Saint Louis et la mort

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mardi 27 août 2013

Poursuivons la réflexion sur Saint Louis, avec cette fois un article sur l’attitude du roi face à la mort. Celui-ci est décédé le 25 août 1270, lors de la croisade, en face de Tunis.

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L’omniprésence de la mort

La mort est le compagnon omniprésent de l’homme médiéval. Les maladies nombreuses et la faiblesse de la médecine peuvent emporter rapidement des hommes apparemment sains. Les femmes sont fragilisées au moment de l’accouchement. Presque la moitié des enfants décèdent. Il est très difficile de calmer la douleur, et les opérations chirurgicales se pratiquent sans anesthésiant. La mort accompagne donc la vie de l’homme médiéval, et avec elle la maladie. Si on ne meurt pas, on souffre physiquement, avec l’angoisse que cette souffrance puisse déboucher sur le décès.

Mais, plus que la mort, la véritable angoisse de l’homme médiéval est celle de la mauvaise mort, c’est-à-dire de mourir sans avoir reçu les soins de l’Église, et donc d’aller en enfer. La mort fait peur, mais plus encore c’est la mauvaise mort qui terrifie, et la bonne mort qui ouvre les portes de l’espérance.

Le XIIIe siècle n’occulte pas la mort comme on le fait aujourd’hui. Le cimetière est au cœur du village. Les cérémonies religieuses à l’église sont fastueuses. Les maisons sont décorées de tentures noires ou violettes, on veille les corps et on les accompagne jusqu’à la tombe. Les personnes les plus honorées peuvent être enterrées au sein même de l’église. On pense en effet que plus on est prêt de l’autel plus on est proche de la résurrection. C’est la raison pour laquelle les cimetières entourent les églises. Les danses macabres sont présentes dans les peintures murales, la littérature, les chants des trouvères et des troubadours, dans les sculptures. Dans les églises on représente l’enfer, les flammes et les diables qui font expier les créatures. On représente aussi le paradis et les anges doux et bons qui le peuplent, paradis où l’on peut vivre auprès de Dieu. Si le chrétien doit veiller à bien vivre, il doit aussi veiller à bien mourir. Saint Louis a été très tôt convaincu de cette nécessité, et a porté une grande attention à la façon dont il est mort.

Saint Louis et la mort de sa mère

Le roi n’a pas été épargné par les décès familiaux. Si certains sont dans l’ordre des choses, comme celui de sa mère, d’autres, en revanche, contreviennent à la logique humaine, c’est par exemple la mort des enfants. Saint Louis a toujours été très affecté par ces décès, ce qui montre qu’il a un cœur aimant, tout en les acceptant pleinement et en se livrant à l’espérance divine.
Un témoignage nous est rapporté par Guillaume de Nangis, un célèbre chroniqueur du temps, sur sa réaction à l’annonce de la mort de sa mère, Blanche de Castille. Celle-ci décède le 27 novembre 1252. Saint Louis est alors en croisade. Il n’est informé de la mort de sa mère qu’au printemps de l’année 1253. Il n’a pu assister à ses funérailles, mais est allé prier sur sa tombe dès son retour en France, après la croisade. Apprenant la mort de sa mère, le roi est profondément blessé :

« À Sidon, vint la nouvelle au roi que sa mère était morte. Il commença à crier et fondit en larmes, et se mit à genoux devant l’autel et remercia Dieu à mains jointes, et dit « Sire Dieu, je vous rends grâces et merci que par votre bonté, m’avez prêté si longuement ma chère mère, et par corporelle mort l’avez prise et reçue par votre bon plaisir à votre part. Il est bien vérité, beau, très doux père de Jésus-Christ, que j’aimais ma mère par-dessus toutes créatures qui fussent en ce mortel siècle ; car elle l’avait bien mérité ; mais, puisque vous vient à plaisir qu’elle ait trépassé, béni soit votre Nom. »

Jean de Joinville complète un peu ce témoignage en précisant que le roi est resté deux jours en pleurs et en prières dans sa chambre, si bien qu’aucun de ses conseillers n’a pu le voir. Le roi fit ensuite célébrer de nombreuses messes à sa mémoire, et envoya beaucoup de lettres aux monastères du royaume pour demander aux moines de prier pour elle.

