Réforme du lycée : l’impasse

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samedi 14 avril 2018

La réforme du lycée opérée par Jean-Marie Blanquer se fait en plusieurs phases, mais elle conduit à une impasse.

Phase 1, en novembre dernier, la réforme de l’admission post-bac avec le passage d’APB à Parcoursup. Une fausse réforme en réalité, car hormis le nom, rien n’a vraiment changé. Même la plate-forme informatique est restée la même, comme ont pu le constater les professeurs dont les Terminales ont fini de remplir leurs vœux le 31 mars dernier. Jusqu’à présent c’était l’informatique qui se chargeait des affectations (le fameux algorithme), désormais ce seront les êtres humains. Mais en la matière, une machine travaille mieux que des petites mains pas très nombreuses. De gros cafouillages sont déjà en train de se produire, les universités ne savent plus comment traiter ces monceaux de papier. On peut prévoir de gros problèmes au mois de mai, quand les premiers résultats d’affectation vont arriver.

Phase 2, l’annonce de la réforme du baccalauréat. En guise de simplification, une véritable usine à gaz. Des coefficients compliqués qui rendent le calcul de la note finale bien ardue. Un grand oral dont on ne sait à peu près rien, et qui devrait reposer sur du vent. Mais surtout, des écrits de baccalauréat disséminés en Première (deux semaines d’écrits) et en Terminale (une semaine d’écrits). Donc trois semaines d’écrits au lieu d’une actuellement. Ce qui signifie donc trois fois plus d’heures de cours perdues à faire passer ces écrits et trois fois plus de copies à corriger. Là aussi, on repassera pour la simplification. Cette réforme va être appliquée pour la première fois en 2021. Je prends les paris qu’elle sera abandonnée dès 2023 pour revenir à quelque chose de beaucoup plus simple. Le brevet, dont plus personne ne parle, vient de connaître une troisième réforme en trois ans de ses modalités de passage.

Phase 3, l’annonce des nouveaux volumes horaires. C’est ce qui est vraiment intéressant, car c’est ce qui ventile les postes et ce qui donne les contenus réels du lycée. Les premiers projets, presque définitifs, ont été donnés cette semaine ; nous allons y revenir.

Phase 4, d’ici la fin de l’année ou le début de l’année scolaire prochaine : l’annonce des nouveaux programmes. On verra ainsi comment les lycéens sont réellement traités. Comme il faut conjuguer l’exigence académique et le lycée général pour tous, on peut craindre moins de contenus et plus de ludiques. Rien de vraiment nouveau donc.

L’air de rien, on supprime des postes

Je m’excuse par avance pour l’emploi d’un vocabulaire jargonneux que seuls comprennent les professeurs. Mais quand on parle du lycée, il y a des termes techniques à utiliser qui sont des éléments concrets de la vie des élèves et des professeurs. Des éléments qui échappent totalement aux parents : c’est dommage, mais c’est voulu. Comme l’a rappelé récemment une députée socialiste, les enfants n’appartiennent pas à leurs parents, mais à la République, ce que disait déjà Danton en 1793. Donc plus c’est obscur et abscons, moins les parents comprennent, et donc plus l’administration de la rue de Grenelles à la mainmise sur le sujet. Si l’on vous parle AP, TPE, ENI et EDT vous risquez d’avoir décrochés. C’est pourtant la réalité quotidienne de vos enfants.

Un petit lexique s’impose donc, qui simplifiera la compréhension de la suite du problème.

AP : accompagnement personnalisé. Deux heures hebdomadaires par classe pour renforcer les bases manquantes des élèves. Une bonne idée, mais faire de l’accompagnement personnalisé avec 30 élèves, c’est compliqué. Comme on ne fait plus redoubler et que tout le monde peut passer, on se retrouve au lycée avec des élèves ne maîtrisant pas les bases. Avec l’AP, on leur fait croire qu’ils vont pouvoir être remis à niveau. L’Éducation nationale est le royaume du mensonge.

