Saint-Germain ou la négociation

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samedi 27 juillet 2013

Un article de Frédéric Weiler, archiviste.

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Certaines œuvres culturelles auraient tendance à véhiculer des idées toutes faites. Saint-Germain ou la négociation en fait partie. Pour le grand public, il demeure un téléfilm réalisé et diffusé en 2003. Adapté du roman de Francis Walder, couronné du Prix Goncourt en 1958, ce roman historique porté au petit écran mettait en scène des acteurs aussi reconnus que Jean Rochefort, Rufus, Didier Sandre, et Jean-Paul Farré.

En 1570, après une troisième phase de guerre de religion, la France se retrouve exsangue. Les deux partis n’ont d’autre choix que de négocier. A l’issue de plusieurs semaines de tractations, la paix est signée entre le roi Charles IX et l’amiral Gaspard de Coligny (8 août 1570). Ce dernier entrait au Conseil des Affaires, antichambre du pouvoir monarchique. Les protestants obtenaient une liberté limitée de pratiquer leur culte dans les lieux où ils le pratiquaient auparavant, ainsi que dans les faubourgs de 24 villes. Enfin, quatre places fortes de sûreté étaient accordées aux Huguenots : La Rochelle, Cognac, Montauban, et La Charité.

S’ensuivirent deux années de paix. Les gens de l’époque ironisèrent sur cette paix « boîteuse et mal assise » pour rappeler le nom des plénipotentiaires, représentants de la Couronne, qui avaient mené les négociations : Gontaut-Biron, qui était boîteux, et Henri de Mesmes, seigneur de Malassise.

Le précaire équilibre obtenu ne résista pas aux suites de la Saint-Barthélémy, survenue deux ans plus tard (24 août 1572).

Les causes de la Saint-Barthélémy : entre crime d’État et crime collectif. Un événement multi-factoriel.

Les causes de la Saint-Barthélémy sont multiples, et doivent être ramenées au contexte de l’année 1572. La hausse du prix du pain (1571) explique la fébrilité des parisiens. La chaleur s’est ajoutée à ce premier facteur.

Les jeux d’influence dans l’entourage royal furent déterminants.

L’amiral Gaspard de Coligny tenait à engager la France dans une guerre avec l’Espagne. Les raisons ne manquaient pas : on pouvait, de cette façon, en finir avec une guerre civile qui ensanglantait le royaume, et rassembler les forces vives du pays plutôt que de les voir s’entre-déchirer. Mais son influence sur le roi était moins grande que ne l’ont écrit certains historiens. Cependant, Catherine de Médicis était opposée aux plans de Coligny.

Un élément propre à expliquer le ressentiment des parisiens à l’égard des huguenots demeure une clause du traité de paix de Saint-Germain-en-Laye (1570). Cette clause prévoyait la restitution de différents biens (meubles, immeubles, offices) aux huguenots.

L’événement déclencheur, propre à l’année 1572, reste sans conteste le mariage entre Henri de Navarre et Marie de Médicis. Lette union avait pour but de rapprocher les deux dynasties des Valois et des Bourbons. De plus, on escomptait bien mettre un terme aux troubles du pays en unissant un des chefs de la cause réformée à la royale héritière du trône de France, marchant pour la cause catholique. Unité de temps, de lieu, et d’action : la Saint Barthélémy a tous les éléments d’une tragédie classique. La cérémonie nuptiale s’est déroulée le lundi 17 août, et le vendredi 22 août, Catherine de Médicis tentait de faire assassiner l’amiral de Coligny. On a vu plus haut que les deux personnages avaient une vision antagoniste de la politique étrangère de la France.

Le coup manqua, car l’amiral ne fut que blessé (22 août 1572). Charles IX, furieux, ordonna une enquête. Les chefs protestants, de leur côté, juraient bien de se venger si la lumière n’était pas faite, et les responsables jugés. La reine prit peur : n’allait-on pas mettre en lumière sa complicité ? Dans l’impasse, elle décida de supprimer les principaux chefs protestants alors réunis à Paris pour le mariage d’Henri de Navarre avec la sœur du roi. Elle réussit à convaincre le roi que les chefs protestants complotaient contre lui et Charles IX finit par céder. D’accord avec son frère le futur Henri III, et avec Henri de Guise, il prépara lui-même les tueries du lendemain. Ce fut la tristement célèbre nuit de la Saint-Barthélémy.

On le voit : il n’y eût aucune préméditation, aucun lien de cause à effet entre le traité de Saint Germain en Laye et la Saint-Barthélémy. Le massacre de la Saint-Barthélémy s’explique si l’on replace les événements dans leur contexte.

Pour tenir lieu de conclusion : certaines idées ont la vie dure…

Quelles furent les suites immédiates du traité de Saint-Germain ? Le retour des protestants dans des villes comme Dieppe, Rouen, Sens, Orange, entraîna des troubles. Protestants et catholiques furent jetés les uns contre les autres, mais durant une courte période.

Il apparaît donc erroné d’affirmer, comme le fait le commentaire « off » du film de Gérard Corbiau, que la paix de Saint-Germain fut négociée pour mieux préparer la Saint-Barthélémy. La reine Catherine de Médicis semble désignée comme l’organisatrice de cette boucherie. Ce qui, avec le recul et les tristes exemples du XXe siècle, sonne comme un écho de « solution finale ». Or, Catherine de Médicis ne fut pas la sinistre programmatrice d’un génocide à l’égard des protestants. Il y avait bien des haines de part et d’autre. De plus, toute personnalité politique est conduite à effectuer des calculs.

L’histoire fournit de la matière pour opérer des rapprochements et des approximations. Les exemples les plus souvent repris sont les comparaisons entre Napoléon et Hitler, ou des rapprochements hasardeux entre les croisades et les colonisations européennes du XIXe siècle. Au nom de certains partis pris, on construit des visions de l’histoire. Dans l’exemple qui nous intéresse, il n’y avait qu’un pas à franchir pour des esprits mal dégrossis, et affadis par le conformisme de la pensée unique. Pour reprendre la formule de Gambetta, le refrain distillé en sourdine dans le film de Gérard Corbiau serait : « L’intolérance, voilà l’ennemi ! ». L’ « ennemi » clairement désigné dans le film de G. Corbiau est le parti catholique, transformé en champion de l’intolérance. Le « politiquement correct » est servi. Mais l’historien averti, comme les esprits libres, doivent faire preuve de vigilance.

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