Douleur aimante du fils, confiance et abandon en Dieu, prières et messes pour les défunts, Saint Louis souffre, mais se confie aussi à la Providence. La douleur de la mort s’accompagne toujours de l’espérance de la résurrection. Dans le témoignage de Guillaume de Nangis, le roi évoque la mort corporelle qui l’a ravi de terre. C’est que le souverain distingue cette mort-là de la mort spirituelle, beaucoup plus grave, car elle prive de l’accès au ciel. Si le corps meurt, il importe que l’âme soit vivante afin de continuer à vivre auprès de Dieu. Le roi témoigne ainsi de sa vision surnaturelle des événements.

Saint Louis et la mort de son fils

À Tunis, où il mène le siège de la ville en 1270, le roi, et son armée, est touché par la maladie. Une épidémie s’abat sur l’ost. Les historiens ignorent de quelle maladie il s’agit. Certains ont parlé de la peste, il semblerait que ce soit plutôt la dysenterie ou le typhus. La chaleur est accablante, l’eau est souillée, et les murailles de Tunis résistent à l’armée des Francs. L’entourage du roi n’est pas épargné par la maladie, et notamment son second fils, Jean-Tristan, qui décède assez rapidement. Le roi étant lui-même malade, ses conseillers commencent par lui cacher la mort de son fils, afin de ne pas l’accabler et de lui assurer une possibilité de guérison. Mais comme il s’inquiète de la santé de Jean-Tristan, on finit par lui annoncer sa mort. À cette annonce, le roi est pris d’une grande douleur. Il reste quelques minutes sans pouvoir parler, puis il prononce les paroles de Job : « Le Seigneur me l’a donné ; le Seigneur me l’a ôté. Que le nom du Seigneur soit béni ! »

Ce témoignage illustre lui aussi pleinement la position du roi face à la mort de ses enfants. Douleur aiguë du père aimant, souffrance de l’homme qui a perdu un être cher, mais abandon dans la volonté de Dieu et acceptation de la mort. L’homme médiéval n’est pas insensible à la mort ; ce n’est pas parce que la mort est quelque chose de courant qu’il serait détaché ou distant. Bien au contraire, la mort le fait souffrir ; il est tout autant sensible que l’homme moderne. Mais l’homme médiéval voit plus voit que l’homme moderne. Il aborde la mort avec une vision surnaturelle qui l’amène à relativiser les choses passantes et contingentes de ce monde, pour se centrer sur l’essentiel, à savoir l’obtention de la vie éternelle. Et encore plus Louis IX, qui est saint.
Ce que le roi a témoigné avec sa mère et son fils, il le vit avec sa propre mort. Les témoins oculaires se sont faits les auteurs précieux des derniers instants du souverain. Ni récit hagiographique, ni pieuse vie sentimentale de saint, les écrits sur la mort de Saint Louis permettent à la fois de comprendre la manière dont l’homme médiéval vit la mort de façon générale, et aussi comment un roi, a fortiori un saint, la vie de manière précise.

La mort de Saint Louis

Celle-ci survient le 25 août 1270, raison pour laquelle la Saint Louis est fêtée ce jour-là. Comme Jean-Tristan et comme un grand nombre de ses conseillers, Louis est atteint de la dysenterie. Les auteurs parlent d’un flux de ventre accompagné de fièvre. Débarquée le 18 juillet devant Tunis, l’armée est atteinte par la maladie à la fin du mois. Jean-Tristan meurt le 3 août. Son père est atteint peu de temps après et doit s’aliter. Il est alors difficile de mener les combats. Les négociations se poursuivent pourtant, notamment avec l’espoir de la conversion de l’émir. Saint Louis reste trois semaines au lit et s’affaiblit de plus en plus. Il souhaite toutefois continuer à dire les heures, notamment matines, mais doit y renoncer assez rapidement. On lui apporte la communion et il reçoit les derniers sacrements. À l’arrivée de la communion, il veut sortir de son lit pour se prosterner devant la sainte hostie, mais il n’y arrive pas ; les forces lui manquent. Il doit donc se limiter à s’agenouiller lorsqu’il reçoit l’Eucharistie.