TPE : Travail personnel encadré. Épreuve du bac passée en Première. Les élèves doivent faire une présentation orale à deux ou trois. Cela se limite bien souvent à un PowerPoint et un copié-collé de Wikipédia. Une grande fumisterie instaurée il y a dix ans, qui coûte très cher et que tous les ministres essayent de limiter. On est passé de 4h de TPE à 2h par semaine puis 1,5h.

ENI : environnement numérique interactif. Le numérique est la solution à tous les problèmes de l’éducation. Il s’agit de mettre une tablette entre les mains des enfants et tout ira mieux. Le ministère a signé de gros contrats avec Microsoft. Même si les patrons d’Apple et de Twitter ont dit à plusieurs reprises qu’ils interdisaient le numérique à leurs enfants, car cela nuit à leur développement. Récemment, plusieurs cadres de l’Éducation nationale ont quitté le ministère pour aller travailler chez Microsoft et Amazon. Comme ils avaient participé à la signature des gros contrats, cela a fait jaser.

EDT : emploi du temps. Il faut occuper les élèves du lundi 8h30 au vendredi 17h. Mais une heure de cours coûte cher. Diminuer le nombre d’heures de cours, c’est diminuer les coûts, car l’école n’est pas gratuite. Un lycéen coûte en moyenne 12 000€ par an. Non, l’école n’est pas gratuite.

Supprimer des cours pour pallier les pénuries

Revenons donc sur le projet de réforme horaire. Le ministre a annoncé la suppression des AP. Deux heures de cours en moins par semaine et par classe, c’est une sacrée économie. Et c’est tant mieux, cela ne servait pas à grand-chose. Les TPE sont également supprimés. Ils sont remplacés par un grand oral passé au mois de juin, pour lequel aucune heure de préparation n’est prévue. Donc les professeurs devront le préparer sur leurs heures de cours. Là aussi, c’est une belle économie.

À la rentrée 2018, les Secondes auront 26h de cours hebdomadaires au lieu de 28h30. La différence semble faible, elle est en réalité très grande. Deux heures et demie de cours en moins par semaine c’est l’équivalent de 2 700 postes supprimés.

En Première à la rentrée 2019 on passera de 30h à 28h, soit près de 2 500 postes supprimés. En Terminale, l’horaire passe de 30h à 27h30.

On ne peut que se réjouir de cette diminution du nombre des heures de cours, car la semaine des lycéens est trop pleine et trop chargée. Cela va permettre de supprimer près de 7 000 postes dans le public, à quoi il faut rajouter les postes supprimés dans le privé (les chiffres sont donnés par le Café pédagogique). Là est la véritable réforme. Comme je le démontre dans mon livre Rebâtir l’école, l’Éducation nationale est en train de mourir faute de combattants. Le nombre de démissions explose, même si le ministère refuse de dévoiler les chiffres.

Le nombre de candidats est en pleine baisse : le ministère n’arrive plus à recruter. Depuis une dizaine d’années, il y a plus de postes à pourvoir que de candidats qui se présentent aux concours. Le nombre de vacataires recrutés ne cesse de croître, mais cela ne pallie pas les absences de candidats. Les départs à la retraite s’accélèrent. Bref, dans une dizaine d’années, le ministère ne pourra plus exister, car il n’y aura plus de professeurs. En supprimant un nombre très important de postes, le ministre actuel tente de différer cette mort lente. Il n’y arrivera pas néanmoins : l’effet rejet de l’Éducation nationale est une tendance lourde.

Là est la véritable problématique de cette réforme : répondre aux nombreuses classes vides, combler les trous des absences et donc la colère des parents. Réduire le nombre de postes n’est pas la solution. La solution réside dans plus de liberté, par exemple en instaurant le chèque éducation. Inenvisageable pour l’instant, la mort lente du système étatique d’éducation nationale le rend inéluctable sur le temps long. Là est la véritable bonne nouvelle.

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