Réindustrialiser, mais comment ?

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samedi 18 juillet 2020

La relocalisation des cerveaux est la priorité.

« Réindustrialiser », telle semble être l’injonction principale portée par l’épidémie de coronavirus qui a révélé qu’une grande partie des principes actifs pharmaceutiques étaient produits en Chine. Mais de quoi parle-t-on ? Est-ce une prise de conscience de la réalité de la guerre économique que se livrent certains pays, de l’affaiblissement des entreprises françaises à cause d’une fiscalité et de normes juridiques délirantes qui les empêchent de lutter à armes égales dans la mondialisation ? Ou bien est-ce la nostalgie du monde d’avant, celui des mines de charbon et des corons ouvriers ? Le renouveau économique français ne pourra passer que par la mise en place de réformes trop longtemps différées, non par l’agitation de la peur d’un monde qui change.

OÙ EST LA DÉSINDUSTRIALISATION ? L’indice de la production industrielle calculée par l’Insee montre que la France est passée d’une base 100 en 1973 à 122 en 1990 et 154 avant la crise de 2008. Après une chute à 124 en 2009, l’indice est remonté à 138 en 2018. Du point de vue de la production, il n’y a donc pas de désindustrialisation. En revanche, l’emploi dans le secteur industriel n’a cessé de diminuer depuis 1970. Cela n’est pas dû à une disparition de l’industrie, mais à l’externalisation et à la mécanisation. Un certain nombre d’emplois de service, comme le nettoyage, jadis effectués par les entreprises industrielles, sont désormais réalisés par des entreprises tierces. Les agents d’entretien, n’étant plus des salariés de l’entreprise industrielle, sont comptabilisés dans les bataillons des salariés du tertiaire. Quant à la mécanisation, elle a certes détruit des emplois dans le secteur industriel, mais cela a permis un transfert d’emploi dans le secteur des services et donc le développement de toute une partie de l’économie. Un phénomène largement étudié par Jean Fourastié, notamment dans son ouvrage Les trente glorieuses ou la révolution invisible.

Les délocalisations elles-mêmes sont loin d’être toujours négatives. En produisant moins cher, de nombreux Européens ont pu accéder à des biens de consommation autrefois onéreux et inabordables. En faisant baisser les coûts de production, donc d’achat, un grand nombre de nouveaux métiers, et donc d’emplois, ont pu voir le jour, ce qui est difficilement quantifiable compte tenu de la complexité de l’économie. Combien de vendeurs, de designers et d’ingénieurs ont-ils trouvé un métier grâce à la hausse de la demande résultant de la baisse des prix ? Combien d’emplois les économies réalisées en acquérant un lave-linge à bas coût ont-elles créés dans d’autres secteurs ? Combien d’emplois les activités d’import et d’export génèrent-elles ? Le repli sur soi et le retour à des tarifs prohibitifs sont loin d’être souhaitables, surtout pour les catégories sociales les plus fragiles.

LES NON-DITS DES DÉLOCALISATIONS. Depuis les années 1970, le territoire français connaît deux types de délocalisation : celui qui vise à baisser les coûts de production et à faire produire ailleurs pour proposer à la vente des produits moins chers et celui qui cherche à fuir des contraintes fiscales et juridiques. Le premier a été positif pour la population en lui permettant d’accéder à des biens de consommation variés et bon marché et en permettant un transfert d’emplois pénibles et usants vers des emplois plus confortables. Ceux qui appellent aujourd’hui à « réindustrialiser » seront probablement les derniers à vouloir descendre au fond des mines ou à se mettre à une chaîne de travail textile si ces secteurs venaient à rouvrir. Il n’est pas certain que les intellectuels aux mains blanches qui appellent à la réouverture des usines soient eux-mêmes prêts à quitter leur bibliothèque pour enfiler un bleu de travail à Billancourt.

Plus grave, en revanche, pour le futur du pays, sa souveraineté et son indépendance, sont les délocalisations motivées par la jungle administrative. Les entreprises et les talents ne vont pas, sauf rares exceptions, dans les pays asiatiques à bas coût, mais dans des pays européens et occidentaux proches de la France. Si ce sont ces délocalisations-là que l’on cherche à éviter, l’ensemble du système social français devra être réécrit. La crise provoquée par l’épidémie de coronavirus a démontré que des pays ayant moins de prélèvements fiscaux et moins de contraintes administratives ont eu aussi moins de morts. La différence avec l’Allemagne s’explique en partie par un système hospitalier beaucoup plus souple où les chefs d’établissement peuvent agir comme des chefs d’entreprise, y compris dans les structures d’État. Il est antinomique d’avoir fait de la France le pays où le jour de libération fiscale est le plus tardif dans l’année et de se lamenter que les entreprises et leurs créateurs la fuient. Tout comme, il est difficilement soutenable de se plaindre que l’économie piétine alors que des grèves immobilisent régulièrement l’aviation et les chemins de fer.

PAS D’INDUSTRIALISATION SANS BONNE ÉDUCATION. L’épidémie a été l’accélérateur de tous les problèmes français déjà présents. Outre la fiscalité et la culture de la grève, c’est un code du travail obèse, des normes administratives inapplicables, accentuées encore par le prétexte de la transition écologique. Si tout le monde s’accorde pour reconnaître la diminution nécessaire de la fiscalité, il est, en revanche, beaucoup plus difficile de déterminer quels secteurs doivent cesser d’être subventionnés. Si les points faibles du système social français sont perçus par beaucoup, il n’en reste pas moins qu’il est très difficile d’y remédier et de faire évoluer un système qui semble bloqué. Enfin, la désindustrialisation révèle aussi de façon dramatique l’échec de l’école rigidifiée. Là aussi, on ne peut pas prétendre avoir des ingénieurs performants si l’école continue à produire autant d’élèves dont la maîtrise de la langue française est aléatoire. Les piètres résultats de la France au classement Pisa ne sont pas des problèmes posés seulement à l’Éducation nationale, mais à l’ensemble du système productif et économique français. La question de la pertinence du monopole de la collation des grades doit être posée ainsi que le naufrage de plus en plus manifeste des universités françaises. Avec un refus de la sélection au bac, en licence et désormais en master, ce sont des cohortes d’étudiants qui sortent, chaque année, certes diplômés, mais bien souvent inaptes.

Où les entreprises recruteront-elles leurs cadres et leurs employés si l’enseignement secondaire et supérieur n’est plus capable d’assurer la transmission des savoirs et la formation des intelligences ? Pour peser sur la scène internationale, pour affronter la guerre économique, pour relever le défi posé par les puissances installées, il ne faut pas craindre de former une élite dans chaque domaine économique et technique. La formation des élites suppose la sélection et l’effort ; autant de termes bannis du système éducatif. Le fait que les meilleurs lycéens préfèrent désormais effectuer leurs études à l’étranger plutôt qu’en France devrait alerter sur l’urgence de donner plus de liberté aux établissements scolaires. Comment réindustrialiser ? En revoyant entièrement la copie du système social. C’est une question de puissance et de justice, notamment à l’égard des plus faibles et des entrepreneurs.

Article paru dans la revue France Forum

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