Au début de la maladie, il continue à superviser les opérations et à recevoir ambassadeurs et légats. Puis, lorsque celle-ci empire, il doit y renoncer. À bout de force, il reçoit l’extrême-onction. Le roi est si faible que l’on devine à peine qu’il prie avec les autres personnes présentes. Devant son lit, il a fait installer une grande croix, afin d’être aidé dans sa prière. Il reste quatre jours sans voix, mais sans perdre connaissance. Il reconnaît les gens qui s’approchent de lui et leur témoigne son amitié.

Le 24 août, la fin s’annonce. Louis se confesse à Geoffroy de Beaulieu et reçut la communion. Louis, à sa demande, a été couché sur un lit de cendres, symbole de pénitence. Son entourage invoque avec lui les suffrages des saints, notamment saint Jacques, le patron des pèlerins, et sainte Geneviève, la sainte patronne de Paris. On l’entend prononcer à voix basse : « Jérusalem, Jérusalem », la ville objet de la croisade où il ne put aller cette fois-ci. Il somnole toute la nuit et se réveille le 25 août vers midi. Geoffroy de Beaulieu est à son chevet. Il rapporte ses dernières paroles, qui sont celles du Christ : « Père, je remets mon esprit entre vos mains. » Il prononce ensuite le verset d’un psaume : « J’entrerai dans ta demeure, j’adorerai dans ton saint temple. » Il expire vers 3 heures, à l’heure où le Christ est mort, ce qui a marqué ses contemporains.

Sur cette mort, nous pouvons, encore une fois, nous reporter au témoignage de Jean de Joinville. S’il n’était pas présent à Tunis, n’ayant pas participé à la croisade, Joinville rapporte les propos que lui ont tenus des témoins oculaires de la mort du roi.

« Bien qu’il fût assiégé corporellement par les angoisses de nombreuses souffrances, en esprit il s’élevait cependant dans l’espérance de la récompense désirée. La nuit précédente, on l’avait entendu dire, en français : « Nous irons à Jérusalem. » (…) Il dit aussi : « Seigneur, c’est assez : j’ai combattu jusqu’ici, j’ai travaillé jusqu’à présent à votre service de toutes mes forces, j’ai servi tant que j’ai pu votre peuple et votre royaume, que vous m’avez confié ; maintenant, je vous prie, je vous supplie : soyez, Seigneur, sanctificateur de leurs âmes et gardien de leurs corps. Je les remets à votre pitié. (…) Et il mit ses mains sur sa poitrine, et en regardant vers le ciel rendit à notre Créateur son esprit en cette heure même que le fils de Dieu mourut pour le salut du monde en la Croix. »

Après sa mort, Thibaud, son gendre, écrit à Eudes de Châteauroux, qui fut légat du pape, « Nous pouvons témoigner que jamais, en toute notre vie, nous n’avons vu fin si sainte ni si dévote, chez un homme du siècle ni chez un homme de religion. »

Les suites de la mort

Saint Louis est donc mort en chrétien, plein d’espérance, car avec la confiance de pouvoir aller au ciel. Sa mort est l’exemple même de la bonne mort. Il est entouré de ses proches, il reçoit les secours d’un prêtre pour la communion et l’onction finale, il est entouré de prière et meurt avec la croix du Christ en face de lui. La mort qui prend par surprise, la mort tant redoutée, n’est pas présente ici. Cette mort plane toujours sur les chevaliers qui peuvent facilement mourir au combat. Saint Louis a pu mourir dans son lit, et se préparer pour son dernier voyage ; son ultime croisade en sorte.

Après la mort viennent les préparatifs du corps. Les rois sont toujours enterrés pieusement pour que l’on puisse prier sur leur tombe. Mais la réputation de sainteté ayant accompagné Louis IX durant sa vie, les contemporains ont conscience de devoir traiter le corps d’un saint, donc de devoir gérer des reliques potentielles. L’attrait des reliques attire des foules immenses à travers le royaume, il y a une grande dévotion pour les restes des saints. Sitôt sa mort constatée se pose donc la question de savoir où reposera son corps, c’est-à-dire quel lieu profitera de l’attrait pour les reliques du roi. Le corps est mis à bouillir dans un mélange d’eau et de vin, afin que les chairs s’en détachent et que l’on puisse les séparer des os. Les entrailles et les chairs du roi sont ensuite acheminées dans la cathédrale de Monreale, en Sicile ; le cœur et les ossements sont ramenés à Saint-Denis. Par la suite, les rois de France ont souvent fait cadeau de morceaux d’os de Saint Louis.

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