L’ordre naît du chaos

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lundi 13 janvier 2014

Ce que l’on peut retenir de l’affaire Dieudonné qui agite Manuel Valls, c’est que celui-ci manie très bien la stratégie politique de l’attaque, du mouvement, et de cette maxime politique que le ministre de l’Intérieur a pu méditer dans sa loge, car c’est une des devises de la franc-maçonnerie : ordo ab chaos, l’ordre par le chaos.

En créant un choc émotionnel fort, en attaquant fortement une certaine catégorie de Français, que l’on cherche à diviser du reste de la société et à exclure du corps social, c’est une forme de chaos que l’on cherche à atteindre, une déstructuration et un éclatement de la société. Sans juger le fond de l’affaire, à savoir si les propos tenus sont antisémites, et si l’on peut restreindre la liberté d’expression, ce qui est intéressant ici c’est la stratégie politique poursuivie.

D’abord, les ficelles classiques de la gauche. Comme elle ne peut plus porter le combat sur le social, notamment parce qu’elle a abandonné ce terrain et que le Front National se l’est approprié, elle attaque sur le terrain de la morale. Depuis les années 1930, c’est la même stratégie, chaque fois marquée par des succès. L’indignation face à la bête immonde, face au fascisme surgissant. La dénonciation du racisme, la création d’affaires émotionnelles et le jeu sur les ressorts psychologiques du pathos et de l’émotion. Dans les dernières décennies, ce fut l’instrumentalisation de la mort de Malek Oussekine, de la profanation du cimetière de Carpentras et, plus récemment, les assassinats de Mérah et la mort de Mérik. Quand l’économie ne va pas, que la courbe du chômage refuse de s’inverser, et que l’armée française s’embourbe à Bangui, il faut attaquer sur le terrain de la morale. On s’étonne que cette stratégie fonctionne à chaque fois, tant elle est prévisible et connue, mais la corde ne semble pas usée, et le gouvernement actuel aurait tort de s’en passer. La droite n’a pas encore trouvé la parade aux archers d’Azincourt.

La stratégie ici déployée consiste à attaquer sur le terrain des valeurs et de la morale, afin de ressouder son camp, car c’est un discours qui rassemble à gauche, au moins tout autant que la lutte contre les 35 heures à droite, et de créer un choc tel que la droite vole en éclat. C’est la stratégie du chaos chez l’ennemi, afin que, de ce chaos, naisse un ordre, qui est celui de la gauche, et qui lui permet d’assurer la victoire lors des échéances électorales à venir. Que vont faire les 5 000 personnes privées de spectacle à Nantes ? On ne peut pas humilier et blesser un nombre si important de personnes, sans redouter un chaos à venir. Peut-être que Manuel Valls a raison sur le fond, et que le spectacle était objectivement un diffuseur de haine, mais il ne m’est pas possible de juger, je ne l’ai pas vu. En revanche, on peut se demander pourquoi ce spectacle et pourquoi pas un autre ? Pourquoi les Femen ne sont-elles pas interdites, alors qu’elles causent un trouble à l’ordre public manifeste : attaque des cloches exposées à Notre-Dame de Paris, profanation de l’église de la Madeleine, attaques contre des manifestants pacifiques ? Pourquoi certains rappeurs ne sont-ils pas interdits, alors que les paroles de leurs chansons, librement écoutables sur internet, sont également haineuses vis-à-vis de la France ? Tout cela, Manuel Valls le sait, et les spectateurs déboutés aussi. Ils savent que ce n’est pas l’intérêt supérieur de la France qui a conduit à l’interdiction, mais des calculs politiques et des enjeux électoraux.

Le chaos naît également dans la justice. On peut s’étonner de la rapidité avec laquelle le Conseil d’État a rendu un avis, sur une question aussi sensible, et sachant que cela fait jurisprudence. Les juges de cette institution ont-ils agi selon le droit, ou selon les ordres du ministre ? Après le mur des cons, après que le syndicat de la magistrature ait appelé à voter François Hollande à la présidentielle, le citoyen français peut douter de l’intégrité et de l’impartialité de la justice. La confiance entre les citoyens et les juges ne peut plus exister quand le soupçon de corruption se glisse au plus haut niveau de l’État. La confiance étant partie, c’est le chaos qui règne. Un chaos indispensable à l’ordre socialiste.

Dans cette précipitation apparente, dans ces attaques rapides et soudaines contre un groupe défini et donné, dans cette promotion d’une personne qui agite certaines banlieues, il n’y a ni erreur, ni mauvais calcul, il n’y a que froide raison, pure stratégie politique, et volonté de créer un chaos qui seul pourra donner un pouvoir. La seule incertitude, c’est qu’il est difficile de prévoir quel ordre va surgir de ce chaos, et qu’il n’est donc pas sûr que ceux qui l’ont créé en soient les vainqueurs.

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