémunératrice, les grandes familles, comme à Bordeaux, n’ont pas réinventé les savoir-faire. Elles les ont améliorés.

La liturgie proscrit les apéritifs industriels. L’Église demande ainsi d’utiliser un « vin naturel de raisins, pur et non corrompu, sans mélange de substances étrangères ». C’est donc elle la première qui suggère les vins biologiques ?

Exactement. Le texte du droit canonique a force de loi. C’est la norme, qui, de fait, a initié le mouvement des AOC, ou une réglementation pour définir ce qu’est un vin, un produit issu de la fermentation du raisin. On ne peut pas y associer des prunes ni rajouter des substances. Le vin de messe a précédé toute une série de textes législatifs.

Au fond, la viticulture méconnaît globalement ce qu’elle doit aux hommes d’Église ?

Elle leur doit pourtant énormément. D’abord dans le développement des pratiques culturales et techniques. Sait-on qu’ils ont perfectionné le pressoir ? L’un des plus importants fonctionnait au Clos de Vougeot, créé par les Cisterciens à l’abbaye de Cîteaux. Dans la transmission des connaissances ensuite. Les vignerons de l’Église sont aussi des hommes de lettres soucieux de créer des traités sur la vigne, notamment. Ils ont conservé ceux rédigés par les romains dont ils ont amélioré les compétences. Ils ont joué un rôle prépondérant dans la communication culturelle et technique des acquis.

L’approche biologique du vin, les engrais naturels, l’utilisation des plantes, etc., tout cela existait au Moyen Âge. L’église a retrouvé ces pratiques pour les restaurer et les développer.

Ce qui se rapporte le plus à l’aspect religieux, c’est la façon dont le vin est bu. De la même façon qu’il y a une liturgie pour la messe, il existe une liturgie pour le vin. On n’imagine pas de le boire seul, sans un certain cérémonial. Il y a un apprentissage, une éducation, des codes. Il est d’ailleurs étonnant de voir les nouveaux pays qui s’ouvrent au vin, comme l’Asie, vouloir s’approprier ce que font les Français, notamment dans les arts de la table. C’est très lié à la tradition religieuse de la France.

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